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Liban - Samir Kassir, dix ans déjà

Ce prospecteur de vérité...

Samir Kassir, entouré de Ziyad Baroud, Hani Fahs et Chawki Azouri, en avril 2005.

Il m'enviait une chose en particulier, d'être né douze ans plus tôt que lui. Il aurait voulu avoir vingt ans en mai 1968 et vivre cet événement majeur de l'intérieur. Lorsqu'on en parlait, je me rendais compte qu'il connaissait mai 68 aussi bien, sinon mieux que moi. Les événements, les dates, les personnages, les slogans, la force et les faiblesses du mouvement étudiant. Samir était passionné de « déconstruction », autant celle de Derrida, que celle de Marx et de Freud. Il aimait les infrastructures, celles qui permettent de comprendre le monde apparent. Nos discussions tournaient autour de ça. Étonnamment, il partageait ma nostalgie de mai 68 comme s'il l'avait réellement vécue. Mais ni l'un ni l'autre ne pouvions nous douter, un seul instant, que les Libanais produiront un événement aussi capital, la révolution du Cèdre.

Et lorsque l'événement eut lieu, nous n'avons pas pu retenir nos larmes. Nous n'avions plus rien à envier à mai 68. Le 14 mars, par son ampleur, sa spontanéité et son caractère pacifique pouvait même donner des leçons au monde entier. Tout de suite, Samir est devenu le porte-parole de cette jeunesse révoltée. Et tout de suite, quand il a compris que la classe politique allait la récupérer et l'étouffer, il a appelé à une intifada dans l'intifada. « La grande leçon est là... (on finit) par se rendre compte qu'il vaut le coup de mener de petites batailles, que parler sert à quelque chose et que la liberté d'expression reste bonne à conquérir même si elle ne se prolonge pas encore d'une entière liberté politique, c'est-à- dire de la possibilité d'alternance. » On pourrait penser que Samir a écrit cela après le 14 mars 2005. Il n'en est rien. C'était dans L'Orient Express du 26 janvier 1998.

Fruit d'une lecture déconstructrice de l'histoire, Samir était à la recherche permanente de la vérité qui se cachait derrière les apparences. Seule la déconstruction permet d'y accéder. Il ne s'agit pas d'énoncer la vérité comme un maître, Samir s'est toujours défendu de l'être. Il acceptait la fonction de porte-parole, pas celle d'un maître. Ceux qui redoutaient Samir savaient bien cela : il appelait les jeunes à se libérer et à construire leur avenir, il leur apprenait à refuser tout assujettissement. En cela, il savait qu'il rejoignait le psychanalyste. Il savait que la psychanalyse était porteuse d'une rébellion subjective capable de mettre à mal toute forme de totalitarisme, y compris le totalitarisme psychanalytique lui-même dont il détestait la langue de bois. Et il apportait la rébellion dans mon jardin psychanalytique, appuyant la subversion freudienne mais ne ménageant pas ses critiques envers les psychanalystes qui normalisent notre pratique en en faisant une orthopédie normative de soutien, de soutien à l'idéologie ambiante. Forcément.

Lorsqu'en 2004 j'ai lancé l'idée du colloque La psychanalyse dans le monde arabe et islamique, non seulement il y a participé comme conférencier mais il m'a aidé à organiser le colloque. Le 8 mai 2005, il intervint en conclusion du colloque sous le titre : « Individu et Lumières dans le monde arabe contemporain », centrant son exposé sur Ahmad Farès Chidiac, l'un des acteurs principaux de la Nahda : « Cet homme né maronite, converti d'abord au protestantisme puis à l'islam et qui n'était probablement ni protestant ni musulman (puisqu'il a flirté avec l'agnosticisme), va poser, mort, un grand problème aux institutions religieuses. Ces dernières ne voulaient pas lâcher la dépouille mortelle : pour l'Église maronite, il était maronite et pour les autorités ottomanes il était musulman. Un compromis admirable fut trouvé : Ahmad Farès Chidiac fut enterré dans un cimetière sans symboles religieux, c'est le cimetière des pachas à Jisr el-Bacha précisément, dans la région de Hazmieh. » En remaniant quelques termes, peut-on imaginer meilleure description de Samir lui-même ?

Le 8 mai, il donnait cette conférence. Le 2 juin, trois semaines après il était assassiné par les forces obscurantistes, celles-là mêmes qui ont assassiné Rafic Hariri. Même mort, comme Ahmad Farès Chidiac, il continue à poser un problème à ses assassins.
Samir incarnait l'espoir absolu. Lorsqu'en 2002 nous avons fondé avec quelques amis l'ONG Souhatouna Lana, pour sensibiliser le citoyen libanais contre le diktat de la médecine, nous savions qu'en nous attaquant à la dictature du médicament dans notre vie quotidienne, nous allions nous attaquer aux géants pharmaceutiques capables de soumettre la politique des États et des organismes interétatiques à leurs simples intérêts. Étions-nous des Don Quichotte ? Pourquoi pas, disait Samir ? Soyons-le, mais luttons quand même car cela valait la peine.

 

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Il m'enviait une chose en particulier, d'être né douze ans plus tôt que lui. Il aurait voulu avoir vingt ans en mai 1968 et vivre cet événement majeur de l'intérieur. Lorsqu'on en parlait, je me rendais compte qu'il connaissait mai 68 aussi bien, sinon mieux que moi. Les événements, les dates, les personnages, les slogans, la force et les faiblesses du mouvement étudiant. Samir était...

commentaires (2)

Où EST-ELLE LA RÉVOLUTION DU CÈDRE ? PERDUE DANS LES DÉDALES DES INTÉRÊTS ET DE LA COUARDISE ! POUR RENAÎTRE... IL LUI FAUT UN VRAI LEADER... UN VRAI LIBANAIS QUI PENSE UNIQUEMENT EN VRAI LIBANAIS !!!

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 32, le 02 juin 2015

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Commentaires (2)

  • Où EST-ELLE LA RÉVOLUTION DU CÈDRE ? PERDUE DANS LES DÉDALES DES INTÉRÊTS ET DE LA COUARDISE ! POUR RENAÎTRE... IL LUI FAUT UN VRAI LEADER... UN VRAI LIBANAIS QUI PENSE UNIQUEMENT EN VRAI LIBANAIS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 32, le 02 juin 2015

  • Ce qui est pour ce pays 1 rêve utopique, ce n'est pas la Printanière radicale, l'émancipation humaine et générale ; c'est plutôt la printanière partielle, tout simplement politique, celle qui laisse debout les piliers de l’ex-édifice/système. Sur quoi donc reposa cette printanière partielle ? Une fraction Saine de la société tenta de s'émanciper et d’accaparer la suprématie générale ; et crut entreprendre en partant de sa propre situation particulière, l'émancipation générale de cette société conFessionnelle. Elle croyait émanciper la société sectaire tout entière, mais uniquement dans l'hypothèse que cette société se trouvait dans sa situation Saine à elle, qu'elle la possédait donc toute entière à sa stricte convenance. En fait, il n'est pas de fraction de la société qui puisse jouer ce rôle, à moins de faire naître en elle-même et dans la masse de la "populace" un élément d'enthousiasme, où elle fraternise et se confonde avec toute la société, s'identifie avec elle et soit ressentie et reconnue comme le représentant général de cette société. Un élément où ses prétentions et ses droits soient en réalité les droits et les prétentions de la société elle-même, où elle soit réellement la tête sociale et surtout le cœur social. Ce qui ne fut pas évidemment le cas, pour cette fraction printanière -là. En réalité, ce n'est qu'au seul nom des droits généraux de la société, qu'1 fraction particulière de la société pourrait un jour revendiquer la suprématie générale sur la société.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 27, le 02 juin 2015

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