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Moyen Orient et Monde

L’heure du réalisme au Moyen-Orient

Le secrétaire d’État américain John Kerry et le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif.

Le Moyen-Orient n'a jamais été une problématique facile pour les présidents américains des soixante-dix dernières années. Historiquement, la question du soutien en faveur d'Israël et de son droit à l'existence au sein de frontières défendables n'a cessé d'être mise en balance avec la nécessité de préserver les voies maritimes pétrolières, et plus largement les approvisionnements énergétiques mondiaux. Mais les difficultés rencontrées par les précédentes administrations américaines sont sans commune mesure avec celles que soulèvent aujourd'hui les défis du Moyen-Orient.
Toujours présent, Israël est toutefois devenu un allié beaucoup plus problématique. Dans sa déclaration à l'occasion d'une session conjointe du Congrès américain au mois de mars, sur invitation des opposants locaux du président Barack Obama, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a soumis une problématique-clé de politique étrangère aux distorsions liées à la profonde et handicapante polarisation partisane de l'Amérique.
Dans le même temps, la sécurisation des approvisionnements pétroliers et des voies maritimes se fait de plus en plus complexe, dans la mesure où les États-Unis sont désormais contraints de se positionner sur l'ensemble de l'échiquier des problématiques du monde arabe. Pire encore, il semble parfois que l'Amérique place ses pions à l'aveugle, à en juger par l'existence d'écarts significatifs entre les réalités locales et la conception que s'en font les dirigeants politiques.
Lorsqu'est survenu le printemps arabe il y a quatre ans, les États-Unis ont instinctivement œuvré pour un changement de régime en Libye, en Syrie et en Égypte, tout en veillant à la préservation du nouvel ordre constitutionnel en Irak. L'issue de ces différentes démarches doit servir de leçon à tous ceux qui espéreraient tirer immédiatement les fruits d'un changement de régime. En effet, bien qu'aient été renversés un certain nombre d'odieux dirigeants, ce qui s'est produit par la suite s'est révélé encore pire. Les changements de régime ont eu pour principal effet de renforcer les identités sectaires et d'affaiblir les perspectives de survie des États-nations existants.
Et voici que la tenue de négociations à enjeux majeurs avec l'Iran autour de son programme nucléaire vient se superposer à la complexité des problématiques arabes. Il a été reproché à l'administration Obama de faire preuve d'une volonté excessive en direction d'un accord, d'un entêtement à ne pas se retirer des négociations. Mais si ce reproche est avéré, ce n'est nullement en raison d'une volonté désespérée d'Obama d'honorer la promesse formulée au début de sa campagne électorale de 2008, consistant à négocier avec les ennemis de l'Amérique et trouver un terrain d'entente.
Plus important que cela, il convient d'évoquer une véritable pénurie d'alternatives viables à un accord. Tous les observateurs reconnaissent combien l'Iran est une société profondément divisée entre ceux qui souhaitent voir leur pays devenir un membre respecté de la communauté internationale et ceux pour qui le statut international de l'Iran doit passer par un programme d'armement nucléaire. Les sanctions internationales imposées à l'Iran sembleraient ainsi s'inscrire davantage en faveur de cette seconde catégorie que la première.
Mais ceci se vérifierait si l'Iran était une démocratie à part entière, véritablement au service de la volonté du peuple. Or rares sont les preuves qui suggéreraient la moindre efficacité des sanctions dans le ralentissement du programme nucléaire iranien. De même, comme c'est souvent le cas, ces sanctions ont sans doute davantage décimé la classe moyenne et affaibli les plus démunis que véritablement motivé les dirigeants iraniens dans la recherche d'un accord.
Pour de nombreux Américains, la confrontation avec l'Iran constitue une lutte bilatérale, une sorte de remake des discussions nucléaires avec l'Union soviétique. À certains égards, l'insistance du Sénat américain selon laquelle il aurait joué un rôle dans l'approbation de l'accord nucléaire témoigne d'une sorte d'état d'esprit d'un retour vers le futur : de toute évidence, si les accords Salt et Start se sont révélés juridiquement contraignants pour les deux États signataires, il doit en être de même pour un accord avec l'Iran.
L'accord en cours de négociation avec l'Iran revêt néanmoins un caractère multilatéral, faisant intervenir l'ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu, auxquels s'ajoute l'Allemagne. La tâche consiste en partie pour Obama à faire en sorte que le peuple américain comprenne combien le sort de l'accord ne concernera pas uniquement les États-Unis.
En outre, lesdites parties à ces négociations ne sont pas les seuls pays pour lesquels l'enjeu est considérable. Le monde arabe se montre de plus en plus nerveux à mesure qu'est envisagé un accord nucléaire. Le conflit accru entre chiites et sunnites, de même que l'audacieuse ingérence de l'Iran chiite au sein de pays arabes à dominante sunnite, renforce significativement le scepticisme de la région quant à la perspective d'un accord. Les dirigeants religieux de l'Iran ne cachent pas en effet leurs aspirations d'hégémonie régionale, voire de conduite du monde islamique.
La méfiance entre Iraniens et Arabes est encore plus ancestrale que la division chiites-sunnites ; et, à une époque dont on se souviendra probablement comme une période de leadership affaibli dans la région, les Arabes considèrent les négociations nucléaires comme quelque chose de beaucoup plus fondamental que le contrôle des armes. Ainsi, face à un monde arabe tourmenté, serait-il possible que les États-Unis cherchent à promouvoir un cadre stratégique alternatif dans la région, sous la forme d'un partenariat nouveau avec l'Iran ?
Empreints de souvenirs amers s'agissant de l'Iran, il est probable que de nombreux Américains jugent un tel scénario pour le moins déplaisant. Néanmoins, du point de vue du monde arabe, l'Iran apparaît comme un élément beaucoup plus stable de l'équation régionale, comme un acteur voué à aller de l'avant.
Les États-Unis se montrent de plus en plus réceptifs à ce mode de réflexion s'agissant du monde arabe et courtisent activement l'Arabie saoudite. En effet, le soutien tacite de l'Amérique vis-à-vis de la douteuse campagne de bombardement menée par les Saoudiens au Yémen témoigne de ce que les États-Unis sont prêts à faire pour répondre aux inquiétudes des Arabes sunnites.
Plus largement, la lutte contre l'État islamique, ainsi que la stabilisation de l'Irak, de la Syrie, de la Libye et du Yémen exigeront un effort diplomatique total des États-Unis. Il s'agira ainsi d'apaiser les craintes des Saoudiens, de rebâtir la relation avec l'Égypte, et bel et bien de s'adresser à l'Iran – autant de priorités découlant des réalités de l'environnement régional d'aujourd'hui. Plus encore, la priorité majeure – pour Obama comme pour son successeur – doit consister à expliquer pourquoi les erreurs magistrales du passé récent font d'une démarche réaliste la seule option plausible.

Traduit de l'anglais par Martin Morel.
© : Project Syndicate, 2015.

Le Moyen-Orient n'a jamais été une problématique facile pour les présidents américains des soixante-dix dernières années. Historiquement, la question du soutien en faveur d'Israël et de son droit à l'existence au sein de frontières défendables n'a cessé d'être mise en balance avec la nécessité de préserver les voies maritimes pétrolières, et plus largement les approvisionnements...

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