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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’histoire de la psychanalyse -4- L’École de Nancy et la suggestion

Si, comme nous l'avons vu la dernière fois, Freud apprit auprès de Charcot la conversion hystérique, soit le passage du psychique au somatique ou comment la parole peut s'incarner dans le corps, l'existence active d'une mémoire oubliée qu'il allait appeler inconscient et l'origine sexuelle des symptômes hystériques, il allait apprendre auprès de Hyppolyte Bernheim (1840-1919) et Ambroise Auguste Liébeautl (1823-1904), les maîtres de l'École de Nancy les pouvoirs de la suggestion. Comme le dit Elisabeth Roudinesco, « une clinique de la parole se substituait à la clinique du regard ».
Pour Ellenberger, « si Liébeault peut être considéré comme le père spirituel de l'École de Nancy, son véritable chef de file fut Hippolyte Bernheim ». Dans De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, publié en 1886, Bernheim s'oppose à Charcot en soutenant que l'hypnose n'était pas un état pathologique particulier aux hystériques mais qu'on pouvait l'obtenir par la suggestion. Pour lui, la suggestion « est l'aptitude à transformer une idée en acte » et on peut obtenir les mêmes effets que ceux de l'hypnose par la suggestion à l'état de veille. Cette suggestion à l'état de veille est l'originalité de l'École de Nancy qui lui donna le nom de psychothérapie.
Mais au moment où Freud s'intéressa à l'École de Nancy, c'est-à-dire en 1889, soit quatre ans après son stage à la Salpêtrière auprès de Charcot, ce qui le préoccupait plutôt était de savoir si on pouvait obtenir les mêmes résultats thérapeutiques et d'investigation avec ou sans hypnose. Il ne réussissait pas à hypnotiser tous les patients et ne pouvait « plonger tout le monde dans une hypnose aussi profonde qu'il l'eût souhaité ». Il ne pouvait donc qu'être sensible aux travaux de Bernheim sur l'amnésie post-hypnotique, à savoir qu'elle n'était pas aussi complète qu'on voulait bien l'admettre alors et qu'on pouvait, après le réveil, amener le patient à se rappeler tout ce qui s'était passé sous hypnose.
L'été 1889, Freud se rendit à Nancy pour rencontrer Bernheim et Liébeault. Il emmena avec lui Anna von Lieben ou Frau Cäcilie. Lorsque Freud demande à Bernheim de plonger dans une profonde hypnose la patiente qu'il avait amenée avec lui de Vienne, ce que lui-même ne pouvait pas faire, non seulement Bernheim n'y arrive pas, mais il reconnaît devant Freud « n'avoir jamais obtenu ses grands succès thérapeutiques par la suggestion ailleurs que dans sa pratique d'hôpital, et pas sur les malades qu'il avait en ville ».
Freud était à la recherche d'une technique qui lui permettait d'accéder à la mémoire oubliée du patient. Si la suggestion lui avait permis d'abandonner l'électrothérapie, elle ne tarda pas à le décevoir. En 1914, dans « Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique », il n'hésita pas à parler « d'interdiction suggestive, monotone, violente, incompatible avec l'exploration proprement dite ». Avec Joseph Breuer (1842-1925), le mentor qui eut une influence décisive sur son parcours, Freud avait réussi à mettre en évidence l'importance des souvenirs traumatiques à l'origine des symptômes hystériques. À la différence de Breuer, Freud leur attribuait une connotation sexuelle.
Progressivement, grâce entre autres à cette patiente hystérique qui lui dit, alors qu'il la harcelait de questions, « mais taisez-vous et laissez-moi parler », il en vint à adopter l'association libre des pensées et à se retirer derrière le divan : « J'abandonnai donc l'hypnose et ne retins d'elle que la position couchée du patient sur un lit de repos derrière lequel j'étais assis, de sorte que je le voyais, mais sans être vu de lui. »
Dans sa pratique, Freud avait compris que l'hypnose induisait une grande dépendance. Elle peut guérir un symptôme, mais elle en instaure un autre : la soumission au thérapeute. Il a appelé cet état « Névrose de transfert ». Comme le souligne Ellenberger à propose de l'hypnose : « Le patient abandonne totalement sa volonté à celle d'un autre, l'un étant revêtu de tout pouvoir et l'autre se montrant passif et soumis. »
En bon romantique mais également en homme des Lumières, Freud faisait sienne cette réflexion de Kant : « Les Lumières, c'est la sortie, pour l'homme de la minorité, dans laquelle il s'était lui-même engagé. La minorité, c'est l'incapacité d'user de sa propre raison sans se laisser guider par un autre. »
Ainsi la découverte de la psychanalyse allait instaurer une rupture épistémologique unique dans l'histoire des psychothérapies : une pratique psychothérapeutique qui guérit les symptômes mais qui ne soumet pas le patient à la volonté du thérapeute. Au contraire, à terme, elle l'en libère, de même que de toutes les figures tutélaires.

Si, comme nous l'avons vu la dernière fois, Freud apprit auprès de Charcot la conversion hystérique, soit le passage du psychique au somatique ou comment la parole peut s'incarner dans le corps, l'existence active d'une mémoire oubliée qu'il allait appeler inconscient et l'origine sexuelle des symptômes hystériques, il allait apprendre auprès de Hyppolyte Bernheim (1840-1919) et Ambroise...

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