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Liban - Éclairage

Torture des islamistes à Roumieh : la partie visible de l’iceberg

Une image tirée d’une des deux vidéos montrant des agents des FSI soumettant des prisonniers islamistes à la torture.

La diffusion samedi sur les réseaux sociaux de vidéos montrant des scènes de torture de détenus dans la prison de Roumieh soulève une série d'interrogations légitimes qui vont au-delà de l'acte de barbarie illustré dans ce document inédit.
La première question relève de l'évidence : pourquoi cette vidéo en particulier a suscité autant de courroux au sein de la classe politique alors que la pratique de la torture prévaut au Liban depuis des années sans qu'aucun responsable n'ait levé le petit doigt ?


Depuis plusieurs années, les organisations locales et internationales de défense des droits de l'homme, avec à leur tête l'Onu, dénoncent dans de longs rapports détaillés les mauvais traitements, la violence et la torture qui ont lieu dans les centres de détention et les milieux carcéraux. Aussi surprenant que cela puisse paraître, seule la vidéo des islamistes diffusée sur YouTube – qui a largement circulé dans le monde – semble avoir touché les sensibilités respectives de nos représentants politiques. Une question d'image pourrait-on dire a priori, le Liban ayant toujours été soucieux de faire bonne figure sur la scène internationale, quitte à « relifter » de temps à autre (souvent ?) sa réputation en termes de respect des droits de l'homme, montrant patte blanche et dénonçant publiquement les violations une fois révélées au grand public.


Comment expliquer par ailleurs le timing de ce scandale qui, de toute évidence, ressemble à une mise en scène bien calculée ? Car la question que l'on est en droit de se poser aujourd'hui est de savoir pourquoi avoir diffusé maintenant seulement une vidéo datant de deux mois ? Si l'on en croit des sources proches de Roumieh, les scènes de torture ont été filmées par des agents des services de renseignements des FSI et les deux ministres concernés – Achraf Rifi et Nouhad Machnouk, qui seraient aujourd'hui à couteaux tirés après cet épisode embarrassant – « en avaient connaissance dès les premiers jours ». Personne ne sait pour l'instant qui avait véritablement intérêt à balancer cette bombe à retardement et à qui profite véritablement le crime. Des sources proches des milieux islamistes font valoir que ce sont les avocats des détenus, en possession dès le début de la bande vidéo, qui ont décidé de la faire circuler pour faire pression sur la justice en vue de faire accélérer les procès. Une information qui n'a pas toutefois pu être vérifiée.
Mais à toute chose malheur est bon, dit l'adage. Quelle que soit la motivation derrière ces fuites, la réaction à retardement du gouvernement, de la justice et même de la belle au bois dormant qu'est devenu le Parlement devrait verser, on l'espère, en direction d'une solution pour mettre fin à ces violations ou, tout au moins, alerter et mobiliser l'opinion publique sur ce sujet crucial.


Disons-le d'emblée : le spectacle d'un homme battu, humilié, torturé, quel que soit le crime qui lui est imputé, est inacceptable en tout point. Qu'il s'agisse d'islamistes radicaux, de terroristes invétérés, de poseurs de bombes ou de violeurs d'enfants, la torture est inadmissible pour la simple raison que l'État, censé protéger les droits de ses prisonniers, serait en train de répliquer selon la même logique violente que celle pour laquelle le criminel a été emprisonné.


La loi du talion, telle qu'exprimée par ailleurs par certains Libanais qui ont réagi sur les médias sociaux, est digne des citoyens d'une République bananière, bien plus que d'un État de droit auquel les Libanais prétendent aspirer depuis des années. « Il fallait non seulement les torturer, mais les tuer, voir les brûler ». Les auteurs de ces propos chargés de haine et de vindicte sont probablement ceux qui avaient dénoncé à cor et à cri il y a quelque temps l'horrible sort infligé au pilote jordanien, brûlé vif devant les yeux du monde entier par des membres de l'État islamique, ou encore le jihadiste de l'EI attrapé et brûlé vivant par des miliciens chiites en Irak. Œil pour œil, dent pour dent, la chaîne de l'horreur se poursuit. L'EI n'a d'ailleurs pas attendu pour menacer de décapiter les militaires otages qu'il détient depuis un an, stigmatisant le traitement infligé à ses coreligionnaires à Roumieh.


N'a-t-on donc rien appris de l'histoire lugubre des geôles syriennes où des générations entières ont péri sous les coups des tortionnaires ? N'a-t-on pas assez témoigné des conséquences de cette répression systématique qui a fini par créer des monstres ambulants dans la région ? Des questions adressées à tous ceux qui ont applaudi au spectacle de violence et d'humiliation infligées aux détenus.
Il reste à voir comment remédier à ce tsunami sécuritaire qui a non seulement ébranlé le gouvernement, mais également les islamistes sunnites qui réclament la démission du ministre de l'Intérieur. Le mal infligé aux détenus ne se limiterait donc pas au milieu carcéral, mais risque de s'étendre pour prendre une dimension politique autrement déstabilisante s'il n'est pas contenu à temps.


L'autre risque à prévoir, souligne la source proche de Roumieh, est de savoir ce qui va advenir dans la prison même, plus précisément dans le bâtiment D où ont été transférés les islamistes après cet épisode malheureux. L'arrestation de quelques membres des FSI impliqués dans les actes de torture n'est pas suffisante, selon cette source. Ce qu'il faut, c'est parvenir à un équilibre entre une surveillance ferme et une amélioration des conditions de détention ainsi qu'un respect des droits de l'homme. De même source, on rappelle au passage l'état dans lequel se trouvait le bâtiment B qui abritait les islamistes avant leur transfert. Ils avaient alors créé leur propre émirat à l'intérieur même de la prison, érigé des tribunaux religieux et pratiqué eux-mêmes la torture sur leurs compagnons de cellule. À plusieurs reprises, ils avaient attaqué et battu des agents des forces de l'ordre et des soldats de l'armée.
« D'où le ras-le-bol et la colère que nous avons malheureusement vu se déverser sur les prisonniers dans la bande vidéo. Un chaos dont seul l'État est responsable », conclut la source.

La diffusion samedi sur les réseaux sociaux de vidéos montrant des scènes de torture de détenus dans la prison de Roumieh soulève une série d'interrogations légitimes qui vont au-delà de l'acte de barbarie illustré dans ce document inédit.La première question relève de l'évidence : pourquoi cette vidéo en particulier a suscité autant de courroux au sein de la classe politique...

commentaires (3)

Bravo Jeanine pour ton plaidoyer contre la torture et la logique de la loi du Talion. Amitiés Joe Raggi

Raggi Youssef

13 h 26, le 23 juin 2015

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Commentaires (3)

  • Bravo Jeanine pour ton plaidoyer contre la torture et la logique de la loi du Talion. Amitiés Joe Raggi

    Raggi Youssef

    13 h 26, le 23 juin 2015

  • Ce n'est pas un montage.

    Georges Zehil Daniele

    10 h 46, le 23 juin 2015

  • Ces pratiques n'existaient pas au Liban et ne doivent pas exister.. Evidemment je les réprouve 100%, le Liban n'est pas la Syrie ni l'Iraq et ne le sera jamais. Mais si c'était un montage pour jeter de l'huile sur la braise de la discorde entre les Libanais ?

    Un Libanais

    08 h 54, le 23 juin 2015

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