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Culture - Table ronde

Diplomatie malade ? SOS culture !

S'il n'existe pas de définition établie de la diplomatie culturelle, un terme anglo-saxon, « soft power », sera sans doute le plus indiqué pour comprendre cette « diplomatie douce » qui permet d'instaurer, entre deux puissances, d'autres rapports que ceux de la pression, de la domination et de l'alliance d'intérêts. Des personnalités du monde diplomatique français, anglais et espagnol étaient réunies à l'Institut français à l'initiative de Skyes, pour débattre des problématiques liées, justement, à ce genre de diplomatie qui vise notamment à l'amélioration de la connaissance des cultures réciproques.

Anne Grillo, directrice de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche au ministère français des Affaires étrangères.

À l'initiative de la Fondation Samir Kassir, dans le cadre du festival du Printemps, une table ronde ayant pour thème « La diplomatie culturelle, entre valeurs universelles et particularités locales » a réuni trois intervenants de marque : Anne Grillo, directrice de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche au ministère français des Affaires étrangères; Eduardo López Busquets (directeur général de Casa arabe, Espagne) et Graham Sheffield (directeur général des arts au British Council). Prenant le rôle de la modératrice, Nora Joumblatt, directrice du festival de Beiteddine, a entamé son introduction en soulignant que « contrairement aux organisations internationales travaillant dans le domaine humanitaire, qui interviennent généralement dans un pays en conflit ou en transition puis repartent, les institutions et les centres culturels internationaux ont souvent une présence plus durable sur le terrain qui leur permet d'avoir un regard différent sur les sociétés. La discussion portera sur ces centres dans un monde en évolution alors que l'on assiste à la montée d'un débat entre partisans des valeurs universelles et défenseurs du relativisme culturel ».
« Je ne doute pas, a-t-elle ajouté avec émotion, que Samir Kassir aurait aimé être parmi nous pour poser toutes les questions que nous soulevons, et sa contribution aurait été aussi brillante qu'intéressante. »
À la question de savoir si la diplomatie culturelle permet d'aller là où les politiques ne peuvent pas accéder, Anne Grillo a répondu par l'affirmative, « parce qu'un politique ira avec ses convictions personnelles et ses idées. C'est normal. Nous (NDLR : les diplomates) pouvons et nous devons aller plus loin que les politiciens ».
Puis, souhaitant expliquer le fonctionnement du « soft power » à la française, elle a ajouté : « Partant du principe que la diplomatie n'est pas uniquement la gestion de la crise permanente, la France a fait le choix d'une diplomatie culturelle globale et universelle, incluant la diffusion de la culture, de la langue, voire de l'art de vivre à la française, mais aussi de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la culture scientifique », note-t-elle, faisant allusion au sacro-saint « réseau » des centres et instituts culturels, premier au monde par sa présence dans 150 pays. Ou du grand opérateur, l'AEFE, qui regroupe, sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, un réseau de 500 écoles où 70 % des élèves sont étrangers.
La France assume, en outre, de porter des valeurs universelles de liberté, d'égalité et de fraternité. Le pays de Voltaire tient particulièrement à son « message culturel ». « Notre message, c'est d'affirmer la centralité de la culture et de l'accès à la culture et la diversité culturelle, pour la liberté et les droits de l'homme, souligne-t-on au Quai d'Orsay, à travers tous les champs de notre coopération, y compris dans notre méthode de travail. La diplomatie, c'est aussi faire la place à l'autre », conclut Anne Grillo.

Colbert ou Shakespeare ?
Sur la route diplomatique, la France avance à sa manière, colbertiste. Là où l'Institut français reste piloté par le Quai d'Orsay (le ministère de la Culture n'est associé que marginalement à l'action culturelle extérieure), le British Council a acquis son indépendance vis-à-vis du Foreign Office (avec le statut d'« association caritative »...) tout comme l'Institut Goethe en Allemagne. À ce sujet, Graham Sheffield a qualifié les rapports existant entre le British Council et le ministère des Affaires étrangères britannique de gouvernance dite à « longueur de bras » (« arm's length »), qui permet de concilier gestion décentralisée et coopération étroite sur le plan stratégique.
« Notre statut est celui d'une organisation d'utilité publique à but non lucratif ("Registered Charity"). Seuls 17 % de notre chiffre d'affaires, qui s'élève à un milliard de pounds, viennent de l'argent public. Le reste vient de l'autofinancement, principalement des cours de langue ("merci aux Chinois !") et de la délivrance des diplômes, de financements privés ou du mécénat, affirme Sheffield. Nous chérissons notre indépendance. Nous ne suivons pas les diktats du Foreign Office. Nous sommes alignés mais nous avons assez d'indépendance et de liberté de mouvement pour traiter de thèmes qui pourraient constituer un challenge aux politiciens. Nous pouvons donc accomplir notre mission de meilleure manière que nos collègues français. » Évoquant les avantages de cette indépendance, il cite « un large éventail de sujets, une œuvre dans la réciprocité et non plus uniquement dans la projection de la culture british à l'étranger ». « Nous ne vendons pas la Grande-Bretagne comme s'il s'agissait d'une campagne de marketing, relève-t-il. Nous travaillons, nous partageons et nous sommes à l'écoute des valeurs de l'autre, nous établissons un débat en toute indépendance et en toute maturité. » Un autre avantage majeur : « Nous pensons à long terme. Les politiciens ne pensent pas plus loin que les prochaines élections, c'est dans leur ADN. »
Au terme de diplomatie culturelle, les British préfèrent « relations culturelles » ou « diplomatie publique ». Il ne s'agit pas spécifiquement de promouvoir l'expertise britannique, mais, dans une optique multilatérale, de situer le pays au centre d'un réseau international. Subtil distinguo qui témoigne, néanmoins, d'optiques distinctes.
Le directeur des arts au British Council est néanmoins d'accord sur le fait que la diplomatie culturelle peut aller plus loin que la politique. Et même venir à son secours. Selon lui, les arts et la culture se doivent d'aller défricher hors des sentiers battus. Là où les valeurs universelles sont mises à épreuve. La culture permet un débat en toute maturité. « Les arts et la culture sont des espaces "safe" », sûrs. Où l'on peut soulever des problèmes que les politiciens auraient du mal à discuter sans provoquer des crises... diplomatiques.

Synergie espagnole
Casa arabe est également une institution relevant du ministère espagnol des Affaires étrangères. Son directeur général, depuis 2012, Eduardo Lopez Busquets, est un diplomate de carrière qui a déjà servi comme ambassadeur au Mozambique et au Swaziland. « Casa arabe », dont les sièges se trouvent à Madrid et Cordoue, est une institution relevant du ministère espagnol des Affaires étrangères. « Nous développons plusieurs activités destinées à renforcer les relations de coopération économique, culturelle et éducative avec le monde arabe, a-t-il indiqué. Il s'agit de faire la promotion du monde arabe en Espagne, pays qui compte près d'un million six cent mille musulmans, et de faire aussi mieux connaître l'Espagne dans le monde arabe. Et cet effort concerne aussi bien les rapports entre États que les rapports entre les peuples arabes et espagnols. Il faut développer les synergies et établir des stratégies. »
« Nous sommes une institution plutôt étatique et nos activités sont liées aux programmations de nos deux sièges. Nous travaillons donc plus dans le virtuel, à travers des publications on line, des vidéos, des publications. Nous sommes un espace public ouvert à toutes les sensibilités, politiques, religieuses, culturelles. Et cela, dans un monde arabe qui est tout aussi complexe que le monde espagnol », a-t-il ajouté.
Si nous sommes un espace public, nous donnons aussi du temps aux activités politiques. C'est ainsi que Casa arabe a accueilli une conférence de l'opposition syrienne. « C'était le moment le plus difficile de ma carrière », a avoué le diplomate. En ajoutant que l'expertise et les contacts de la Casa arabe ont été sollicités maintes fois par des organismes étrangers ou étatiques. « La présence et l'action culturelle, aux contacts publics étrangers, sont souvent les meilleurs capteurs des évolutions de ce monde en changement, le moyen d'en transmettre les palpitations et d'en décrypter les attentes, et donc d'éclairer nos politiques », a conclu Eduardo López Busquets.
Ou quand la culture vient à la rescousse de la diplomatie traditionnelle.

 

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