Cela faisait cinq ans que la réalisatrice Reine Mitri travaillait sur un documentaire traitant de la question des déplacés de la guerre civile au Liban. Espérant le voir projeté dans les salles de cinéma libanaises, elle le soumet – passage obligé – à la Sûreté générale (SG) en mai dernier. Un mois plus tard, le 4 juin, la réalisatrice âgée de 44 ans reçoit une réponse sans détour : il lui est formellement interdit de projeter son film.
« J'ai été contactée par la SG qui m'a informée que mon film était interdit. Les raisons de ce refus ne m'ont pas été communiquées, j'attends de recevoir l'interdiction écrite et justifiée, explique la réalisatrice à L'Orient-Le Jour. On ne m'a pas demandé d'enlever certaines parties du documentaire, on l'a entièrement interdit. »
Reine Mitri note que son documentaire, In this land lay graves of mine (En cette terre reposent les miens), traite en 110 minutes du conflit communautaire au Liban lors de la guerre civile de 1975. Même si, pour elle, « les motifs de la censure sont clairs », elle affirme vouloir savoir « ce qui a dérangé, précisément, la SG ».
Contacté par L'Orient-Le Jour, un haut responsable de la Sûreté explique que le film a été censuré par le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk, suite à une recommandation du comité de censure. Refusant de donner les raisons précises ayant motivé une telle décision, le responsable indique néanmoins que le film ne sera pas projeté « parce qu'il pourrait provoquer des dissensions confessionnelles ».
Informée de la réponse de la SG, la réalisatrice rejette en bloc cette accusation. « Ce documentaire, travaillé le plus objectivement possible, est, au contraire, un appel à la tolérance et au dialogue national. Il nous invite à connaître notre histoire afin de mieux comprendre notre présent », assure Mme Mitri. « Je suis contre la censure de tout travail artistique. Est-il normal que nous ne soyons toujours pas autorisés à faire notre devoir de mémoire et évoquer la guerre civile ? » s'insurge-t-elle.
Léa Baroudi, présidente de l'ONG March contre la censure, dénonce de son côté une volonté de « créer une amnésie générale ». « Tout ce qui évoque le passé est devenu tabou au Liban, déplore-t-elle. Il est inacceptable d'interdire tout film qui est un travail de mémoire. La censure de l'art et de la culture doit être complètement abolie. »
In this land lay graves of mine avait été projeté en décembre 2014 dans le cadre du festival international du film à Dubaï. C'est donc hors les frontières de leur pays que les Libanais, premiers concernés, ont pu visionner ce documentaire.
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commentaires (5)
La censure! Vraiment! Ceci ne nous empêchera pas de le visionner sur le net ou en CD.
Dounia Mansour Abdelnour
22 h 28, le 23 juin 2015