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Liban - Liban

Corruption : « Je ne me sens pas du tout protégée par le système »

Dans le dernier rapport annuel de Transparency International, le Liban se positionnait à la 136e place du classement des 175 pays les plus corrompus. L'année précédente, en 2013, il était en 127e position. Et en 2012, il occupait le 128e rang. Qu'il s'agisse de pots-de-vin payés pour un service, l'attribution de marchés publics ou d'un délit d'initié ; qu'elle ait lieu à l'échelle individuelle, municipale, des douanes ou des ministères, la corruption ronge le Liban sur plusieurs échelles et en de multiples secteurs. Dans le cadre d'un partenariat avec la Fondation Samir Kassir et l'Institut français du Liban, « L'Orient-Le Jour » a voulu revenir sur ce fléau en donnant la parole à quelques victimes de la corruption. Aujourd'hui, Hassana.

En voulant renouveler son passeport, Hassana a découvert qu’elle était l’objet d’un avis de recherche.

Hassana* n'aurait jamais cru qu'un simple renouvellement de passeport lui ferait vivre l'enfer et perdre toute confiance dans un système dont elle estime aujourd'hui qu'il ne la protège pas. « C'était en 2002, raconte cette Libanaise d'une soixantaine d'années. Quand je me suis rendue à la Sûreté générale pour retirer mon nouveau passeport, j'ai eu la désagréable surprise de constater qu'il y avait du retard et qu'on me demandait des papiers supplémentaires. Quelques jours plus tard, on me notifiait qu'il y aurait des poursuites à mon encontre, sans me fournir d'explications. »

Treize ans plus tard, Hassana tremble toujours à l'évocation de cette journée. « J'étais terrassée, raconte-t-elle. J'ai toujours été respectueuse de la loi, comment cela était-il possible ? Ma première pensée a été pour mes frères, qui vivent aux États-Unis et qui souffraient en ce temps-là, comme tous les Arabes et les musulmans, de l'après-11-Septembre. Mais je devais vite me rendre compte que j'étais moi-même visée, et non quelqu'un de ma famille. »
Hassana est priée de se présenter au parquet parce qu'une procédure judiciaire est engagée contre elle. Après avoir vivement protesté, elle doit se rendre à l'évidence : il lui faut tirer cette affaire au clair. C'est le début d'une descente aux enfers. « J'ai fait le tour des commissariats et des cours de justice, se souvient-elle. Là où je me présentais, les agents m'informaient qu'il y avait un avis de recherche en mon nom. »

Hassana se rend au Palais de justice et se procure une copie du dossier. Elle saisit alors le subterfuge : le dossier concerne une personne qui porte un nom très similaire au sien, mais... il s'agit d'un homme. Entre Hassan et Hassana, une petite lettre fait la différence. Toutefois, elle comprend très vite qu'il ne s'agit pas d'une erreur. « Le motif d'accusation est un chèque sans provision, explique-t-elle. L'accusé était condamné à trois mois de prison et au paiement d'une amende. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, c'est que le dossier est entièrement rédigé au nom de Hassan, avec des informations exactes sur lui. Or, l'avis de recherche était en mon nom, avec mon numéro de registre, les noms de mes parents, etc. On avait fait en sorte que je sois la seule recherchée par les autorités ! »
Parce que l'anomalie est évidente, qu'elle est une femme alors que l'acte d'accusation parle d'un homme, Hassana échappe à l'arrestation. Cependant, ses tentatives de s'informer sur les moyens de réparer « l'erreur » s'avèrent longtemps infructueuses. Jusqu'à ce qu'un officier en charge d'un commissariat la renvoie au Palais de justice de Baabda.

 

 

 


À ce stade, on conseille à Hassana d'écrire une lettre au juge en charge du dossier, ce qu'elle fait au plus vite. À son grand étonnement, la lettre reste sans réponse. Elle n'a plus qu'un seul recours : l'Inspection judiciaire. « Heureusement qu'en ce temps-là, il se trouvait à la tête de cette institution un juge d'une grande probité, dit-elle. Je me suis présentée chez lui, sans rendez-vous, le dossier sous le bras. Il m'a accueillie chaleureusement et a appelé lui-même le juge à Baabda. C'est suite à cette conversation téléphonique que mon nom a été retiré de l'avis de recherche. »

Pour elle, il ne fait aucun doute que cette douloureuse expérience est une affaire de corruption. « En examinant de plus près le dossier, je me suis rendu compte que celui qui a remplacé le nom de la personne recherchée par le mien s'est donné de la peine pour s'enquérir des détails relatifs à mon identité, dit-elle. Je ne sais pas à qui on a dû verser un pot-de-vin pour faire cette manipulation. Mais il s'agissait à coup sûr d'une personne qui est au courant d'une lacune administrative, à savoir qu'il est possible d'opérer des changements dans le texte de l'avis de recherche adressé aux forces de sécurité après que le jugement a été prononcé. Le condamné peut alors se promener tranquillement, alors qu'un innocent est arrêté à sa place ! »

Hassana parle toujours de cette époque avec émotion. « J'ai vécu dans la hantise d'être emprisonnée pour un crime que je n'ai pas commis, affirme-t-elle. Désormais, je ne me sens pas du tout protégée par le système en tant que simple citoyenne. J'ai perdu ma foi dans les institutions. Depuis ce temps-là, je me demande combien d'innocents croupissent en prison pour des crimes commis par d'autres. »

*Hassana n'a pas souhaité donner son nom de famille.

 

 

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