François Hollande a de quoi se réjouir. Hier, il se rendait à Doha pour assister à la signature des contrats de ventes de 24 avions Rafale au Qatar. Aujourd'hui et demain, il sera à Riyad où il assistera au sommet extraordinaire du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en tant qu'« invité d'honneur » (ironie du sort : le dernier hôte de marque non arabe du CCG a été... Mahmoud Ahmadinejad). Une première pour un dirigeant occidental, qui confirme les excellentes relations qu'entretiennent Riyad et Paris depuis le début du quinquennat de M. Hollande. Si son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait joué la carte de l'émirat du Qatar, qui appuyait les Frères musulmans au moment des révolutions arabes, concurrençant de ce fait son voisin saoudien, c'est vers le royaume wahhabite, incontestable leader des pétromonarchies sunnites et fer de lance de la contre-révolution, que M. Hollande s'est tourné.
Voir le président socialiste, ardent défenseur du mariage pour tous et de la laïcité, être reçu en grande pompe par la monarchie la plus autoritaire et la plus rigoriste du monde sunnite, a de quoi surprendre, au moins a priori. Ce genre d'accueil semblait même jusque-là exclusivement réservé aux présidents américains, indéfectibles alliés depuis le pacte de Quincy et beaucoup plus à l'aise avec les mœurs puritaines. Mais la France a su profiter, avec beaucoup de pragmatisme, des différents bouleversements régionaux, et des tensions américano-saoudiennes, pour se positionner comme un allié de premier plan aux yeux des Saoudiens.
Pendant que l'Arabie saoudite émet de nombreux reproches à l'égard de la politique américaine au Moyen-Orient, du fait de son soutien à l'ex-président égyptien Mohammad Morsi, de sa volte-face sur le dossier syrien et surtout de sa volonté de normaliser ses relations avec l'Iran, la France se démarque par la constance de ses positions et par la fermeté de ses discours. Paris a fermé les yeux sur les dérives autoritaires du président égyptien actuel Abdel Fattah el-Sissi, s'est montré particulièrement méfiant envers l'Iran dans les négociations nucléaires, et ne manque pas une occasion de rappeler la nécessité du départ du président syrien Bachar el-Assad. Dans la guerre par procuration que se livrent les deux hégémonies du Moyen-Orient, l'Iran et l'Arabie saoudite, Paris a très clairement choisi son camp, contrairement aux Américains qui cherchent à jouer sur les deux tableaux, ce qui n'est pas pour déplaire à Riyad.
(Pour mémoire : Hollande invité au sommet du CCG, une première dans l'histoire)
Costume
En invitant François Hollande à Riyad, les dirigeants saoudiens réalisent un double coup : d'une part, ils consolident leur alliance avec l'État occidental qui leur apparaît le plus fiable, d'autre part, ils envoient un message de mécontentement aux Américains : en cas de rapprochement avec l'Iran, Paris peut devenir un partenaire commercial de choix, particulièrement dans la fourniture du matériel militaire. Dans la course à l'armement actuellement en cours au Moyen-Orient, avoir l'Arabie saoudite de son côté est un atout majeur pour tout pays exportateur d'armes. Paris l'a bien compris, mais son rapprochement politique avec Riyad ne devrait pas se limiter à cela. Le marché saoudien pourrait offrir encore bien d'autres opportunités aux entreprises françaises, ce qui n'est pas négligeable en ces temps de crises.
Malgré tous ses avantages, l'alliance avec l'Arabie saoudite reste un pari risqué pour M. Hollande et ses opposants ne vont certainement pas manquer de lui reprocher. Après les attentats de Charlie Hebdo, parier sur un État dont la doctrine officielle est le wahhabisme, qui prône une lecture littéraliste du Coran, qui autorise la peine de mort au sabre et qui condamne un jeune blogueur, Raëf Badawi, à mille coups de fouet, pour blasphème, a de quoi susciter de nombreuses critiques.
Du point de vue de la realpolitik, prendre fait et cause pour le parti saoudien dans sa rivalité avec l'Iran, alors que la région est traversée par une multitude de crises qui risquent à terme de redessiner complètement la carte du Moyen-Orient, est un pari extrêmement risqué. D'autant plus que le royaume saoudien est lui-même en proie à de nombreuses secousses, notamment dans le contexte de la guerre au Yémen et de la montée en puissance de l'organisation de l'État islamique (EI), comme en témoigne l'important remaniement, fait historique, décidé par le roi Salmane il y a quelques jours.
Crtitiqué, voire moqué, sur la scène interne, M. Hollande démontre une nouvelle fois l'étendue de ses ressources sur la scène diplomatique. Loin des soucis des détails économiques et des luttes partisanes, le président français ne semble jamais aussi à l'aise que lorsqu'il s'agit d'enfiler le costume de grand dirigeant, comme lors des pourparlers avec Moscou sur l'Ukraine, comme lors de l'engagement français au Mali et en Centrafique, comme lors d'un certain 11 janvier 2015...
Un costume taillé pour un monarque, en quelque sorte ; un monarque trop occupé pour regarder au-dedans, un monarque qui n'aurait finalement pas grand-chose à envier au roi Salmane.
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commentaires (4)
Un tocard ne gagne jamais....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 44, le 05 mai 2015