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Liban

Les noces rouges de Sarah

Elle n'en croyait pas ses oreilles, Sarah, quelques heures avant sa mort tragique. Son cœur battait la chamade, elle était sur un petit nuage, son chéri Ali lui ayant envoyé un message d'amour et de pardon par le biais de sa voisine et amie de longue date pour la ramener au foyer conjugal. Elle en était fière et heureuse, elle y croyait, elle l'aimait, elle aime ses enfants. De plus, c'était le 17e anniversaire de sa fille ; elle ne pouvait pas espérer une meilleure occasion pour renouer avec l'image d'une famille soudée et unie. Il voulait son retour, il la voulait, son Ali, à elle, il l'a tellement voulue qu'il le lui a marqué sur tout le corps. Chaque parcelle de son corps criait l'amour de Ali. Parce qu'il a passé toute sa vie à la marquer au fer rouge de sa passion. Elle en brûlait, elle en fut consommée jusqu'au délire, jusqu'au déni de toute vérité, pourtant éclatante d'évidence pour tout son entourage.

Sa voisine lui a raconté qu'il lui a même acheté des fleurs rouges, qu'il a décoré la maison juste pour elle. Il n'y aura plus de bleu, de jaune, de violet, plus de noir, juste du rouge, juste pour elle. Ses enfants étaient probablement ravis, papa et maman allaient enfin se réconcilier. Elle a accouru Sarah, telle une collégienne éprise de son prince charmant, tout comme la première fois où il lui a déclaré sa flamme. Elle a essuyé ses larmes, elle a tu ses peurs, ses sanglots, elle a ravalé sa dignité, rangé ses textes de loi fraîchement votés qui lui ouvraient une voie vers une nouvelle vie sans tremblements et sans angoisse. Elle n'a pas regardé derrière elle, Sarah. Elle s'est bouché les oreilles, ne voulait pas entendre les conseils de son père, ce père abattu, terrorisé face à la souffrance et à la beauté, fanée à coups de poing, de sa fille unique. Elle avait encore confiance en Ali, il l'aimait encore, elle en était sûre, il a suffi qu'il le dise devant ses proches pour qu'elle en soit convaincue. Les images des ballons en forme de cœur ont réussi, l'espace d'un instant, à guérir son cœur meurtri par des dizaines d'années de maltraitance, maquillée au rouge à lèvres et au fond de teint bien appuyé là où il le fallait. Elle est rentrée, Sarah, dans cette maison, ce foyer conjugal, là où elle a enfanté ses chéris. Il l'a prise dans ses bras devant tout le monde, son Ali, il l'a serrée très fort pour une dernière fois, l'a sécurisée, lui a soufflé des mots tendres à l'oreille. Des mots qui ne ressemblaient en rien à ce qu'il lui ressentait. Des mots de réconfort dans un décor digne de la plus belle soirée de la Saint-Valentin. Mais il manquait la touche finale, le dernier acte de la tragi-comédie. Avant la fermeture des rideaux de la scène, avant le retrait de l'héroïne, de cette comédienne aguerrie, qui a joué à la perfection son rôle de mère, de femme, de fille. Il fallait une fin spectaculaire qui soit à la hauteur de sa prestation, un dénouement exemplaire, qui serve de leçon à toutes ses semblables. Cette espèce qui ose dénoncer les abus, l'enfer des nuits d'humiliation. Celles qui se croient à l'abri en ayant recours à la justice dans une société patriarcale et aux lois archaïques. Elle sera baignée dans le rouge cette épouse, la couleur majestueuse de la gloire, des empereurs et impératrices. Elle mourra sur scène bien debout et encore une fois devant tout le monde, à l'aube, dans le silence du petit matin avant le chant du coq. Elle a bien mérité cette mort, Sarah, au nom de l'amour et pour l'honneur de la famille. Elle a fini abattue de 17 balles, pour les 17 ans de sa fille, gigotant dans une large flaque de sang, perforée de partout par une kalachnikov, arme de guerre, dont la détention est rien de plus normale dans ce pays de non-loi. Une arme qui a pu limoger pour de bon cette âme désespérée, ce droit à la vie digne, ce droit à l'amour et au respect, ce droit qu'une femme est censée avoir sur son corps.
Adieu Sarah, ton nom s'ajoute à une série qui, malheureusement, s'allonge et risque de s'allonger encore tant que la loi ne servira à rien à part augmenter le nombre de victimes de la violence domestique. C'est le tour des fleurs blanches à présent. La couleur de la paix et du repos bien mérité.

 

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Elle n'en croyait pas ses oreilles, Sarah, quelques heures avant sa mort tragique. Son cœur battait la chamade, elle était sur un petit nuage, son chéri Ali lui ayant envoyé un message d'amour et de pardon par le biais de sa voisine et amie de longue date pour la ramener au foyer conjugal. Elle en était fière et heureuse, elle y croyait, elle l'aimait, elle aime ses enfants. De plus,...

commentaires (2)

Brute épaisse, comme il n'y en a que trop au Liban, ce miracle du meilleur et du pire, RIP, Sarah.

Christine KHALIL

19 h 23, le 22 mai 2015

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Commentaires (2)

  • Brute épaisse, comme il n'y en a que trop au Liban, ce miracle du meilleur et du pire, RIP, Sarah.

    Christine KHALIL

    19 h 23, le 22 mai 2015

  • Dans cette tragique affaire criminelle, une partie de la responsabilité du crime est portée par la Sûreté Générale car lorsque la victime l'avait appelé à son secours, l'officier de sécurité s'est contenté d'appeler son mari puis a dit: 'il avait fermé son téléphone.' Sans donner suite. Il est clair qu'il y a eu négligence évidente de la part de la SG.

    Dounia Mansour Abdelnour

    19 h 22, le 22 mai 2015

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