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Lifestyle - La mode

L’art (conceptuel) de Sarah’s Bag

Le coup d'envoi de la Beirut Design Week sera donné lundi prochain 1er juin, avec pour thème « Social Beings », soit l'être social. C'est dans ce cadre dynamique où 150 exposants à travers Beyrouth attendent près de 4 000 visiteurs par jour, que Sarah Beydoun célèbre le 15e anniversaire de son entreprise. À occasion exceptionnelle, concept exceptionnel, que la créatrice lance, comme toujours, avec la contribution des brodeuses prisonnières avec lesquelles tout a commencé.

Détail de broderie des nouvelles œuvres de Sarah’s Bag.

À la prison de Baabda règne une activité fébrile. C'est dans cet ancien dispensaire attenant à l'hôpital public et au sérail de la bourgade que Sarah Beydoun a lancé, en 2000, son premier atelier de broderie. Une entreprise qui n'aurait jamais pu voir le jour sans l'intervention de l'ONG Dar el-Amal présidée par Hoda Kara. Car il n'est pas anodin de mettre à la disposition des détenues du matériel potentiellement dangereux, compte tenu du contexte et de la fragilité de certaines pensionnaires. Grâce à l'ONG, une pièce de la prison est désormais consacrée aux activités, notamment aux sessions de formations destinées à préparer la réinsertion des détenues à leur sortie de prison. C'est là que Sarah et son équipe peuvent rencontrer les chevilles ouvrières de Sarah's Bag, leur confier les fournitures, prendre livraison des travaux finis et contrôler les travaux en cours. Entre la prison de Baabda, celle de Tripoli et les détenues libérées qui poursuivent leur travail à l'extérieur en formant d'autres femmes, ce sont non moins de 200 personnes qui brodent aujourd'hui pour le label le plus équitable de la mode libanaise. Car il s'agit bien de mode, mieux, d'objets de désir, quand on parle de ces sacs qui font désormais le tour du monde des boutiques élégantes et pointues, y compris Colette à Paris, et s'affichent au bras des célébrités en vue, y compris reines et princesses.

Par cars entiers...
Dans l'univers carcéral, les journées se déroulent sans but, rythmées par des réveils glauques dans des chambres surpeuplées, ménage, toilette, promenade de 50mn par groupe sur le toit grillagé, repas, vaisselle et un peu de télé. Celles qui se trouvent là purgent des peines de durées inégales, les unes pour assassinat (souvent d'un mari violent), d'autres pour trafic de drogue, d'autres encore pour avoir protégé un proche accusé d'espionnage. La plupart ont des enfants qui grandissent loin d'elles, qu'il leur est parfois pénible de revoir dans le contexte sordide d'un parloir. Quand Sarah Beydoun a lancé son projet, il y a quinze ans, elle travaillait son mémoire de sociologie sur les femmes en prison. C'est le R.P. Chamussy qui lui a conseillé, au lieu d'écouter passivement les détenues, de créer une activité avec elles. À l'époque, nous confie-t-elle, son frère ramenait des États-Unis des stocks d'invendus dans lesquels se trouvaient des sacs de bonne qualité. Constatant que la broderie des perles faisait partie des premières activités instaurées dans les prisons libanaises, elle a l'idée de faire broder ces sacs par les pensionnaires, contre salaire. « Au début, c'était rudimentaire, je décalquais des motifs. Par la suite, j'ai découvert qu'on pouvait imprimer sur le cuir et la toile. Ce fut un tournant. L'équipe s'est étoffée de designers graphiques. Sarah's Bag est devenue une marque avec une identité pop, amusante avec une touche de glamour. Pour les clientes, l'idée d'encourager d'autres femmes, de les aider à retrouver leur dignité et à préparer leur réinsertion était un argument important. » En effet, avec une communication bien ciblée et des articles attachants, la renommée de Sarah's Bag franchit les frontières. Aux grandes saisons touristiques, on vit même des cars entiers déposer des voyageuses à la porte de la nouvelle boutique, rue du Liban, un cadre pastel et ouaté, à mille lieues du décor des prisons. Les comptes Facebook et Instagram de la marque comptent des dizaines de milliers d'abonnés. Les sacs de la marque arpentent les tapis rouges de la planète et leur histoire, entre émotion et création, écume la toile et les médias.

De l'artisanat à l'art
Le moment est venu de lever un coin de voile sur le projet en cours, le projet anniversaire de Sarah's Bag. Quinze ans, c'est de la durée, c'est de la persistance, de la ténacité, de l'enthousiasme. Pour célébrer dignement cette date butoir, Sarah Beydoun a décidé de rendre aux prisonnières ce qu'elles ont apporté à l'entreprise en leur offrant l'opportunité d'exprimer leur vécu dans leur travail. Au départ, Dar el-Amal, qui avait collecté leurs impressions, prévoyait de les publier dans un livre. Il fut proposé à Sarah's Bag de créer une pochette spéciale dans laquelle ce livre serait présenté et vendu. Mais dans la perspective de la Beirut Design Week, cette idée en a entraîné une autre : pourquoi ne pas sortir, pour une fois, de la tradition du sac, en réalisant des œuvres à part entière, et pour tout dire, des toiles brodées ? Chaque prisonnière raconterait son histoire en symboles. Au départ de chaque projet, on fixerait un objectif financier. Les unes consacreraient ce travail à financer l'éducation de leurs enfants, d'autres à contribuer au règlement de leur caution. Les objectifs abondent. En ce mois de mai, certaines prisonnières rendent hommage à la Sainte Vierge et brodent son effigie encadrée de merveilleuses guirlandes de fleurs. Rahmé est tombée amoureuse. Ce fut une grande et belle histoire platonique, une de ces histoires pures et fusionnelles qui occupent la durée insupportable de la détention. Et puis « il » a disparu. Après cinq ans de visites régulières, il n'est plus jamais revenu. Mais il a inspiré une toile puissante au milieu de laquelle trône un cœur organique, vibrant, entouré de ces hachures noires qui servent à compter les jours, quand on a des jours à compter. Maria est brésilienne. Le bonheur est chez elle presque une vocation. Sa toile représente deux sublimes poissons d'argent entrelacés, deux porte-bonheur éclatants encadrés par une maxime en arabe : « Fais du bonheur une habitude ». Les dessins sont réalisés par les designers de la marque et bridés par les petites mains de derrière les barreaux.
Qu'on se le dise, Sarah's Bag est en train de toucher, à partir du savoir-faire de ses ouvrières, à l'art tout court. Conceptuel, contemporain éminemment.

À découvrir à partir du 2 juin à la boutique Sarah's Bag, 100 rue du Liban, imm. Mehanna.

 

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commentaires (1)

Magnifique! Merci Sarah B.

Christine KHALIL

22 h 51, le 27 mai 2015

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Commentaires (1)

  • Magnifique! Merci Sarah B.

    Christine KHALIL

    22 h 51, le 27 mai 2015

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