Entre « le général » et « le sayyed », les rencontres sont certes rares, mais le contact est permanent grâce aux intermédiaires et parfois directement. Toutefois, il est nécessaire de temps à autre de faire longuement le point sur la situation locale, régionale et internationale, surtout en une période aussi délicate et incertaine. C'est donc dans ce contexte qu'a eu lieu la dernière rencontre entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah qui a duré près de quatre heures et demie. Les deux hommes avaient beaucoup de dossiers à évoquer, tant sur le plan interne que sur celui de la région et des différents scénarios possibles.
Contrairement à ce que prétendent certains médias du 14 Mars, il ne s'agissait nullement de « réchauffer des relations refroidies par d'importantes divergences à la fois internes et régionales ». Depuis le fameux jour où, exclu de l'accord quadripartite (Amal, Hezbollah, courant du Futur et PSP) et combattu par le 14 Mars, le général Aoun a décidé de renverser la table et d'établir des contacts avec le Hezbollah, les relations entre les deux formations se sont largement consolidées. Il y a eu d'abord le fameux accord conclu entre le CPL et le Hezbollah, couronné à l'église Mar Mikhaël à Chiyah, le 6 février 2006, au lendemain de la première manifestation « daechiste » au Liban, à Achrafieh, en protestation aux caricatures mettant en cause le prophète Mohammad, la position de Michel Aoun pendant la guerre de 2006, mais aussi toutes les autres étapes au cours des neuf dernières années, pendant lesquelles l'alliance entre les deux formations, considérée par certaines parties politiques comme contre nature, a montré sa solidité... et son efficacité.
Pendant plus de quatre heures, MM. Aoun et Nasrallah ont donc passé en revue les derniers développements locaux et régionaux. Ils ont échangé leurs points de vue et leurs informations réciproques, sachant qu'ils ont des approches différentes sur plusieurs sujets et que cette différence est un enrichissement pour la relation entre eux. Ils ont commencé par le Yémen et la guerre qui s'y déroule, ainsi que par les raisons qui ont poussé le secrétaire général du Hezbollah à lancer une campagne aussi offensive et directe contre le royaume wahhabite. Ils ont aussi évoqué la situation en Syrie, après les revers essuyés ces dernières semaines par les forces du régime dans le nord du pays, ainsi que le dossier nucléaire iranien, avant d'en arriver au Liban, en commençant par la situation dans le jurd de la Békaa jusqu'au dossier présidentiel et aux nominations militaires.
Les deux hommes sont partis d'un point de départ commun, à savoir une vision stratégique des développements régionaux. Tous les deux pensent que ce qui se passe au Moyen-Orient est le prélude à de grands changements qui exigent une grande vigilance, notamment au sujet de la présence des chrétiens dans l'ensemble de la région. MM. Aoun et Nasrallah sont aussi convaincus qu'en dépit des derniers revers militaires essuyés par le régime syrien, celui-ci a dépassé la phase où il risquait de tomber. Au contraire, il est en train de reprendre l'initiative sur plusieurs fronts, alors que son maintien en place est une nécessité tant pour le Hezbollah et l'Iran que pour d'autres parties régionales et internationales. Si l'approche de la guerre au Yémen est différente, c'est, d'une part, parce qu'elle concerne moins le Liban que la Syrie et l'Irak (même le Hezbollah n'y est impliqué que politiquement et médiatiquement) et, d'autre part, parce qu'il faut prendre en considération la situation des nombreux Libanais qui travaillent dans le Golfe.
Sur le plan interne, le Hezbollah continue d'appuyer la candidature du général Aoun à la présidence de la République. Plus même, il considère que toute discussion à ce sujet doit se faire avec lui. De plus, le Hezbollah partage entièrement la vision de Michel Aoun au sujet de l'importance d'élire à la présidence de la République un homme bénéficiant d'une large représentativité au sein de sa communauté pour donner aux chrétiens de la région un message fort sur un rôle réel et pas seulement de pure forme. Au sujet des nominations militaires, le Hezbollah avait accepté une première prorogation du mandat du commandant en chef actuel, le général Jean Kahwagi, en dépit de l'opposition du CPL. Mais il comprend parfaitement la position de ce dernier, notamment sur le plan de l'application des lois et des règlements. Tout comme il avait refusé une prorogation du mandat du général Achraf Rifi lorsque ce dernier avait atteint l'âge de la retraite (ce qui avait provoqué la chute du gouvernement Mikati), il compte appuyer la désignation d'un nouveau commandant en chef de l'armée et pousser en faveur du candidat du général Aoun parce que c'est le meilleur moyen de renforcer les institutions étatiques et de respecter la loi. Les deux hommes ont aussi passé en revue les échéances libanaises, examinant dossier par dossier là où ils ont réussi, là où ils ont agi de concert et là où ils avaient des positions divergentes. Ils ont aussi parlé de la bataille menée par le CPL pour le projet de loi sur la récupération de la nationalité, et le Hezbollah a assuré le général Aoun de son appui à cette revendication.
Au final, les deux hommes ont procédé à une évaluation des résultats de leur alliance au cours des neuf dernières années et ils ont estimé qu'elle a assuré au Liban un filet de sécurité particulièrement utile et efficace, qui devrait tenir de longues années encore...
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commentaires (12)
CORRECTION ! MERCI : ".... une sauvegarde qui suggère du discernement au bavardage…. banal. "Notre-Dame", elle, grave, ne s'entoure pas...."
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
10 h 37, le 07 mai 2015