Évidemment, nos frontières ne sont pas saines. Pas un jour sans qu'il ne soit fait état d'attaques et de tentatives d'infiltration d'islamistes dans le « jurd ». Un mot qui signifie « désolation », et désigne les flancs et sommets déserts de l'Anti-Liban. Là-bas vivent ces populations des confins qui ignorent la géographie et les cartes, n'appartenant qu'au territoire où leurs habitations précaires survivent à la cruauté des éléments ; où leurs troupeaux paissent au printemps l'herbe folle qui succède à la neige ; où l'étoile du berger retrouve son rôle ancestral quand on s'est trop éloigné et qu'il faut trouver le chemin du retour au cœur de la nuit. Où, le reste du temps, on s'ennuie. Est-ce le Liban ? Est-ce déjà la Syrie ? Les limites tracées à la règle, sur papier, semblent insensées sur le terrain. Les chemins de contrebande abondent et avec eux les contrebandiers, passeurs de toutes sortes de denrées, y compris d'êtres humains. On l'a toujours su, cette longue bande fluctuante, inaccessible sinon par ceux qui en connaissent le moindre sentier, caillou ou buisson, n'a de frontière que le nom.
De « pourquoi » ou de « quand », quelle est la question la plus pertinente ? Pourquoi sommes-nous relativement épargnés par la fureur qui embrase toute la région ? Quand notre tour viendra-t-il, et viendra-t-il? L'armée syrienne, pourtant nombreuse et équipée, semble elle-même débordée, notamment à Palmyre. Ferions-nous le poids si ces collectionneurs de cités antiques décidaient de nous envahir ? Qu'aurions-nous d'ailleurs à leur céder sinon les six colonnes résiduelles de Baalbeck, le ravissant petit temple de Bacchus et quelques vieilles pierres, certaines mangées de broussailles dans des jardins perdus, d'autres convoitées par la mer qui en a déjà emporté un lot. De dieux, point, sinon celui, ineffable, de nos dix-sept confessions, et qu'ensemble nous prions de toute notre ferveur pour qu'il les garde à distance.
Ils ont pris Palmyre, ils briguent le reste du désert. On ignore toujours qui ils sont, d'où ils viennent, ce qu'ils veulent, qui les dirige vraiment. L'été s'installe, bientôt les territoires qu'ils occupent à ce jour se transformeront en fournaises. Continueront-ils à avancer ? Pourront-ils conserver leurs positions, notamment les champs gaziers et pétroliers qu'ils prétendent exploiter ? Bénéficient-ils de complaisances ? Leur stratégie n'est-elle que médiatique, appuyée sur quelques mises en scène cruelles, outrageuses et bon marché ? Leur réputation est-elle surfaite, leur puissance une rumeur? Tout cela n'est-il qu'un film de mauvais goût joué par des hordes prétendument primitives pour impressionner la civilisation d'un millénaire déboussolé ? Et dans ce cas, qui en est le réalisateur ? Bleu et blond en cette saison de mariages, de retours, de fêtes et de paillettes, le Liban enfouit sa tête dans le sable des plages. Oasis ou mirage ? Parfois, il suffit d'ignorer les spectres pour les empêcher d'exister.
Fifi ABOU DIB
Dans le ciel qu’on voit...
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 21 mai 2015 à 00h00
commentaires (4)
Oui à jour nous vivons dans un autre monde plus joli loin de ce spectre du Mal mais la Syrie aussi n ' est pas loin .
Sabbagha Antoine
23 h 02, le 21 mai 2015