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Moyen Orient et Monde - Témoignage

« Pour ceux qui veulent refaire leur vie loin de l’enfer d’Alep, le golden ticket est à 10 000 USD »

La cité mythique résiste tant bien que mal aux incursions sanglantes survenues de toutes parts. Pour les chrétiens, la question n'est plus de savoir s'ils doivent partir ou pas, mais quand seront-ils contraints de le faire. Un habitant raconte à « L'Orient-Le Jour » son quotidien dans l'enfer.

Illustration Ivan Abou Debs.

Entre les murs des quartiers chrétiens de l'une des plus vieilles villes du monde, la conversation de tous les jours oscille entre les derniers développements funestes et la sempiternelle question du départ.

Juillet 2012, Alep est divisée en deux, les quartiers est sont aux mains des insurgés, et les quartiers ouest sous contrôle du régime. Depuis, les chrétiens de la ville (des grecs-orthodoxes, des grecs-catholiques, des arméniens, mais aussi des maronites et des syriaques) s'interrogent, alors que près de la moitié d'entre eux déjà n'ont pas hésité à laisser derrière eux les souvenirs d'une vie paisible révolue, en pliant bagages.
L'idée de partir et d'abandonner sa maison a peu à peu perdu de son âcreté, que déjà la question du « quand » se murmure sur les lèvres de Georges* et de ses proches. C'est à la fois avec un air contrit et gai qu'il confie à L'Orient-Le Jour son quotidien, hanté par ces « fanatiques » qui « grignotent le Nord syrien ».

La première vague hémorragique est partie du quartier chrétien de Midan, il y a 3 ans déjà, alors en proie à des attaques sanglantes des rebelles. Dès lors, une grande partie de la communauté arménienne s'est vue contrainte d'évacuer les lieux. Depuis 3 mois, dans les quartiers de Tilal, Sulaymaniyyé et Aziziyé, les attaques aux mortiers ont été remplacées par des tirs de missiles quasi quotidiens. Des pans entiers de ces faubourgs s'effondrent tels des châteaux de cartes. Ce dernier district, banlieue résidentielle au nord-ouest de la vieille ville, abrite la moyenne et grande bourgeoisie chrétienne et musulmane, ainsi que de nombreux commerces. Certains n'ont plus d'autre choix que de vendre à la hâte leur maison traditionnelle à des prix ridiculement bas. Une belle demeure alépine pouvant aisément valoir 300 000 dollars se brade désormais à 20 000. Quand les combats redoublent d'intensité et que les accalmies se raréfient, les ventes immobilières s'accélèrent. Les économies d'une vie suffisent à peine pour s'alimenter au quotidien.

(Lire aussi : Alep : là où Assad résiste encore à la logique iranienne)

 

« Quel autre choix reste-t-il... »

« Tenir 1 an, 2 ans, c'est possible, mais 4 années déjà que notre pays est en guerre, la population n'a plus de quoi vivre. Le salarié qui touchait 30 000 livres syriennes (500 dollars) en gagne aujourd'hui 5 fois moins », raconte Georges. La fourniture en électricité s'est, selon ses dires, améliorée. En juillet dernier, l'État a autorisé l'installation de générateurs privés et un système d'abonnements « à la libanaise », à des prix raisonnables, s'est mis en place. Selon les quartiers, la pénurie d'eau, qui aura duré plus d'un an, n'est plus qu'un lointain souvenir. L'approvisionnement de l'or bleu par camions-citernes se fait une fois par semaine.

Malgré une nette amélioration des conditions de vie des Alépins, c'est en voyant son quartier se vider et les échoppes abaisser leur rideau de fer que Georges a été le témoin de départs précipités. « Je me suis renseigné sur le tarif du boat people », confie-t-il, autrement dit le passage illégal de la frontière turque, la traversée vers la Grèce pour ensuite rejoindre l'Allemagne ou la Suède. Pour ceux qui veulent refaire leur vie loin de cet enfer, le golden ticket est au prix exorbitant de 10 000 dollars. De quoi hanter leurs nuits. « Mais la plupart ne sont jamais allés en Occident et n'ont jamais quitté leur pays. Ils rêvent de l'Occident, mais ils ne se doutent pas un instant des problèmes auxquels ils auront à faire face », relève Georges. Mais quand on ne dort plus la nuit de peur d'être la cible d'obus, quel autre choix reste-t-il ? « Nous évoluons dans un périmètre limité, la moitié de la ville. Nous faisons extrêmement attention à nos déplacements. Des quartiers sont plus visés que d'autres, les quartiers chrétiens sont davantage ciblés, en proportion, que les quartiers musulmans », confie cet habitant. « Pourquoi je reste ? Parce que j'en ai envie ! Je ne sens pas la menace, je ne sens pas que quelqu'un va venir me tuer uniquement parce que je fais partie d'une minorité », poursuit-il.

(Pour mémoire : Assad devra choisir : sauver Damas ou sauver Alep ?)


Georges, comme d'autres, voit d'autres villes du Nord, telles qu'Idleb ou Jisr el-Chougour, tomber aux mains des jihadistes, « des nihilistes, qui s'amusent à tout détruire », selon lui. Mais il se dit que pour Alep, c'est « différent : notre ville est la capitale du Nord. L'État la défendra, j'en suis certain. Et pour l'instant, nous sommes bien défendus. Les lignes du front ne bougent pas. Cela fait 3 ans que les jihadistes essaient de pénétrer dans la ville, mais ils sont repoussés par les forces gouvernementales », affirme-t-il.

Georges affirme que le jour où « al-Nosra, Daech ou d'autres pourritures de la sorte entreront dans Alep », il quittera sa ville, non sans désespoir. « Ce sont tous des criminels, sortis de prison ou des gens venant de villages reculés, complètement incultes. Ils veulent se faire une identité en portant un fusil. Nous risquons de revenir au Moyen-Âge avec ces gens-là » avec qui, selon lui, « aucune discussion n'est envisageable ». « L'opposition n'a aucun contrôle sur ces gens et leurs sponsors du Golfe font pression », laisse-t-il sous-entendre.

Alep, qui a toujours disputé à Damas le titre de « plus ancienne ville n'ayant jamais cessé d'être habitée », sera-t-elle, ironiquement, un jour, vidée de ses âmes ? « Nous ne voulons pas d'un rééquilibrage communautaire. Nous sommes un État laïc. Tout rééquilibrage va faire de la Syrie un nouveau Liban ou un autre Irak », conclut Georges.

*Le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité



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