Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

La Constitution au Liban : slogans, aliénation ou authenticité ?

A-t-on fini au Liban, et ailleurs dans le monde, de conjuguer le confessionnalisme, communautarisme et sectarisme, de palabrer sur la Constitution libanaise, sans boussole ni repère ? De manipuler dans un but de pouvoir des dispositions régies par des normes de droit ? De cultiver le complexe d'intellos sur le traditionalisme du pacte et de l'édifice constitutionnel du Liban ?
À aucun moment, au cours du séminaire organisé pour la faculté de droit de Notre Dame University en coopération avec la Fondation Konrad Adenauer sur le sujet : « Droit constitutionnel : études de cas du Liban et d'Allemagne », des mots devenus des slogans n'ont été employés.
La participation d'éminents spécialistes, qui n'ont jamais versé dans l'idéologie ou le dogmatisme, a permis de cibler l'attention sur les fondements, la classification et les normes constitutionnelles en perspective comparée, de façon prospective et souvent interdisciplinaire (Maan Bou Saber, Peter Rimmele, Antoine Hokayem, Khaled Kabbani, Rabih Kays, Issam Sleiman, Tarek Majzoub, Jorg Menzel...). L'intérêt du séminaire est qu'il s'adresse surtout aux étudiants en droit, souvent ballottés dans des débats et palabres polémiques.

***

On peut dégager des communications et débats deux perspectives opérationnelles.
1. L'apport des travaux comparatifs et notamment l'apport allemand : un inventaire quasi exhaustif, avec des références abondantes et souvent peu connues, de l'apport de l'Allemagne et de la Fondation Konrad Adenauer en particulier, au dialogue constitutionnel libanais et à la recherche fondamentale et empirique, de 1980 à nos jours, a fortement favorisé l'acculturation du droit constitutionnel libanais.
Les pères libanais fondateurs de la Constitution, et ceux français durant le mandat, ont parfaitement compris les spécificités de la gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel au Liban.
Par la suite, des auteurs, programmés aux schèmes exclusifs du nation-building, à l'idéologie jacobine de l'édification nationale, au melting-pot à l'américaine et, pire, à l'idéologie sioniste de l'espace identitaire, ont publié des travaux sur le Liban « nation fragmentée », « erreur historique et géographique », « confessionnalisme et chaos »...
Des auteurs arabes, au mépris d'un patrimoine séculaire de gestion du pluralisme religieux et culturel, patrimoine pourtant modernisable, ont méprisé les aménagements constitutionnels libanais. Ils se trouvent aujourd'hui confrontés au dilemme de la sauvegarde du tissu pluraliste religieux et culturel arabe (A. Messarra).
Les travaux sur la genèse de la Constitution libanaise montrent les fondements et l'adéquation de nombreux aménagements, fruits d'une expérience endogène (Antoine Hokayem). C'est aussi à travers la philosophie du fédéralisme qu'on comprend les régimes d'autonomie personnelle des articles 9 et 10 de la Constitution libanaise (Jorg Menzel, Université de Bonn).
2. Suprématie et normativité de la Constitution : l'autre principal apport du séminaire réside dans l'exigence fondamentale de suprématie de la Constitution, de respect effectif de cette suprématie et de ce qu'elle implique. Il s'agit notamment de l'extension des attributions du Conseil constitutionnel de sorte que la saisine par voie d'exception couvre la législation, et toute législation antérieure au nouveau préambule de la Constitution amendée en 1990 (Issam Sleiman).

La gouvernance constitutionnelle
Les communications et débats sont centrés sur la gouvernance constitutionnelle. En effet, la Constitution la plus adaptée est comparable à une ordonnance médicale. Cette ordonnance n'est pas le remède. Le patient s'est-il procuré le médicament ? S'est-il administré les prescriptions de l'ordonnance ? A-t-il observé les doses prescrites ? S'il s'est administré le remède sans guérir, c'est alors qu'il faut refaire le diagnostic et modifier les prescriptions.
L'accord de Taëf, fruit d'un dialogue national interne, à l'exception de la clause relative au retrait de l'armée syrienne du Liban, a institué des normes et procédures qu'il s'agit de respecter (Khaled Kabbani). En outre, il ressort de la genèse même de l'art. 49 amendé de la Constitution (« Le chef de l'État veille au respect de la Constitution ») qu'il faudra désormais substituer à l'idéologie des salâhiyyât présidentielles (attributions), un rôle de magistrature suprême du chef de l'État, qui est un conseil constitutionnel avant le Conseil constitutionnel (Rabih Kays).
Il en découle que la crise n'est pas tant constitutionnelle, mais porte sur la règle de droit (Tarek Majzoub). Dans cette perspective, des dispositions constitutionnelles, dont l'art. 65, sont manipulées, sous couvert de consensus, de pacte, de veto de blocage... On sape ainsi le principe universel et pragmatique du vote. Il s'agit d'éviter à la fois l'abus de majorité et l'abus de minorité. La majorité qualifiée du nouvel art. 65, dans des questions bien délimitées, est fort explicite sur ce point.
Plus grave est la propagation aujourd'hui au Liban d'une privatisation et subjectivisation du droit. Il y a, limitativement, des droits individuels et subjectifs. Mais celui qui exerce une fonction publique, en tant que député, ministre, fonctionnaire et même le citoyen électeur, le droit dont il dispose est fonctionnel en vue de l'exercice d'un devoir public (Maan Bou Saber).

***

Le séminaire, coordonné par André Sleiman, ouvre la voie à des travaux plus élaborés dans deux domaines au moins :
– Il faudra œuvrer davantage à l'acculturation du droit constitutionnel libanais, surtout auprès des étudiants et de la jeune génération.
– Il faudra clarifier les exigences de suprématie de la Constitution, et aussi de la gouvernance constitutionnelle, du fait que des dispositions de la Loi fondamentale sont violées au quotidien avec des argumentations légalistes et donc superficielles.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel
Titulaire de la chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, USJ

Le texte est un extrait inédit de la conférence de synthèse par l'auteur.

A-t-on fini au Liban, et ailleurs dans le monde, de conjuguer le confessionnalisme, communautarisme et sectarisme, de palabrer sur la Constitution libanaise, sans boussole ni repère ? De manipuler dans un but de pouvoir des dispositions régies par des normes de droit ? De cultiver le complexe d'intellos sur le traditionalisme du pacte et de l'édifice constitutionnel du Liban ?À aucun moment,...

commentaires (2)

DU : COMME CHACUN LE COMPREND...

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 05, le 17 juin 2015

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • DU : COMME CHACUN LE COMPREND...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 05, le 17 juin 2015

  • Comme tout le monde entier le sait, mahééék, les "spécialistes" constitutionnalistes ne conjuguent jamais le confessionnalisme, le communautarisme et le sectarisme. Ni ne manipulent dans un but de pouvoir des dispositions régies par des normes de droit. Ni ne cultivent de complexe sur le "pacte" et l'édifice constitutionnel du Liban ; évidemment ! Et à aucun moment, n’est-ce pas, n’utilisent des mots devenus, yâââï, des slogans. Ni ne versent dans l'idéologie ou le dogmatisme, ni ne sont ballottés, yâ harâm, dans des débats et palabres polémiques ! Un point c’est tout.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 33, le 17 juin 2015

Retour en haut