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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Une nuit sur l’épaule d’une « hezzézé »

Le rituel de la soirée sur « la véranda » a toujours été et demeure le dénominateur commun de la nuit de tout Libanais, qu'il soit propriétaire d'un vaste loft dans l'un des carrés d'or de Beyrouth ou détenteur d'une kherbé dans un petit village...

Tout apparaît toujours plus beau en mai, mais à Beyrouth peut-être encore plus qu'ailleurs, quand la grisaille de ce long hiver fait place à une explosion de couleurs et de senteurs. Sauf qu'en début de semaine, le mercure des thermomètres a flirté avec la barre des quarante degrés Celsius. Alors que le Liban osait le vert et les pastels, la canicule a débarqué pour refermer la parenthèse d'un doux printemps. Même les nuits, d'habitude clémentes, ont sorti leurs séchoirs d'air chaud. Une occasion pour les Libanais de ne pas manquer à un rituel qui leur tient particulièrement à cœur : l'investissement de leurs terrasses et balcons l'espace d'une soirée. Ou pourquoi pas, d'une nuit.

À tous vents, plus près du ciel
Avec les premiers balbutiements d'avril, alors que les journées s'alanguissent, on découvre d'un fil les tapis naphtalinés et on les dore sous les derniers rayons d'un soleil fainéant. On asperge le sol en mosaïque à grands coups d'eau de Javel, on ressuscite comme par miracle les plantes négligées tout l'hiver. Des hortensias plantés dans des boîtes de conserve Tatra, des géraniums comme un baiser charnu, des gardénias qui picotent le nez ou, pour les plus veinards, un bougainvillier qui tend les bras au ciel. On installe le mobilier d'extérieur : rocking chairs en fer forgé rouillées, récupérées de la maison familiale de Aley, le set en osier synthétique façon Mobilitop, ou des planches en bois en mode récup'. Et puis évidemment, la « hezzézé », notre balançoire nationale imprimée de fleurs baba cool, qu'on se promet de remplacer chaque fin d'été, mais qu'on finit par conserver même si elle tombe en ruine. Pour les souvenirs et la « baraké », car c'est sur cette « hezzézé » que la grand-mère défunte roulait les meilleures feuilles de vigne farcies...

Hors du temps
À la tombée de la nuit, tout un petit monde commence à s'agiter sur les quelques mètres carrés de la terrasse. Le père de famille ayant dégainé sa « flanelle » se met au barbecue, des brochettes de viande marinée aux sept épices et soigneusement enroulées dans du papier alu. Les premiers effluves de charbon se mêlent à l'odeur inimitable du Catol, ce serial killer d'insectes qu'on ne retrouve probablement plus qu'au Liban. Sous la vigne de laquelle pend une ampoule néon, on sert du whisky ou de l'arak en suivant la règle d'or « un tiers d'arak dans deux tiers d'eau » et on accompagne ce « kés » de crudités ramenées de nos contrées lointaines. Les mâchoires craquent sur des amandes vertes ou des « janérik » trempées de sel, les mains s'activent sur des gousses de fèves ou des pistaches grillées. On rit de choses simples, discute de la canicule, du prix de l'essence ou des péripéties de 3echk el-Aswad, le dernier feuilleton turc. On effrite un paquet de Fournier pour une partie de bériba ou un tour de voyance, improvise une salsa en matant la finale de Dancing With The Stars. On bulle un narguilé, grille une cigarette et expose son visage à la brise du ventilo bruyant. Et puis, une fois les copains repartis, le ventre plein, on s'étend sur la balançoire. Comme pour cultiver ce moment d'éternité et d'apaisement dans une ville que l'on dit perpétuellement en train de sombrer dans la violence. On se laisse ainsi bercer jusqu'au vertige par le son des joints grinçants. La tête dans les vapes.
Ou peut-être quelque part sur la véranda de notre enfance...

 

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