« Michel Samaha sortira de prison dans quelques mois. À cette date, nous pourrons faire nos adieux à la justice. »
C'est par ces termes que le prédicateur islamiste de Tripoli, le cheikh Bilal Baroudi, a manifesté la colère de la rue sunnite après le verdict « atténué » prononcé par le tribunal militaire dans l'affaire Michel Samaha. Le dignitaire sunnite s'exprimait devant une foule en délire à la sortie de la mosquée al-Salam, l'un des deux lieux de culte qui ont été visés par deux explosions meurtrières en août 2013 imputées à la Syrie. Le double attentat avait fait 27 morts et plus de 300 blessés, un bilan que les sunnites de la grande ville du Nord n'oublieront pas de sitôt. Le verdict dans l'affaire Samaha – qui a reconnu avoir transporté des explosifs en vue de perpétuer des attentats meurtriers dans le Nord – est venu raviver cette plaie profonde restée ouverte, les coupables n'ayant jamais pu être arrêtés.
Condamné jeudi à quatre ans et demi de prison par le tribunal militaire, M. Samaha devrait être libéré à la fin de l'année en cours, puisqu'il avait été arrêté en août 2012 et que l'année judiciaire est de neuf mois. Ce verdict a été largement contesté, tant par la famille de l'accusé, qui le juge trop sévère, que par ses détracteurs politiques, qui l'estiment trop clément.
Pour l'avocate Ghada Ibrahim, le jugement de M. Samaha « semble effectivement trop clément à la lumière des informations qui ont filtré aux médias ». Préférant toutefois ne pas se prononcer – « n'ayant pas lu le jugement » –, l'avocate assure toutefois que si l'un des objectifs d'un verdict est de rendre justice en vue de parvenir à un apaisement social et à consolider la sécurité, on peut dire qu'il n'a pas été atteint dans ce cas précis. « Au contraire », dit-elle, pointant du doigt le « bouillonnement » qui agite la rue, tripolitaine notamment.
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Fédéralisme
Rassemblés devant plusieurs mosquées de la ville, les protestataires sunnites ont sillonné les rues de Tripoli, réclamant que justice soit faite. Ils ont saisi l'occasion pour demander la démission du ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk et l'abolition du tribunal militaire qui a statué dans l'affaire Samaha.
Le cheikh Salem Raféï, membre du Comité des ulémas musulmans et figure de proue du mouvement salafiste, se trouvait aux premiers rangs du rassemblement.
Le dignitaire salafiste est un fervent défenseur des sunnites islamistes et proteste depuis des années contre ce qu'il considère être « une partialité » de l'État, car les sunnites « sont jetés en prison pour un tout ou pour un rien », alors que le Hezbollah chiite bénéficie d'un « état de grâce ». Depuis des années, il ne cesse de réclamer que les détenus islamistes dans les geôles libanaises soient jugés de manière équitable et rapide. L'affaire Samaha, dont le procès a été relativement accéléré – le tribunal militaire ayant cette particularité d'être plus rapide que les tribunaux ordinaires –, a en outre révélé au grand jour une politique des « deux poids, deux mesures » dont ont fait les frais les détenus islamistes, qui croupissent pour certains depuis plus de 7 ans dans les prisons sans jugement.
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Dans un entretien à L'Orient-Le Jour, le cheikh Raféï affirme que le verdict du procès Samaha est « la goutte qui a fait déborder le vase ».
« Comment un jeune sunnite de 14 ans qui a été combattre un mois en Syrie écope de 4 ans de prison sachant qu'il n'a rien commis d'illégal au Liban, alors que Michel Samaha s'en tire avec une peine aussi réduite ? »
s'insurge le prédicateur islamiste. Il dénonce par la même occasion le fait que le « complice de Samaha », Ali Mamlouk, un haut officier syrien, « n'a même pas fait l'objet d'un mandat d'arrêt par contumace » de la part du tribunal militaire.
« Si les autorités judiciaires ne rendent pas justice aux jeunes sunnites détenus, les rebelles syriens viendront à notre secours, a prévenu le cheikh Raféï. Ils nous doivent bien cela, car nous les avons aidés en envoyant nos combattants à leurs côtés contre l'oppression » du régime syrien. Selon lui, c'est « la même mafia qui est derrière les massacres en Syrie et les multiples attentats au Liban ».
« Si justice n'est pas rendue, les sunnites ne se tairont désormais plus », a martelé le cheikh Raféï lors de la manifestation.
Le dignitaire sunnite va encore plus loin. S'adressant aux autorités libanaises via L'OLJ, il affirme : « Si vous ne voulez pas lever les injustices que nous subissons, laissez-nous donc vivre seuls. » Pour le cheikh Raféï, « le fédéralisme sera le seul moyen de restituer aux sunnites leur dignité ».
Le prédicateur sunnite a également appelé à manifester dimanche place des Martyrs au centre-ville de Beyrouth.
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commentaires (5)
Pauvre Liban, déchiqueté entre les noirs barbus et les "pas rasés" jaunes, :-(
Christine KHALIL
13 h 39, le 16 mai 2015