Brusquement, comme sur l'orchestration d'un même maestro, « les médias de la Tempête de la fermeté » (selon l'appellation du secrétaire général du Hezbollah dans un de ses derniers discours) ont affirmé que la Russie est en train de lâcher le président syrien Bachar el-Assad. Les plus modérés parmi ces médias ont procédé à une analyse poussée de la situation, expliquant que la Russie connaît actuellement de graves difficultés économiques, en raison notamment des sanctions européennes, et que la situation en Ukraine lui pose un véritable problème, alors que ses relations avec les États-Unis sont de plus en plus complexes. Pour toutes ces raisons, le président russe ne pourrait plus appuyer le régime syrien comme il le faisait dans le passé. Il devrait donc faire des concessions politiques, et, surtout, économiquement, il n'a plus les moyens d'envoyer des armes et des experts sur le terrain syrien. De plus, avec les derniers développements militaires, la carte du régime serait devenue une carte perdante et Poutine ferait donc preuve de réalisme en renonçant à appuyer Assad. Tout cela peut paraître très logique, mais la réponse n'a pas tardé à venir. C'est le président russe lui-même qui a exprimé hier sa position, en affirmant qu'il continue d'appuyer le président syrien et qu'il n'acceptera pas une réédition du scénario libyen en Syrie. Dans ce pays, la Russie estime en effet qu'elle a été dupée par la coalition internationale de l'époque et le résultat est aujourd'hui un chaos total.
Un diplomate arabe en poste à Beyrouth précise à cet égard que la position de la Russie est tout à fait prévisible et logique, alors que les médias occidentaux et arabes qui misaient sur un changement de cette position ne font qu'exprimer en réalité des vœux pieux et une mauvaise connaissance des réalités. Selon ce diplomate, la confrontation entre les États-Unis et avec eux l'Europe d'une part et la Russie de l'autre est actuellement à son apogée. Même les fonds des médias russes dans certains pays européens ont été gelés récemment et l'Europe continue d'utiliser l'Ukraine pour exercer des pressions à la fois économiques, politiques et même militaires sur la Russie. Cette attitude de défi à la Russie était claire au cours du dernier sommet des pays du G8 en Bavière. Dans ces conditions, pourquoi le président russe ferait-il un tel cadeau aux pays occidentaux en lâchant soudainement, sans la moindre contrepartie et au pire moment pour lui, une carte aussi importante que celle du régime syrien ? Sans oublier le fait que la base militaire russe à Tartous est la seule que ce pays possède dans la Méditerranée. Pour quelle raison devrait-il céder son seul ancrage méditerranéen, alors que le bras de fer qui se joue entre lui, les États-Unis et l'Europe se poursuit et qu'il y a un désaccord quasi total sur la plupart des dossiers ?
Une telle attitude serait donc non seulement illogique, mais aussi contraire aux intérêts russes. Dans ces conditions, dire le contraire s'inscrit donc soit dans une ignorance totale des réalités diplomatiques et politiques, et des rapports de force, soit dans le cadre de la guerre psychologique et médiatique menée contre le régime syrien et ses alliés régionaux et internationaux, depuis deux mois. Toutefois, toujours selon le diplomate arabe en poste à Beyrouth, il n'y a pas eu de changement stratégique dans le rapport des forces sur le terrain en Syrie, ni sur le plan diplomatique, qui permettrait de croire à une chute imminente du régime syrien, comme le répètent constamment les médias du camp occidental et arabe hostiles à l'axe dit de la résistance.
Concernant la récente visite de l'héritier du trône saoudien, l'émir Mohammad ben Salmane, en Russie au cours de laquelle il a rencontré les dirigeants russes, le diplomate précité insiste sur le fait que la déclaration de Poutine a été rapportée par les médias après sa rencontre avec l'émir saoudien. Autrement dit, il a voulu couper court à toutes les suppositions qui pourraient faire croire que l'entretien a porté sur le sort du président syrien et que la Russie serait prête à le lâcher. En faisant clairement sa déclaration, Poutine a montré que ce sujet n'est pas négociable. Pour le reste, les deux dirigeants peuvent trouver des terrains d'entente, sachant que depuis que le président Obama a renoncé à frapper le régime syrien, tout en se rapprochant de la conclusion d'un accord avec l'Iran, ses relations avec les dirigeants saoudiens n'ont cessé de se dégrader. Ceux-ci se tournent donc vers la Russie, comme tous les déçus de la politique américaine, en sachant toutefois qu'il y a des limites qu'ils ne peuvent pas franchir. Il s'agit de petites manœuvres qui arrangent les intérêts communs des deux pays, tout en leur permettant ainsi d'exprimer leur mécontentement envers la politique des États-Unis. Mais, le diplomate arabe en est convaincu, il n'y a pas encore de renversement spectaculaire de situation. Tous les protagonistes cherchent simplement à se tailler une place dans le paysage politique et militaire de l'après-signature de l'accord nucléaire entre les États-Unis et l'Iran...
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commentaires (6)
..."Zasypkin invité hier du RDCL déclarait: L'important en Syrie ce n'est pas le régime, c'est la stabilité...". Comment concilier ces paroles avec votre analyse...? D'autant plus que l'on voit mal comment le régime syrien et son président, pourraient, après bientôt quatre années de guerre fratricide contre la majorité de ses citoyens et tous les drames qui en ont découlé, assurer la stabilité à laquelle est tellement attachée la Russie de Poutine en Syrie...? Je vous laisse donc deviner la conclusion de cette déclaration de Monsieur l'Ambassadeur, quant au sort qui attendrait prochainement le Président syrien !
Salim Dahdah
11 h 28, le 25 juin 2015