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Liban - Distinction

Le prix Kamel Mroué à l’auteur d’un documentaire fustigeant les bulletins télévisés

Le prix Kamel Mroué, décerné en hommage au célèbre journaliste qui a payé de sa vie, en 1966, son attachement à la liberté d'expression, a été attribué à Maya Majzoub, étudiante en master de Media Studies, à l'Université américaine de Beyrouth (AUB), pour son documentaire « Fallen Television ».

La lauréate Maya Majzoub entre Malek et Karim Mroué. Photo Claude Assaf

Une foule nombreuse s'est rendue, le mercredi 27 mai, à l'auditorium Hostle, sur le campus de l'Université américaine de Beyrouth (AUB), pour assister à la cérémonie de remise du prix Kamel Mroué, organisée, en collaboration avec la famille du journaliste disparu, par le Media Studies Program de l'université. Parmi les présents, plusieurs personnalités politiques et du monde des médias, notamment le ministre de l'Information, Ramzi Jreige, les anciens ministres Leila el-Solh, Mohammad Youssef Beydoun, Tarek Mitri, Bassem el-Sabeh, Jean Oghassabian, ainsi que le président de l'ordre de la presse, Aouni Kaaki, et le président du syndicat des journalistes, Élias Aoun.
À l'entrée et à l'intérieur de l'amphithéâtre, la famille est là, accueillant chaleureusement les invités. « Aucun des cinq enfants du grand journaliste n'a embrassé son métier », nous dit sa petite-fille en réponse à une question, mais chacun brille dans le sien, comme pour montrer qu'il les a toujours guidés de là-haut.

Un prix pour une performance hors normes
La lauréate, Maya Majzoub, qui se prête aux feux des projecteurs avant que ne débute la cérémonie, semble radieuse et émue. Et pour cause, ce n'est pas tous les jours que l'on décroche une distinction aussi prestigieuse. Kamel Mroué était un journaliste de très haut niveau, un exemple du professionnel passionné, voué entièrement à sa vocation, un défenseur acharné des principes nationalistes qui allaient de pair avec son énorme soif de liberté. Pour tenter de se hisser à sa hauteur, le prix éponyme ne pouvait récompenser qu'un(e) étudiant (e) ayant effectué un travail universitaire hors normes dans le cadre d'un projet de thèse sur la situation actuelle du métier de journalisme. Maya Majzoub s'est engagée sur cette voie, produisant un documentaire télévisé d'une excellente qualité.
La cérémonie de remise du prix a débuté par une allocution de bienvenue prononcée par Malek Kamel Mroué et par son frère Karim, tous deux arrachés à l'amour de leur père, assassiné dans son bureau en 1966, alors qu'ils n'étaient encore que de très jeunes enfants. Ils ont indiqué, dans leur mot de circonstance, que le fondateur du quotidien al-Hayat – mais aussi du Daily Star et du Le Matin – était « un homme indépendant, qui haïssait le système de parti unique et détestait la pensée exclusive et tyrannique », cette même pensée qui lui a cruellement fauché la vie. Dans une claire allusion à l'échec du pouvoir judiciaire dans la recherche et la sanction des criminels, Malek Mroué a émis l'espoir de « voir un jour s'instaurer une justice qui nous engagerait sur le chemin de la démocratie et de la pluralité ».

Souci de professionnalisme et de créativité
Sur un autre plan, Mroué a évoqué l'incontrôlable développement de « la révolution technologique qui nous impose de devoir examiner les moyens d'aborder ce flot accru d'informations », mettant l'accent sur « la nécessité de faire preuve de professionnalisme » dans l'exercice du métier de journaliste. « C'est ce souci de professionnalisme et de créativité si cher à Kamel Mroué qui a d'ailleurs poussé la famille à relancer le prix, après 40 ans de suspension due au déclenchement de la guerre de 1975 »,a ajouté l'intervenant. En conclusion, les frères Mroué ont saisi l'occasion pour annoncer la prochaine mise en ligne de deux sites sur le réseau Internet, l'un consacré à la biographie et aux nombreuses activités de l'illustre disparu, l'autre au quotidien al-Hayat.
Cette double intervention a été suivie de la projection d'un documentaire relatant la vie professionnelle de Kamel Mroué. Treize minutes prenantes, durant lesquelles l'on suit d'un trait le parcours dense de ce jeune homme né en 1915, qui, dès l'âge scolaire, avait pris en main les rênes du journal de l'école, avant de rejoindre à 17 ans le journal al-Nidaa. Là, il se retrouvait souvent en charge de remplir le rôle des éditeurs absents, publiant parfois à lui seul le journal, et rêvant qu'un jour il créerait le sien propre. Ce fut chose faite après son retour d'exil dû à son activisme contre le mandat français qui avait remplacé l'occupation ottomane. Dépourvu de moyens, hormis sa détermination et l'encouragement de Gebran Tuéni qui lui avait aménagé une salle dans les locaux du Nahar, l'ancien étudiant de l'AUB parvient, en 1946, à donner vie à al-Hayat, malgré les 55 quotidiens déjà existants sur le marché de l'époque. En quelques mois, son journal devient l'un des plus influents du Liban, mais aussi de Jérusalem, Damas, Amman et Bagdad.

Le prix du combat
Puisées dans les archives personnelles du célèbre journaliste, des images inédites nous montrent un jeune homme fringant, souriant à la vie et à al-Hayat. Il modernise le journalisme arabe en inventant des structures pour simplifier les caractères de manière à les adapter aux claviers latins utilisés internationalement. Parallèlement, il procède à l'impression du journal en couleurs, alors que les autres journaux sont encore au noir et blanc. Ces derniers, en outre, paraissent à midi, tandis qu'al-Hayat est imprimé et publié dès l'aube. Et alors que les autres quotidiens se cantonnent aux informations strictement locales, al-Hayat traite principalement des questions arabes et internationales.
La biographie montre aussi comment, allant jusqu'au bout de ses convictions, Kamel Mroué lutte, au moyen de sa plume, contre le socialisme prôné par le parti nassérien et les mouvements baassistes, stigmatisant les dictatures arabes révolutionnaires et leur claire tendance à étouffer les libertés. Mais ces régimes obscurantistes détiennent, eux, d'autres armes, et Kamel Mroué tombe sous leurs balles, payant fort le prix de son combat pour l'indépendance du journalisme.
Sous des applaudissements nourris, le documentaire biographique prend fin, et en attendant de visionner le court-métrage qui a remporté le prix, l'assistance est invitée à faire une petite pause autour de boissons rafraîchissantes. Une observation amère se lit sur bien des visages : « Au fil du temps, les tueurs changent, mais leurs crimes odieux contre la liberté restent les mêmes. »

Les valeurs éthiques du métier
Place enfin au documentaire primé, intitulé Fallen Television, dans lequel la jeune réalisatrice analyse et critique sans distinction l'impact des diverses forces politiques, religieuses, économiques et culturelles sur les chaînes télévisées locales, toutes soumises à leur pouvoir. Maya Majzoub dénonce sans aucun ménagement ces facteurs complexes qui lient, de la naissance de la télé à nos jours, la production des journaux télévisés, les empêchant de fournir une information honnête. Au moyen d'extraits tirés des archives des différentes chaînes (Télé-Liban, LBC, Future, MTV, OTV, Manar, NBN, al-Jadeed), le documentaire primé scrute ce monde de la télé qui se montre sensible aux pires démons du confessionnalisme, des intérêts politiques, de l'idéologie commerciale et de la corruption.
Face à une situation aussi déplorable, dans laquelle la technologie laisse apparaître l'envers de la médaille, le prix Kamel Mroué est désormais lancé pour encourager les jeunes talents à s'éloigner des tentatives d'aliénation et à développer leur sens critique afin de s'acheminer enfin vers une information pluraliste et indépendante qui respecte le lecteur, l'auditeur et le téléspectateur à travers une application stricte des valeurs éthiques du métier.

 

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Une partie du Liban est partie avec Kamel Mroué. Al-Hayat et Le Matin faisaient partie de mes lectures quotidiennes. Chaque fois que je passais à Beit-Méry je regardais à droite pour apercevoir Kamel Mroué... Il était l'un des grands de la presse libanaise aux côtés de Ghassan Tuéni, Georges Naccache, Charles Hélou, Michel Chiha, Salim Laouzi, les frères Metni, Saïd Freiha, Iskandar Riachi, Nsouli, Elias Harfouche, Camille Chamoun (Ahrar) Ahmad Sabeh, Khalil Gemayel, Michel Abou-Jaoudé...

Un Libanais

10 h 56, le 29 mai 2015

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Commentaires (1)

  • Une partie du Liban est partie avec Kamel Mroué. Al-Hayat et Le Matin faisaient partie de mes lectures quotidiennes. Chaque fois que je passais à Beit-Méry je regardais à droite pour apercevoir Kamel Mroué... Il était l'un des grands de la presse libanaise aux côtés de Ghassan Tuéni, Georges Naccache, Charles Hélou, Michel Chiha, Salim Laouzi, les frères Metni, Saïd Freiha, Iskandar Riachi, Nsouli, Elias Harfouche, Camille Chamoun (Ahrar) Ahmad Sabeh, Khalil Gemayel, Michel Abou-Jaoudé...

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