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Moyen Orient et Monde - Par Omar ASHOUR

Les condamnés à mort d’Égypte

Le mois dernier, 107 personnes – dont Mohammad Morsi, premier président élu démocratiquement en Égypte – ont écopé de la peine de mort. Cette tendance à condamner et exécuter ne montre aucun signe de ralentissement. La situation est d’autant plus grave que les exécutions extrajudiciaires menées par les services de sécurité et autres éléments de l’armée sont monnaie courante. Khaled Desouki/AFP

Les vagues de condamnations à mort sont habituellement l'apanage de régimes tels que le système nazi d'Adolf Hitler, ou celui des Khmers rouges de Pol Pot. Voici pourtant que les dirigeants militaires d'Égypte rejoignent les rangs de ces régimes, en organisant de multiples procès-spectacles à l'issue prédéterminée. Parmi ces affaires, un procès de mars 2014 a débouché sur quelque 529 condamnations à mort, avant qu'une audience d'avril ne décide de 683 exécutions. Et cette tendance ne montre aucun signe de ralentissement.
Le mois dernier, 107 personnes, dont Mohammad Morsi, premier président élu démocratiquement en Égypte, ont écopé de la peine de mort, pour leur prétendue participation aux « évasions carcérales » de masse survenues lors du soulèvement de janvier 2011 contre l'ancien président Hosni Moubarak. M. Morsi est également accusé de « collusion avec des militants étrangers », à savoir le Hezbollah et le Hamas, qui aurait visé la libération de prisonniers politiques en Égypte.
Peu après, les six accusés du procès dit d'« Arab Sharkas » – condamnés à mort en octobre 2014 pour avoir selon l'accusation attaqué des postes de sécurité – ont été exécutés, malgré les cris d'indignation de la communauté locale et internationale face à un procès biaisé. D'après Ahmad Helmi, avocat de quatre des six accusés, le gouvernement aurait choisi « d'envoyer un message à la suite du verdict prononcé contre M. Morsi », afin d'affirmer sa détermination à exécuter de telles sentences. Les clients de Me Helmi, comme tant d'autres, n'auraient été que les « boucs émissaires » de cette démarche, conclut l'avocat.
Au total, les tribunaux civils ont prononcé plus de 1 000 condamnations à mort depuis le renversement militaire du président Morsi en Égypte, au mois de juillet 2013. Le profil des différents « coupables » ne peut que susciter la stupéfaction : Emad Shahin, par exemple, est un professeur de renommée internationale, qui a enseigné à Harvard et l'Université américaine du Caire ; Sondos Asem est, quant à elle, une militante politique et jeune universitaire prometteuse.
La situation est d'autant plus grave que les exécutions extrajudiciaires menées par les services de sécurité et autres éléments de l'armée sont monnaie courante. Le plus dramatique des épisodes de ce type est survenu en marge du coup d'État de juillet 2013, lorsque la police et l'armée égyptiennes ont ouvert le feu sur la foule de manifestants opposés à l'éviction de Morsi, descendus dans les rues du Caire sur la place Rabia al-Adawiya. Plus de 1 000 manifestants y ont été abattus en moins de 10 heures.
Plus récemment, Islam Atito, étudiant en ingénierie à l'université Aïn Chams du Caire et partisan du groupe illicite des Frères musulmans, a été retrouvé mort dans le désert de la périphérie du Caire. Le ministre égyptien de l'Intérieur a déclaré qu'Atito avait été impliqué dans « l'assassinat » d'un officier de police et qu'il avait été tué dans une fusillade contre les forces de sécurité lors d'un raid ciblé sur sa « planque ».
Or, selon le syndicat étudiant de la faculté d'ingénierie de l'université, dont les membres ont renoncé à manifester leur indignation face à ce meurtre, Atito aurait été arrêté au cours d'un examen de fin d'année, sur le campus même de l'université. Beaucoup pensent que le gouvernement aurait enlevé et assassiné Atito en réponse à son militantisme. En tant que juriste des droits de l'homme et ayant étudié le dossier, je puis témoigner combien il ne s'agit là que d'une affaire parmi tant d'autres, dont aucune ne fait l'objet d'enquêtes sérieuses.
Toutes ces exécutions judiciaires et extrajudiciaires reflètent la profondeur de la crise actuelle en Égypte. Les « aigles » qui contrôlent l'establishment sécuritaire et militaire du pays semblent déterminés à restaurer un régime à la Moubarak, à la différence toutefois qu'ils considèrent Moubarak comme n'ayant pas été suffisamment actif dans la répression de l'opposition.
De l'avis du gouvernement égyptien actuel, les tactiques brutales employées par des personnages tels que Moammar Kadhafi en Libye, ou encore Bachar el-Assad en Syrie, seront plus susceptibles de fonctionner dans le contexte égyptien que dans ces pays. Après tout, la probabilité d'une intervention internationale (comme en Libye) est pour ainsi dire nulle, tandis que celle d'une véritable révolution armée (comme en Syrie) est extrêmement limitée. Pour autant, le choix du recours à la force, aux fins de la répression des dissidences, constituera un défi majeur dans un pays où 70 % de la population est âgée de moins de 30 ans, et pourrait bien finir en bain de sang.
Les politiques de violence mises en œuvre par les « aigles » d'Égypte ont également transformé l'opposition. Lors d'un rassemblement de 2013 visant à protester contre l'éviction de Morsi, le guide suprême des Frères musulmans, Mohammad Badie, a déclaré, selon une formule qui deviendra le cri de ralliement du mouvement : « Notre pacifisme sera plus fort que leurs balles. » Or, Badie ayant depuis été condamné à mort dans le cadre de plusieurs procès (dont l'un était lié à des attaques sur des postes de police dans la province sud de Minya), cette formule est devenue l'objet de railleries acerbes de la part de jeunes militants politiques, parmi lesquels des membres des Frères musulmans.
Le site Internet Rasd, plateforme d'actualités affiliée aux Frères musulmans, a récemment publié un courrier de l'ancien secrétaire général du groupe, Mahmoud Ghozlan, affirmant que la « révolution » continuera d'être non violente. Le site a néanmoins également publié une violente critique formulée par de jeunes activistes des Frères musulmans à l'encontre de la position de Ghozlan, une évolution notable pour une organisation dans laquelle la dissidence est rarement rendue publique.
En réalité, la colère des jeunes membres du groupe est devenue si forte que les Frères musulmans auraient semble-t-il remanié près de 65 % de leur leadership, d'après Ahmad Abdel-Rahman, responsable du Bureau administratif égyptien des Frères musulmans à l'étranger (organe récemment créé afin d'organiser les milliers de membres de la confrérie actuellement en exil). L'organisation a également tendance à adopter une ligne plus dure, ayant publiquement déclaré que l'approche « réformiste » privilégiée après que son gouvernement eut remporté les élections parlementaires et présidentielles de 2011 et 2012 avait constitué un « mauvais » choix, et que le fait d'exclure les groupes de jeunes révolutionnaires non islamistes avait constitué une « erreur majeure ».
Face aux innombrables condamnations à mort prononcées en Égypte, aux violences extrajudiciaires perpétrées, ainsi qu'à la domination des « aigles » de l'establishment sécuritaire et militaire, et compte tenu des changements rhétoriques, comportementaux et organisationnels adoptés par les Frères musulmans, les chances de réconciliation semblent s'amenuiser de jour en jour. Dans un environnement au sein duquel le « compromis » est considéré comme impropre, l'avenir de l'Égypte apparaît tout sauf heureux.

© Project Syndicate, 2015. Traduit de l'anglais par Martin Morel.

Omar Ashour est maître de conférences en études sur la sécurité à l'université d'Exeter et membre associé de la Chatham House de Londres. Il est l'auteur de l'ouvrage intitulé « The De-Radicalization of Jihadists : Transforming Armed Islamist Movements ».

Les vagues de condamnations à mort sont habituellement l'apanage de régimes tels que le système nazi d'Adolf Hitler, ou celui des Khmers rouges de Pol Pot. Voici pourtant que les dirigeants militaires d'Égypte rejoignent les rangs de ces régimes, en organisant de multiples procès-spectacles à l'issue prédéterminée. Parmi ces affaires, un procès de mars 2014 a débouché sur quelque 529...

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