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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Un dernier shot, et puis s’en va...

Propriété d'un oiseau de nuit invétéré, Chafic el-Khazen, le SkyBar, temple des noctambules libanais, a été ravagé dans la nuit de mercredi à jeudi par un terrible incendie. Un feu dévastateur et suspect qui n'a rien épargné sur son passage. La fermeture, qu'on espère temporaire, du lieu sonne la fin d'un symbole de la nightlife libanaise.

Enfants des bombes ou de l'après-guerre, nos oreilles ont été bercées par des parents mélancoliques. Nostalgiques d'une époque mordorée, de journées ambrées sous le soleil du Coral Beach et du Sporting, prolongées par des nuits en complets et robes longues affolantes. En fait, c'est de ça qu'ils nous parlent essentiellement. De leurs grands soirs, de leurs fêtes à faire envier les bals des Rothschild, de leur indolence un rien arrogante, comme un pied de nez aux conflits qui commençaient à se profiler à l'horizon de cet âge d'or. Ils avaient leur Cave des Roy, leur Grenier, s'envolaient au Flying Cocotte, se trémoussaient au Stereo 70 ou à l'EpiClub et ondulaient leurs corps sur la terrasse du Saint-Georges. S'en est suivi le vide total, sinon un tas de confettis piétinés. Jusqu'au jour où une poignée de Libanais décident de se retrousser les manches pour arracher Beyrouth de son sommeil comateux et redonner à sa nightlife toute son aura d'antan. L'un d'entre eux s'appelle Chafic el-Khazen. En 2006, il élève la nuit libanaise (au propre comme au figuré) sur un toit surplombant Beyrouth et les montagnes libanaises en donnant naissance au SkyBar, très vite devenue la boîte/rooftop iconique du pays.

 

(Lire aussi : Cet été, le SkyBar ne sera pas au rendez-vous)

 

Boîte à souvenirs
De l'extérieur, le SkyBar n'est qu'un bloc de béton au crépi beigeâtre, planté en bord de mer, au cœur de l'immense terrain vague qu'est le Biel. À l'intérieur, rien à voir : c'est le fief d'une microsociété avec ses rites, ses codes, une famille où l'on était souvent grivois et de temps en temps grossier, friqué et parfois vulgaire, mais à l'unanimité fêtards et insouciants. Une boîte iconique, autant adulée par ses habitués qui réservaient leur table ou leur lounge à l'année, que regardé de haut par une coterie pseudo-hipster. C'est un fait : le SkyBar a, pendant huit ans, déchaîné les passions des noctambules libanais. Ce qui n'a pas empêché le plus célèbre des rooftops libanais d'accueillir, depuis 2007, tout un éventail de monde, allant de ceux qui l'ont hissé au rang des meilleurs clubs de la planète à ceux qui l'ont lynché, partisans d'une nuit underground et décontractée. Car, nous avons tous, tour à tour, aimé puis haï ce lieu de nuit.

 

Je t'aime, moi non plus
Nous avons détesté ces centaines de noctambules se cognant aux portes désespérément closes, sous le regard hautain d'une physionomiste presque stalinienne. Affectionné ce sentiment chair de poule, en débarquant et tombant sur un parterre d'expats et d'amis perdus de vue, ces visages rassurants, de retour pour les vacances. Nous avons apprécié faire la fête en plein air avec cette imprenable vue sur un Beyrouth recroquevillé sur lui-même ; mais vomi les effluves de cigares pendant des gosiers de ces messieurs en chemises déboutonnées jusqu'au nombril. Nous avons savouré, sous l'effet des shots offerts par d'adorables barmen, des tubes banalement pop sortis tout droit d'une radio on ne peut plus mainstream, et avons ensuite été assourdis par ce (très) mauvais chanteur de hip-hop. Nous avons souri en regardant les amours naître, les corps se mêler et blêmi à la vue de ces silhouettes enroulées dans des ersatz de Hervé Léger, façon rôti de veau. Remercié ces serveurs infatigables et efficaces, moins ces antipathiques donzelles qui ratissent le bar, juchées sur des compensées qui flirtent avec le double décimètre. Nous étions rassurés en observant ces princes du Golfe faire couler le champagne à flots, du haut de leur balcon, et avons craint le pire lorsque la boîte s'est vue contrainte de fermer pour un soir. Attendu de croiser, à la sortie, Rakan et son extension polaroid ou le garçon aux gardénias qui dépanne après un rendez-vous d'amour. Et nous nous sommes impatientés en attendant nos voitures, au gré de ces berlines qui crissent.

 

Liberté, insouciance
Dans la nuit de mercredi à jeudi la fête a mal tourné ; un feu ravageur broyant le SkyBar, avant même qu'il ne déploie ses ailes pour la saison estivale. Les Libanais, experts au jeté de pierre, se sont empressés de spéculer, avec à l'appui tout genre de théories incongrues et indécentes. L'essentiel est qu'on se souviendra de ce lieu comme un condensé des fantasmes d'un bon noctambule, et une inestimable bouffée d'adrénaline à l'économie libanaise. Une fierté nationale à l'heure où performer dans tout autre secteur devient chimérique. Ce qu'on retiendra du SkyBar, c'est le regard sidéré des étrangers lorsqu'on les fait grimper sur ce dancefloor, plus près des étoiles. Et puis nos soirées, libres et insouciantes, avec des feux d'artifice comme meilleur antidote aux bombes et aux obus... En attendant la suite.

 

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commentaires (1)

Bizarre cet incendie à 03:00 du matin. Bizarre le timing juste avant l'ouverture du Skybar pour la saison estivale. BIZARRE!

Dounia Mansour Abdelnour

01 h 30, le 01 juin 2015

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Commentaires (1)

  • Bizarre cet incendie à 03:00 du matin. Bizarre le timing juste avant l'ouverture du Skybar pour la saison estivale. BIZARRE!

    Dounia Mansour Abdelnour

    01 h 30, le 01 juin 2015

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