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Moyen Orient et Monde - Anniversaire

Quinze ans après la réunification, le Yémen au-delà des raccourcis médiatiques

Patrice Gourdin, historien français et professeur à l'école de l'Air, et François Burgat, politologue, directeur de recherche à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam), analysent les causes profanes des limites du processus d'intégration national au Yémen au moment de la réunification.

Le Yémen, qui fut pendant longtemps le creuset de l'arabité et un foyer de civilisation historique, a fondé au cours de l'histoire une identité nationale forte qui explique jusqu'à ce jour la persistance d'un sentiment national affirmé malgré les facteurs de désunion.
Autrefois, pays de la prospérité économique et plaque tournante des échanges commerciaux entre l'océan Indien et la mer Méditerranée, par sa position privilégiée de carrefour, le Yémen est aujourd'hui un pays pauvre en proie aux conflits à répétition. Au-delà de la grille interprétative communautaire et des contentieux historiques claniques invoqués comme mode d'explication majeure des crises qui déchirent le Yémen, la réunification du 22 mai 1990 s'est heurtée à un ensemble de facteurs objectifs qui ont alimenté la dynamique des conflits. À l'occasion de l'anniversaire de la réunification du Yémen, Patrice Gourdin, historien français et professeur à l'école de l'Air, et François Burgat, politologue, directeur de recherche à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam) à Aix-en-Provence, analysent les causes historiques et politiques qui ont sapé le processus d'intégration national.

Division et marginalisation
Historiquement, le découpage territorial des deux Yémen est le produit d'un héritage colonial. Si le nord du Yémen a connu la présence ottomane, le sud a été sous protectorat britannique jusqu'en 1967. La réunification qui intervient en 1990 est problématique à plusieurs égards. François Burgat rappelle l'importance du déséquilibre démographique.
« La réunification de 1990 avait pour ambition de faire coexister deux partenaires de taille très disproportionnée. Le seul rapport démographique était, au bénéfice du Nord, de un à quatre. Cette réunification a dégénéré ensuite dans une brève guerre civile qui a débouché sur une victoire militaire du Nord, ce qui a conforté au Sud le sentiment d'appartenance à une minorité vaincue. La construction de l'État yéménite s'est fait également sur une toile de fond d'austérité économique extrême », affirme le politologue. Le Sud apparaît très tôt marginalisé tant par sa faiblesse démographique que par le centralisme autoritaire et les orientations prises par le régime du Nord où l'élite dirigeante accapare le pouvoir. Cette politique de marginalisation et d'exclusion est renforcée par l'attitude du président Ali Abdallah Saleh envers la rébellion de 1994 qui revendiquait alors un partage équitable. « L'armée du président Saleh a écrasé le mouvement et les clans nordistes alliés au président ont renforcé leur emprise sur le Sud. Des pratiques discriminatoires ont également été instaurées (quotas pour l'accès à l'université, portion congrue dans la redistribution de la rente pétrolière, notamment). Afin de diviser les populations au Sud autant qu'au Nord, le président Saleh favorisa le fonctionnement des mécanismes tribaux. Le tribalisme d'État déjà en place au Nord s'étendit vers le Sud », explique l'historien Patrice Gourdin pour qui les clivages tribaux ne sont pas les seuls facteurs de divisions dont il convient de tenir compte. Selon lui, la rébellion houthie qui s'est structurée comme opposition aux politiques de marginalisation multiformes des populations chiites zaydites des montagnes du Nord va se heurter à l'hostilité viscérale du pouvoir central.

 

Rébellions, les soubassements de la lutte
L'historien rappelle que cette rébellion débute avec l'abolition en 1962 de l'imamat zaydite qui connaît une continuité historique depuis 897. « Une première révolte, menée par l'imam déchu, Mohammad al-Badr, ensanglanta la République arabe du Yémen de son indépendance (1962) à 1970. La paix fut alors restaurée moyennant la tolérance d'une large autonomie des montagnards du Nord. Revers de la médaille : ces derniers n'inspirèrent qu'une confiance limitée aux détenteurs du pouvoir à Sanaa qui les tinrent à l'écart des fonctions et des ressources. Un cercle vicieux se mit donc en place : la défiance provoquait la marginalisation qui suscitait le mécontentement et l'agitation, qui renforçaient la défiance. Cette situation entraînait l'achat du soutien d'une partie des tribus, le vote d'autres en faveur des partis d'opposition, notamment al-Haq. En 2004, une partie des habitants de la province de Saada prirent les armes derrière Hussein Bader al-Din al-Houthi. »

François Burgat explique pour sa part que le conflit n'était pas au départ sectaire, mais l'action de Ali Abdallah Saleh va progressivement donner corps à cette vision. Il précise que « c'est le chef de l'État lui-même qui a fait pour les stigmatiser des références systématiques à l'appartenance confessionnelle de ceux qui lui adressaient en fait des critiques banalement politiques, lui reprochant sa soumission aux exigences sécuritaires des États-Unis au lendemain des attentats du 11-Septembre. Le cynisme de Saleh l'a conduit, au lendemain de sa déposition, à s'allier à ceux qu'il avait combattus, et, en changeant de camp, à surfer sur la division sectaire qu'il avait lui-même contribué à creuser ». Le politologue insiste sur la lourde responsabilité américaine « l'interventionnisme massif et intrusif, au lendemain des attentats du 11-Septembre, qui a été à l'origine de ses fractures politiques les plus importantes. Celle d'abord, qui a donné naissance à la lutte contre l'organisation el-Qaëda, à laquelle l'arrivée au pouvoir des houthis a donné une dimension sectaire particulièrement dangereuse. Mais tout autant, ce sont les exigences sécuritaires américaines qui ont donné naissance au début des années 2000 à la rébellion houthie », rappelle-t-il. L'habileté consommée de Ali Abdallah Saleh à jouer des rivalités entre les différentes composantes de la société s'épuise en 2011. « La "jeunesse révolutionnaire" composite et peu organisée en 2011, qui a lancé une protestation populaire peu idéologisée, a très vite reçu le soutien de l'opposition traditionnelle, très solide au Yémen. Le camp des révolutionnaires a de surcroît reçu l'appui décisif d'une partie de l'armée qui a fait défection en sa faveur et a conduit à la déposition du président au profit de son second, Abderabo Mansour Hadi, qui a pris sa succession. Mais le président déchu, resté aux commandes de l'un des deux partis au pouvoir, est demeuré extrêmement actif dans les coulisses, ensuite aux premiers rangs de la contre-révolution. » La lutte pour le contrôle du pouvoir est toujours en cours, tandis que la construction de l'État est encore « inachevée », selon Patrice Gourdin pour qui « aucune des deux entités n'est sortie des modes de pouvoir et de régulation traditionnels d'une société dominée par le phénomène tribal. Rivalités et manipulations se conjuguèrent pour entretenir l'instabilité ».

 

Riyad et la volonté de maintenir « le Yémen dans l'état le plus faible »

L'Arabie saoudite a constamment cherché à étendre son influence au Yémen. Dans cette optique, elle a été amenée par le passé à déployer une stratégie de satellisation et de clientélisation des élites. La nécessité de maintenir le Yémen dans son orbite a conduit Riyad, au gré des contextes politiques, à appliquer la doctrine du diviser pour mieux régner. En 1934, l'Arabie saoudite conquiert les provinces Asirr, Nejran et Jizane. En 1990, des milliers de travailleurs sont expulsés du territoire saoudien en réaction à l'appui du régime yéménite à Saddam Hussein dans le conflit avec le Koweït. En 1994, l'Arabie saoudite apporte son soutien financier aux mouvements sécessionnistes du Sud. En 1998, Riyad fut accusé d'être impliqué dans l'assassinat du président Ibrahim al-Hamdi. François Burgat rappelle cependant que « cette influence est tout sauf idéologique et religieuse. Elle est en fait extrêmement pragmatique, son objectif essentiel étant de garantir la stabilité du trône des Saoud bien plus que d'exporter, comme on le lit souvent, l'idéologie " wahhabite " qui leur est accolée « Les Saoud ont, dans un premier temps, fort long, rien fait pour empêcher la montée en puissance militaire des houthis dont ils considéraient qu'elle avait pour effet d'affaiblir le parti al-Islah, proche des Frères musulmans, dont ils jugent qu'ils représentent une menace plus immédiate que leurs concurrents chiites. Ils ont également laissé et peut-être même encouragé ces houthis (chiites) à fermer manu militari l'institut d'obédience salafie (et donc sunnnite) de Dammaj, dont ils craignaient la prolifération sur leurs terres », dit-il.

Cette analyse est partagée par Patrice Gourdin pour qui la priorité absolue de Riyad est de maintenir le Yémen dans l'état le plus faible possible pour assurer la sécurité du royaume et préserver le pouvoir de la dynastie qui le contrôle. Analysant l'intervention de Riyad le 26 mars 2015 à travers l'offensive « tempête de la fermeté » et les termes d'un compromis politique acceptable pour l'Arabie saoudite, Patrice Gourdin estime fort probable que « Riyad ne s'accommode que d'un pouvoir yéménite inféodé, d'un État satellite ». « Or cela semble hautement improbable pour trois raisons. D'abord, la fragmentation religieuse, la segmentation tribale et les aspirations autonomistes se conjuguent pour empêcher l'émergence d'un État de droit exerçant effectivement son autorité sur l'ensemble de la population. Ensuite, le règlement des contentieux frontaliers (amputations opérées par Ibn Saoud entre 1921 et 1934, nappes aquifères et gisements d'hydrocarbures à la clé) par le traité de 2000, ainsi que les manœuvres diverses de l'Arabie saoudite visant à affaiblir le pays alimentent un sentiment antisaoudien d'une partie de la population. Les sympathies prosaoudiennes du gouvernement de Sanaa seraient donc inopérantes auprès d'une partie de la population. Ajoutons enfin l'engagement de l'Iran. Ce dernier est en rivalité pour la puissance régionale avec l'Arabie saoudite, et aucun des deux ne renoncera aisément à la carte yéménite », conclut Patrice Gourdin.

 

Percée des houthis vers le nord

La coalition arabe a maintenu la pression, hier, sur les rebelles chiites en bombardant leurs positions au Yémen où des tribus progouvernementales ont réalisé une percée dans le nord, selon des sources tribales et militaires. Des avions de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite ont bombardé à deux reprises un rassemblement de rebelles houthis sur une colline surplombant Taëz (Sud-Ouest) après une attaque au mortier contre des quartiers de la ville, a indiqué un responsable provincial. Des dépôts d'armes d'unités militaires restées fidèles à l'ancien président Ali Abdallah Saleh, un allié des houthis, ont été visés par les raids aériens à Dhamar et al-Baïda, dans le centre du Yémen, selon des habitants. Dans le sud, les raids ont pris pour cible plusieurs positions de la rébellion à Dhaleh, tandis que la base aérienne d'al-Anad, dans la province de Lahj, a été visée par trois raids, selon des sources militaires. Dans la province d'al-Jawf (Nord), des hommes armés de tribus, engagés aux côtés des forces pro-Hadi, ont réussi à prendre la région d'al-Yatamah, à la frontière avec l'Arabie saoudite, selon des sources tribales. Soutenus par des avions de la coalition, les hommes de tribus tentent désormais d'avancer vers la région de Buq'a, qui relève de la province de Saada, le fief des rebelles houthis, ont ajouté ces sources. Au plan politique, l'Iran, qui a dénoncé l'intervention saoudienne, a répété son soutien à un dialogue entre les différents protagonistes au Yémen, sans interférence étrangère, à l'occasion d'une visite à Téhéran de l'envoyé spécial de l'Onu pour le Yémen, Ismaïl Ould Cheikh Ahmad.

 

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commentaires (2)

LA CRISE YÉMÉNITE NE PEUT ÊTRE RÉSOLUE À COUPS DE CANONS ! SINON, CE SERAIT UNE LONGUE GUERRE ET LES YÉMÉNITES SONT RÉPUTÉS BATAILLEURS, NE FLÉCHISSANT GUÈRE DEVANT LES AUTRES. SEULE... LA SOLUTION NÉGOCIÉE ET POLITIQUE EST VIABLE POUR CE PAYS...

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 51, le 22 mai 2015

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Commentaires (2)

  • LA CRISE YÉMÉNITE NE PEUT ÊTRE RÉSOLUE À COUPS DE CANONS ! SINON, CE SERAIT UNE LONGUE GUERRE ET LES YÉMÉNITES SONT RÉPUTÉS BATAILLEURS, NE FLÉCHISSANT GUÈRE DEVANT LES AUTRES. SEULE... LA SOLUTION NÉGOCIÉE ET POLITIQUE EST VIABLE POUR CE PAYS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 51, le 22 mai 2015

  • Dans tout se déblatérage je ne voies pas dsns quoi le Yémen est le garant de la continuité de la famille régnante !! Aucun rapports meme si KSA a tjrs satelite le Yémen, je vois pas le rapport du tout

    Bery tus

    03 h 23, le 22 mai 2015

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