Qu'est-ce que la poésie ?
Aujourd'hui, on ne peut plus distinguer les genres littéraires. Le roman est devenu un genre tellement hégémonique qu'il a fédéré les autres. Il n'y a donc plus un type poétique qui se définit par lui-même. Mais s'il faut le faire, la poésie se distinguerait du roman en sorte que ce dernier propose un récit et une intrigue racontés dans la temporalité, alors que la poésie, ou du moins ce qui reste de sa définition traditionnelle, est une expression d'émotions, d'affects donnés dans l'immédiateté, la fulgurance, et que l'on reçoit sans s'installer dans une temporalité. C'est comme ce qui distingue un morceau de musique qu'on écoute dans la durée et un tableau qu'on reçoit d'un coup. Il faut faire la différence entre la grande poésie et celle à l'eau de rose. Elle ne véhicule pas de sentiments, mais donne des émotions. Le poète n'est pas ce « distrait qui trébuche » comme on le pense.
À quoi sert la poésie ?
En fait, elle n'a jamais servi à rien, si on veut la considérer à travers l'angle du commerce ou des échanges matériels. Mais la poésie, comme mode d'expression, liée à la philosophie entre autres, est fondamentale, parce qu'elle aide l'homme à se définir soi-même. Vivre à travers la poésie est une posture face au monde. Car après tout, ce sont les textes littéraires, mystiques et philosophiques, notamment la poésie, qui définissent notre humanité, par leur participation au monde, ainsi que dans nos rapports au divin et à l'autre.
Quand est-ce que la poésie se décidera à se renouveler ?
Mais elle s'est renouvelée ! La poésie actuelle se manifeste de différentes manières et emprunte de nouveaux modes d'expression. Elle peut être régulière, en prose, non narrative, narration rimée, récits de voyage ou épistolaires, ou encore le récit d'une expérience mystique, de célébration du monde. Si le roman est une coupure, c'est-à-dire qu'on s'installe dans une durée pour en ressortir avec un texte quasi fictif, la poésie en appelle à une autre posture, parce qu'elle est « dans » le monde. Mais malheureusement, elle est moins vendable et n'intéresse plus les médias. Le travail des poètes, quoique plus discret, comme dans une niche, s'est renouvelé au fil des années.
Qui peut encore se prétendre être poète... après Rimbaud ?
Les grands poètes d'aujourd'hui sont tous des descendants de Rimbaud, de Claudel, de Verlaine, de Mallarmé... Ceux-là sont encore vivants dans la tradition poétique actuelle. Il n'y a pas eu de rupture, sauf qu'on les entend moins. On retrouve dans leur travail la même qualité et la même exigence formelle de signifiance, mais... moins d'écoute. On les lit moins pour des raisons économiques et de mode de vie. Les mauvais poètes étaient rejetés il y a cent ans. Ils le sont encore aujourd'hui.
La poésie a-t-elle donc sa place dans un monde digitalisé ?
Certainement, et plus que jamais. Le poète pense le monde et l'être. Il faut écouter sa voix, différente de celle qu'on entend dans le monde de la consommation d'aujourd'hui. Pour rester humain, il faut tendre son oreille à la voix de la poésie et de la philosophie. Cela nécessite une posture de lecture que l'école désapprend, de nos jours, aux enfants. Le monde est devenu trop formaté. On apprend à lire un récit, un journal, mais on est perplexe devant un texte qui ne met pas en scène des personnages ou qui en appelle à l'humanité de l'autre.
À travers la poésie on met le doigt sur un problème général lié à la culture, au savoir et à la réflexion. C'est un petit problème qui fait partie d'un plus grand : on est en train d'éloigner les jeunes du savoir et de la réflexion. Cogiter sur soi, sa citoyenneté, son être, son rapport au monde et à l'autre, passe par une poésie qui réfléchit.
Et Charif Majdalani de conclure en martelant : « C'est un problème qui touche au savoir, à la connaissance et à la réflexion : consolider les fondations d'une société qui se pense et se réfléchit. Sans cela, l'homme ne serait plus qu'une marchandise qui boit, mange et achète. »
Quid de la Maison des écrivains ?
La Maison internationale des écrivains à Beyrouth est une association dont le but est d'organiser des rencontres entre le public libanais et les écrivains du monde. L'année dernière, l'événement s'était concentré sur le roman, alors que l'édition 2015 met la poésie en avant. « Nous avons eu un partenariat avec l'université Rennes II, un financement de l'Union européenne, indique Charif Majdalani, initiateur de la Maison. Pour Rennes II, il s'agissait d'inviter des poètes français et de les joindre aux Libanais, mais vu que notre vocation est internationale, nous avons décidé de convier des Français, des Américains, des Espagnols, des Belges, mais aussi des Palestiniens et des Syriens. Le but est de ne pas écouter de la poésie, mais de faire entendre la voix des poètes. Douze poètes et performeurs de huit pays présenteront leur travail dans le cadre d'une mise en scène de la voix poétique avec performances scéniques et musicales dans des petits segments de vingt minutes... comme des tableaux de paroles. »
Parallèlement à cette initiative, une résidence d'écriture a permis à l'écrivain Pierre Parlant de faire un séjour de plus d'un mois à Beyrouth.
Programme
Vendredi 8 :
18h-18h20 : Le prix goncourt de la poésie, William Cliff (Belgique), français.
18h30-18h50 : Mohammad Fouad (Syrie) arabe.
19h-19h20 : Pierre Parlant (France), français.
19h30-19h50 : Hind Shufani (Palestine), anglais.
20h-20h20 : Keston Sutherland (Royaume-Uni) anglais.
Samedi 9 :
16h30-16h50 : Jad Hatem (Liban), français.
17h-17h20 : Fawzi Yammine (Liban), arabe.
17h30-17h50 : Sébastien Lespinasse (France), français.
18h30-18h50 : Carles Duarte (Espagne), catalan/français.
19h-19h20 : Skandar Habache (Liban), arabe.
19h30-19h50 : Florence Pazottu (France), français.
20h-20h20 : Andrea Brady (USA), anglais.
Toute première fois
Premier poème que vous avez lu
La légende des siècles de Victor Hugo (Caïn et Abel, Waterloo ou peut-être Booz endormi.
Premier poète que vous avez adopté ?
Cela dépend des périodes de la vie. Cela peut être al-Mutannabi, Aragon ou même William Cliff (présent au Liban dans les rencontres).
Premier poème lu à une femme ?
Elsa chanté par Léo Ferré. Ce poème, tiré du poème original d'Aragon L'amour qui n'est pas un mot, je l'ai chanté maintes fois à ma femme.
Premier poème enseigné à vos enfants ?
Je n'aime pas les forcer, ni leur imposer une lecture. C'est le meilleur moyen de créer une répulsion de leur part. Mais comme ils écoutent les chansons que nous écoutons, leur mère et moi, comme celles de Barbara ou Montand, ils pourraient pencher pour Prévert.
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commentaires (2)
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LA LIBRE EXPRESSION
09 h 08, le 07 mai 2015