« Ou bien ils te tueront, ou bien ce sera moi. » C'est ce qu'a affirmé Rafic Hariri à son ami et allié politique, Walid Joumblatt, six jours avant l'assassinat du premier le 14 février 2005. Une mise en garde que le député du Chouf a mise sur le compte de la prémonition « propre aux gens croyants ». « Rafic Hariri était un homme de foi », dit-il.
Témoignant pour le deuxième jour consécutif devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), le leader druze a livré hier sa version des événements politiques de la période qui s'étend entre 1998 et 2005, commentant tour à tour l'impact de la résolution 1559 sur le cours des événements, les menaces syriennes, la constitution de l'opposition plurielle et la tentative d'assassinat de son compagnon de route, le député Marwan Hamadé. Lorsque la 1559 a été adoptée, a notamment affirmé M. Joumblatt devant les juges, personne n'a estimé que cette résolution pouvait constituer une menace à la sécurité arabe.
« Bachar el-Assad a été et continue d'être un despote. Mais il n'est pas le seul dans le monde arabe, a-t-il lancé. Dans les régimes dictatoriaux comme celui de la Syrie, il n'est pas permis de s'exprimer. »
À plusieurs reprises, M. Joumblatt a réitéré sa position à l'égard de l'occupation syrienne et expliqué comment il aspirait au retrait des forces syriennes sur la base de Taëf et à l'instauration de bonnes relations avec Damas, « régies par la donne géopolitique ».
« Certes, je faisais partie des alliés de la Syrie auparavant, a-t-il reconnu en réponse à une question. Mais le moment était venu pour dire : ça suffit. C'était au lendemain de la libération du Sud (en 2000). J'ai estimé qu'il était temps de libérer le Liban, de lui restituer son indépendance et de permettre aux Libanais de se gouverner eux-mêmes. »
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Le député du Chouf a expliqué comment, dès l'entrée des forces syriennes au Liban en 1978, le régime de Damas a œuvré à inféoder les services sécuritaires libanais, « devenus à l'image des services syriens ». Il a tenu à préciser au passage comment ses positions politiques à l'égard de la présence syrienne se distinguaient, dans la forme, de celles de Rafic Hariri. Ce dernier « recourait à un langage plus diplomatique. Moi, j'étais plus frontal, plus dur et sec dans mes propos », a-t-il souligné. « Nous partagions toutefois les mêmes convictions, notamment pour ce qui est de la nécessité pour les Syriens de se retirer sur la base de Taëf », a-t-il poursuivi.
En réponse à une question, le député a relaté les faits qui ont entouré la tentative d'assassinat de son compagnon et allié politique, le député Marwan Hamadé, le 1er octobre 2004. Dès qu'il a appris ce qui s'est passé, il s'est rué à l'hôpital. En chemin, il reçoit un appel de Rafic Hariri qui le prévient qu'une voiture blindée l'attend à son arrivée. S'ensuit un second appel du général Hikmat Chehabi, ancien chef d'état-major syrien et ami personnel de M. Joumblatt, qui lui annonce qu'il compte venir au chevet de M. Hamadé. « Faites attention, soyez prudent », lui conseille l'officier au téléphone. « C'était la première fois que Hikmat Chehabi me donnait un tel conseil », a dit M. Joumblatt.
Devant la porte de l'hôpital, une foule en colère scandant des slogans antisyriens accueille le député du Chouf. Plusieurs milliers de personnes attendent, anxieux. « Ils se sont souvenus de l'épisode de l'assassinat de Kamal Joumblatt. Le peuple libanais n'oublie pas », insiste le témoin.
Arrivé à son tour sur les lieux, le vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, qui a été introduit à l'hôpital sous haute protection à cause de l'effervescence des protestataires, a raconté devant M. Joumblatt et une trentaine de personnes qui se trouvaient auprès de M. Hamadé comment il avait lui-même échappé à un attentat similaire à la voiture piégée. Rifaat el-Assad, frère de l'ancien président syrien Hafez el-Assad, était derrière cette tentative d'assassinat, a confié M. Khaddam. Mais pour M. Joumblatt, « c'était un message implicite que la tentative d'assassinat de Marwan Hamadé était l'œuvre de Bachar ».
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Avec sa bonté ordinaire, Rafic Hariri était convaincu, après cet incident, que les Syriens ne récidiveraient pas, a poursuivi le témoin. « Ils ne le feront plus parce que j'ai parlé à (l'ancien président français) Jacques Chirac qui a envoyé un message dur à Bachar », avait dit l'ancien Premier ministre à M. Joumblatt. « Je lui ai répondu que cela ne suffisait pas. » « Je les connais mieux que vous. Faites attention », avait répondu le leader druze qui a souligné devant les juges n'avoir jamais cessé de prévenir l'ancien Premier ministre des dangers qui le guettaient.
Revenant sur les menaces et accusations de traîtrise dont il a fait l'objet pour ses positions à l'égard de Damas, le chef du PSP a expliqué comment les « mercenaires » (« chabbiha ») qui travaillent pour le compte de la Syrie opèrent : « Ou bien vous êtes l'otage du régime, ou bien un traître à leurs yeux », a-t-il dit. Et de rappeler à ce propos l'équation dont avait fait part devant lui l'ancien chef des SR syriens au Liban, Rustom Ghazalé, lorsqu'il lui a dit, lors d'une rencontre la veille de la prorogation du mandat de l'ancien président Émile Lahoud, en septembre 2003 : « Soit vous êtes avec nous, soit contre nous. »
À plusieurs reprises, le témoin a insisté sur le fait que Rafic Hariri n'avait d'autre référence que les accords de Taëf, soulignant qu'ils étaient tous deux opposés à la résolution 1559 qui prévoit le désarmement des milices, dont le Hezbollah. Une position justifiée par le fait que les deux hommes ne voulaient pas « une confrontation avec leurs partenaires au sein de la nation ».
« Il y a un crime qui a été commis sur la base d'une fausse accusation selon laquelle Rafic Hariri serait impliqué dans la 1559 », a-t-il conclu.
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IL Y A LES TYRANS DESPOTES... ET... LES TYRANS POTES ! CAMÉLÉONISTIQUEMENT PARLANT...
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 06, le 07 mai 2015