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Liban - Controverse

À Janné, les travaux avant l’étude d’impact : la charrette avant les bœufs ?

La construction du grand barrage se poursuit dans la vallée de Nahr Ibrahim, malgré la polémique qui l'entoure.

Photo fournie par Raja Noujaim.

La route en terre dite de Machnaka, qu'on emprunte pour atteindre le site de construction du barrage hydraulique de Janné (Nahr Ibrahim), a connu une transformation radicale en quelques semaines seulement. Il est possible d'y constater que les travaux d'élargissement sont bien avancés, avec l'abattage d'arbres conséquent des deux côtés. Certes, le projet de route est décidé en vertu d'un décret présidentiel ancien (il ne s'est concrétisé qu'avec le début de la construction du barrage), et il est indépendant du projet du barrage. Toutefois, les deux projets font l'objet actuellement de deux études d'impact environnemental séparées. Or les travaux se poursuivent autant sur la route que sur le barrage, avant que les résultats de ces études ne soient connus, des études qui sont généralement préparées en amont et non en aval des projets.
De plus, selon des témoins, des travaux d'agrandissement sont en cours sur deux autres chantiers de routes menant vers le barrage, l'une venant de Kartaba et l'autre de Lassa. En d'autres termes, l'intégralité du site est aujourd'hui affectée par ce vaste chantier, selon ces témoins.

Le projet de barrage de Janné, financé par l'Office des eaux de Beyrouth (son budget est de 315 millions de dollars) et devant principalement alimenter Jbeil et Beyrouth, est au centre d'une polémique depuis le début de sa construction. Suite à un examen de la première étude d'impact environnemental effectuée en 2008 à l'initiative du ministère de l'Énergie, le ministère de l'Environnement a établi une liste de réserves et demandé l'arrêt des travaux et la rédaction d'une nouvelle étude d'impact du projet.
Nous avons demandé il y a quelque temps au ministre de l'Environnement Mohammad Machnouk pourquoi des travaux se poursuivent sur le site alors que l'étude d'impact environnemental n'est pas terminée. « Je ne sais pas à quel point ces travaux se poursuivent réellement, avait-il alors répondu. J'ai moi-même contacté le mohafez qui m'a assuré que les travaux ont été interrompus. Je crois que quelques opérations secondaires seulement sont en cours. »
Il avait ajouté : « Nous avons exigé une nouvelle étude d'impact environnemental qui comble les lacunes de la précédente (effectuée en 2014, NDLR). Les principaux points en sont une étude géologique, une étude hydrogéologique, les risques d'infiltration de l'eau dans le sol... Le ministère de l'Énergie nous a promis que d'ici à quatre mois (ndlr : ce délai se termine fin mai), cette étude sera achevée. Quand elle sera examinée par les experts, nous déciderons si ce barrage est susceptible de causer ou non des dégâts à l'environnement. »

Jean Gebran, consultant du ministre de l'Énergie, nous apprend qu'un comité de représentants des ministères de l'Environnement et de l'Énergie ainsi que de l'Office des eaux de Beyrouth (qui finance le projet) a été formé. « Nous avons déjà finalisé la plupart des critères, il en reste quatre, particulièrement épineux, poursuit-il. Un bureau spécialisé a été chargé de faire une étude. Les résultats seront connus d'ici quatre à six mois. »
Pourquoi les travaux ne sont-ils pas interrompus entre-temps ? « Il faut savoir que l'étude d'impact environnemental n'a pas de répercussions sur la construction du barrage en tant que telle, répond-il. Il ne s'agit pas de décider si le barrage sera construit ou non, mais d'améliorer les mesures de protection de l'environnement après sa construction. »

 

(Pour mémoire  : Disparition d'un million de mètres carrés d'arbres à Janneh : nouveau débat)



Pour l'écologiste Raja Noujaim, « c'est méconnaître la loi que de dire que les travaux peuvent se poursuivre alors que l'étude d'impact environnemental n'est pas achevée ». « Je suis convaincu que les constructeurs du barrage se heurtent à une impasse, car les réserves exprimées par le ministère de l'Environnement représentent des défis qu'ils ne peuvent pas relever », dit-il.
Raja Noujaim dénonce le fait que « ce n'est pas une véritable étude d'impact environnemental qui a été commandée au nouveau bureau en charge de cette question, mais un simple rapport technique qui porte sur quatre ou cinq points seulement, alors que le rapport initial du ministère de l'Environnement (datant de novembre 2014) évoquait une quinzaine de points litigieux ». « Sinon, comment expliquer que les rédacteurs de ce rapport ne s'adressent pas aux différents acteurs concernés, dont la société civile fait partie? se demande-t-il. Pourquoi négligent-ils de tenir cette réunion d'experts autour du barrage de Janné qui avait été promise ? D'ailleurs, comment concevoir qu'une étude de cette importance soit menée en quatre mois seulement alors qu'elle doit durer au moins un an ? »
Raja Noujaim dit soupçonner « les ministres de l'Énergie et de l'Environnement d'être de connivence pour laisser faire ce projet, malgré les déclarations de part et d'autre ». « Si ce n'était pas le cas, pourquoi le ministre de l'Environnement ne demande-t-il pas de faire appliquer sa décision de force ou pourquoi ne présente-t-il pas le dossier en Conseil des ministres ? » se demande-t-il enfin.

 

Quel stockage en milieu karstique ?


Les critiques adressées aux concepteurs du barrage de Janné portent, entre autres, sur une éventuelle difficulté future de stockage de l'eau dans un terrain de nature karstique. Jean Gebran, conseiller du ministère de l'Énergie, répond : « Nos études, finalisées en 2012, montrent qu'il n'y aura pas d'infiltration significative dans le sol. Cependant, un bureau allemand, BGR (Institut fédéral allemand pour les géosciences et les ressources naturelles : il travaillait sur un projet portant sur les sources de Jeïta, NDLR), a soutenu une thèse selon laquelle il y aurait des fuites au niveau de ce barrage, et qu'elles affecteraient les sources de Jeïta (un peu plus au sud, NDLR). Nous avons demandé à une troisième partie, Safege (Société anonyme française d'étude de gestion et d'entreprises), de donner son avis sur ce point, et elle a démenti les conclusions de BGR, tout en émettant certaines réserves. En fait, notre étude montre que l'eau de Nahr Ibrahim n'est pas liée à celle de Jeïta. »

 

(Pour mémoire : Des barrages sur des failles sismiques, c'est « Apocalypse Now » !)



Raja Noujaim, écologiste, émet de sérieux doutes sur la capacité de stockage du barrage, sachant que le karst ne permet pas, selon lui, une étanchéité complète, sous quelque condition que ce soit. « Ils évoquent le rapport du BGR, dit-il. Or il faut savoir que l'étude du BGR était complète, ce qui n'a pas été le cas de celle qui a été menée pour la contrecarrer, confiée à un autre bureau. Cette seconde étude n'a pas tenu compte des directives techniques du BGR (combien de puits à creuser et où). Quant au rapport du bureau Safege, il comporte d'importantes réserves sur les difficultés d'ériger un barrage à cet endroit-là, que le ministère de l'Énergie préfère ignorer. »

Pour sa part, Jean Gebran estime que ce projet alimentera en eau un grand nombre de foyers à Jbeil et à Beyrouth, et que rien ne justifie qu'on lui mette des bâtons dans les roues aujourd'hui. Il rappelle que ce barrage est l'un des plus importants qui seront construits au Liban, avec une capacité de stockage de 38 millions de mètres cubes : il devrait desservir Jbeil à hauteur de dix millions de mètres cubes et, pour le reste, le Metn-Sud et le Grand Beyrouth. Selon lui, cette capacité de stockage ne devrait pas influer sur le débit du fleuve qui atteint les 250 millions de mètres cubes.

Les problèmes liés à l'emplacement du barrage et sa capacité de stockage, l'hydrogéologue Samir Zaatiti peut en citer beaucoup. « Ils disent que le barrage peut stocker 38 millions de mètres cubes, souligne-t-il. Or le taux moyen d'évaporation est de 43 %. On ne peut donc espérer que la moitié environ de ce volume d'eau escompté. À cela, il faut ajouter le taux d'infiltration dans la terre qui, selon le BGR, atteint les 32 %. Le bureau allemand était arrivé à cette conclusion en mesurant le débit de l'eau du fleuve avant et après son passage par cette zone karstique. »
L'hydrogéologue craint des modifications importantes du débit du fleuve en raison de l'infiltration de cette eau qui fera pression sur les cours souterrains. « Même une couche de béton ou de géotextile ne suffira pas à empêcher ces infiltrations, affirme-t-il. Cela n'a pas été suffisant pour un barrage à Denniyé qui n'a jamais stocké un seul mètre cube d'eau ! »

Samir Zaatiti pense qu'une sérieuse alternative au barrage serait de creuser des puits, l'eau étant facilement accessible dans cette région, et suffisamment abondante pour alimenter Jbeil. À cela, Jean Gebran répond que telle n'est pas la politique du ministère. « Depuis l'adoption du plan décennal du ministère, nous essayons de ne plus creuser de puits, étant donné que le Liban en comporte déjà beaucoup trop, ce qui provoque une surexploitation de nos nappes phréatiques, explique-t-il. L'eau qu'on y puise est devenue polluée du fait de l'intrusion de l'eau de mer. Sur un autre plan, des puits ne vont pas couvrir les besoins de Jbeil, sans parler des autres régions. »

 

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