Rechercher
Rechercher

Diaspora - Rencontre

Greffeur de moelle libanais à New York, Farid Boulad rêve de sauver davantage de jeunes vies

Le Dr Farid Boulad, hémato-cancérologue pédiatrique libanais au MSKCC de New York, a fait une escapade familiale de quelques jours au Liban, histoire de retrouver ses racines. Rencontre avec le spécialiste passionné auquel a rendu hommage la Société américaine du cancer.

Le Dr Farid Boulad, à son hôtel à Beyrouth, peu avant la conférence qu’il a donnée sur la maladie du greffon. Photo Anne-Marie el-Hage

Son rêve était de faire de la pédiatrie d'urgence, de parcourir le monde pour sauver des enfants. Ce rêve, il le réalisera un jour, lorsqu'il sera à la retraite probablement. Mais entre-temps et depuis 28 ans déjà, c'est en tant que greffeur de moelle osseuse que Farid Boulad, hémato-cancérologue pédiatrique libanais, sauve de petites vies, au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center (MSKCC) à New York, l'un des deux plus grands hôpitaux de cancérologie aux États-Unis. De passage au Liban en avril dernier « pour ne jamais oublier ses origines », cet Américain d'adoption accepte de se confier à L'Orient-Le Jour, peu avant la conférence qu'il a donnée à l'AUB sur une des complications de la greffe de moelle, la maladie du greffon.

Le Dr Boulad n'aime pas les honneurs, ni les titres ronflants. Il ne mentionne pas l'hommage que lui a récemment rendu la Société américaine du cancer (American cancer society), ni les articles qui lui ont été consacrés ou les distinctions obtenues. « Mon plus grand award, c'est d'avoir participé à la greffe de moelle de plus de 1 200 patients », dit-il. Mais il raconte volontiers son parcours qui l'a amené à soigner comme la prunelle de ses yeux des enfants cancéreux, et à prendre la direction de l'hôpital pédiatrique de jour au MSKCC, qui reçoit chaque jour entre 100 et 150 patients. Un parcours qui le « comble » et qu'il « referait, si c'était à refaire », souligne avec cette douceur qui le caractérise le spécialiste qui aura bientôt 60 ans.

(Pour mémoire : Nínawa Daher, une étoile filante libanaise qui a brillé dans le ciel de l’Argentine)

 

La pédiatrie d'urgence, un rêve de jeunesse
C'est en 1975, avec les premières étincelles de la guerre du Liban, qu'il abandonne son projet d'études à la faculté de médecine de l'Université Saint-Joseph et quitte sa famille pour la Belgique où il entame des études de médecine. Pourquoi la Belgique ? « J'y avais des amis qui m'ont accueilli. Et dans ce pays européen francophone, les études sont ouvertes sur le monde », explique le cancérologue. Pour sa spécialisation, il décide de s'envoler pour New York, avec son épouse libano-française. Une évidence. « Tous nos livres de référence étaient américains », précise-t-il. En tant qu'étranger, il doit bûcher pour obtenir les équivalences nécessaires et se faire accepter dans un hôpital. « Les débuts étaient très difficiles », se souvient l'oncologue. Mais le New York Medical Center-Metropolitan Hospital lui ouvre ses portes. « Mon choix s'est porté sur la pédiatrie d'urgence », indique-t-il. La vie en décidera autrement. Un mois de rotation au service de cancérologie pédiatrique au MSKCC suffit pour qu'il ait le « coup de foudre ».

Sa carrière prend alors un nouveau tournant. Trois facteurs poussent le jeune médecin à embrasser la spécialisation de trois ans en hématologie et cancérologie pédiatrique que lui propose l'institution, « le niveau scientifique et intellectuel élevé de cette spécialisation liée à des maladies qui menacent la vie des enfants, le contact avec les jeunes patients et leurs familles, la solidarité envers les malades dont fait preuve l'ensemble de l'équipe, depuis les chefs de service jusqu'aux agents de surface ». « C'était incroyable ! On rencontre rarement une telle compassion, un tel désir de faire sourire un enfant malade et de tout mettre en place pour qu'il se sente mieux, note-t-il. Ces choses, je ne les avais jamais ressenties de la sorte. »

Suivez votre passion
Farid Boulad n'a pas choisi la voie la plus facile. C'est au quotidien que ce médecin lutte, sept jours sur sept, avec les enfants cancéreux et ceux atteints de maladies du sang. « Quels que soient les moments et les situations, notamment la perte de jeunes patients, pas un jour je ne suis allé travailler sans être heureux de donner », observe-t-il. « Suivez votre passion », lance-t-il à son tour à la jeunesse libanaise, « professionnelle ou personnelle » et « quel que soit le métier que vous choisissez », « même s'il y a des hauts et des bas et que c'est difficile ».

(Pour mémoire : D’Amérique latine ou d’Europe, ils réalisent le rêve de découvrir le Liban)


Le Dr Boulad tient à adresser un second message, à la fois humain et professionnel, plus particulièrement aux jeunes médecins. « Nous devons savoir garder une certaine humilité au niveau du savoir, affirme-t-il. Nous traitons des êtres humains qui sont à notre merci. Nous ne devons jamais donner de réponse surfaite, mais reconnaître ce que nous savons et ce que nous ne savons pas. » Dans ce cadre, le spécialiste appelle les jeunes médecins à prendre du recul, à laisser leurs problèmes de côté et à sourire aux enfants et à leurs familles, malgré la difficulté de leur métier. « Pour les parents, la pire des choses est d'avoir un enfant malade, observe-t-il. Notre mission est de rendre cette peine la moins dure possible. » Il rappelle à ce propos que « soigner un patient n'est pas uniquement l'affaire du médecin », mais d'une « équipe qui se doit de garder l'énergie, en toute circonstance, quelle que soit l'étape finale ».

Ce père de famille invite enfin les jeunes professionnels à ne pas oublier qu'ils ont une vie personnelle. « Je n'ai pas peur de dire à mes enfants que je les aime », lance-t-il. C'est d'ailleurs pour célébrer sa rencontre avec son épouse, il y a 40 ans, qu'il est venu passer quelques jours à Beyrouth, où il a ses racines, de la famille et des amis.

Ces racines, il les assume aujourd'hui, après avoir souvent brandi sa nationalité française. « Je suis né en Égypte, j'ai grandi au Liban, j'ai étudié en Belgique et j'exerce aux USA. Mais chaque fois que je viens au Liban, je réalise que j'y ai mes racines. J'ai vécu ici des moments inoubliables et des années de bonheur et je n'hésite plus à dire que je suis libanais. » Farid Boulad n'a pas vécu la guerre libanaise.
« Heureusement. » Mais comme bon nombre d'émigrés, il ne peut s'empêcher de ressentir de la culpabilité d'avoir quitté son pays. « Je réalise ce par quoi mes parents et les Libanais sont passés, alors que moi j'étais tranquille dans mon cocon, à l'étranger », note-t-il. S'il reconnaît que le pays du Cèdre a de bons et de mauvais côtés, il garde en lui « le meilleur », autrement dit « la bonté, la gentillesse, l'amabilité des gens ». « C'est si rare de voir cette ouverture d'esprit », dit-il. « Mais ça fait mal de voir que la plupart des enfants de nos amis et connaissances sont à l'étranger. »

Maintenir le contact professionnel avec le Liban est donc essentiel pour le greffeur, non seulement par le biais de conférences et d'échanges de stagiaires, mais aussi par le contact direct avec des confrères praticiens et amis qui exercent au Liban. « Il m'arrive de discuter avec eux de cas médicaux », précise-t-il. Le Dr Boulad se dit même « prêt, si besoin est », à apporter son expertise et son « aide professionnelle » aux associations travaillant au profit des enfants cancéreux du Liban. « Cela me ferait d'autant plus plaisir que je connais peu ces associations », avoue-t-il. Un moyen peut-être de réaliser son rêve de jeunesse. Un rêve qu'il touche déjà de près, une fois l'an, en contribuant auprès de « Global Smile Foundation » et en tant que pédiatre à soigner les malformations labiales et palatines d'enfants d'Amérique latine ou d'Afrique.


Lire aussi

Don d'organes : au Liban, les corps médical et infirmier traînent la patte...

Son rêve était de faire de la pédiatrie d'urgence, de parcourir le monde pour sauver des enfants. Ce rêve, il le réalisera un jour, lorsqu'il sera à la retraite probablement. Mais entre-temps et depuis 28 ans déjà, c'est en tant que greffeur de moelle osseuse que Farid Boulad, hémato-cancérologue pédiatrique libanais, sauve de petites vies, au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center...