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Culture - Rencontre

Marc Lambron : « Il est temps que je sois naturalisé libanais ! »

À 57 ans, Marc Lambron est déjà un « immortel ». Mais siéger sous la coupole n'empêche pas ce plus jeune membre de l'Académie française de rester bien vivant. Et de cumuler les casquettes, les curiosités, les enthousiasmes... Conversation à bâtons rompus avec l'écrivain invité à Beyrouth par son ami Alexandre Najjar et le Comité des parents du Collège Notre-Dame de Jamhour.

Marc Lambron, lecteur « aiguisé » de « L’Orient-Le Jour », à Beyrouth. Photo Michel Sayegh

Confortablement installé à la terrasse de son hôtel du centre-ville, devant son café du matin, Marc Lambron feuillette d'un œil averti votre journal préféré. « Je vois que le film Le Prophète fait largement la une », constate-il. « Normal, Gibran est notre poète-philosophe national », lui rétorque-t-on. « Et Salma Hayek est l'épouse de notre François-Henri Pinault à nous », réplique-t-il badin. L'ironie légère, le ton enjoué, volubile, Marc Lambron s'exprime et se comporte avec naturel, sans prendre la posture de l'érudit. Et si son sens de la formule est évident, toute son attitude est celle d'un académicien moderne. Un homme de son temps, qui même portant les insignes de l'académie au revers de sa veste, vous parle de voyages, de stars, de sa passion pour le rock et bien entendu de son goût pour l'écriture. Bribes d'une conversation ensoleillée.

Sur le Liban

Son premier séjour au Liban remonte à une vingtaine d'années. « C'était en 1994. J'avais obtenu le prix Femina pour L'œil du silence, un roman consacré à la photographe Lee Miller. Et un libraire, Wadih Audi, qui ne l'est plus, je crois, aujourd'hui, m'invite à Beyrouth pour signer le livre. Ce qui était frappant à l'époque, par rapport à aujourd'hui, c'est qu'on sentait la "ville martyre". Je me souviens très bien de certains quartiers qui faisaient très "Stalingrad". Durant les quelques jours de mon séjour, mon libraire m'a emmené partout, se faisant mon guide et dépliant, ainsi, son propre pays comme un livre. Je lui dois la découverte de Baalbeck, de Beiteddine, de Byblos – où, je me souviens, Pépé Abed m'avait égrené les images d'une dolce vita libanaise des années 60 où on voyait le côté Cinecittà de Beyrouth –, puis de Zahlé de laquelle je garde un souvenir enchanté d'un déjeuner dans une guinguette au bord de la rivière. Un lieu qui revient souvent dans mes rêveries comme un espace de paix, d'ouverture, de calme, de beau ciel... ».
Depuis, Marc Lambron y est revenu deux autres fois, notamment au dernier Salon du livre de Beyrouth en novembre pour y dédicacer son avant-dernier livre Tu n'as pas tellement changé (Grasset), récit de deuil consacré à son jeune frère Philippe, emporté par le sida. Il pourrait en dire de même du pays du Cèdre qui « me frappe, dit-il, à chacun de mes séjours par sa faculté à dire "oui" à la vie. Alors que tant d'autres disent non. Le Liban pourrait être l'une des définitions du mot Renaissance. C'est un phénix tout simplement. »

Le roman

« Pour moi, l'écriture romanesque est une addiction. Une prise de drogue intermittente. (...) Ce qui est bien, dans les romans, c'est qu'on y recrée des lieux de mémoire d'une époque qu'on n'a pas connu soi-même. Dans mes fictions, je raisonne souvent sur trois générations. La mienne et les deux qui me précèdent », dit-il. (...) « Ce qui déclenche mon désir d'écrire ? La curiosité pour un sujet, pour une époque. Le sentiment de quitter un monde pour un autre, de passer de l'autre côté du miroir, Et puis, peut-être aussi, l'idée d'un certain salut. Quoi que vaille le livre, il y a quelque chose de soi qui reste inscrit. Le roman est une stèle de papier. »


L'Académie

Au sujet de sa cooptation à l'Académie française (en juin dernier, au fauteuil de François Jacob), Marc Lambron cite le bon vieux dicton : « Avant c'est imprévisible, après c'est inexplicable. »
Quel sentiment éprouve-t-on à être le plus jeune académicien ? « Deux sentiments. D'abord, celui de rendre quelque chose à ma mère. Elle était enseignante. Elle m'a donné l'amour de la langue française. Je la lui rends de son vivant. Elle répétait d'ailleurs "avec tout l'argent dépensé à lui acheter des livres, on aurait pu acheter une résidence secondaire". Ma culture, c'est, en quelque sorte, la résidence secondaire invisible de mes parents... La deuxième chose, c'est un sentiment de "malgré soi". » « L'Académie est une mythologie française qui est plus forte que les individus qui, passagèrement, viennent y faire les figurants. En y entrant, on réalise à quel point c'est une institution populaire. À l'instar du Tour de France ou de Versailles, elle est l'un des emblèmes de la France.
Et puis, tant qu'à faire partie d'un club, ce n'est pas mal d'être admis dans celui où l'on peut discuter avec Pierre Nora, Jean d'Ormesson, Michel Serres, Amin Maalouf (à qui j'avais été opposé un peu artificiellement sur la liste des prix Goncourt et Femina en 1993, dans une histoire de guerre éditoriale. Mais je crois savoir qu'il y a un an, pour mon élection à l'Académie, il a tout à fait voté pour moi), Erik Orsenna, Jean-Christophe Ruffin ou encore Jean Louis Dabadie... Vous n'imaginez pas à quel point ces gens sont anarchistes et farceurs. Parce qu'ils sont totalement délivrés de l'ambition.
L'Académie française est, finalement, la maison des hommes – et de quelques femmes aussi – avec l'œil qui frise. »

L'écriture journalistique

Peut-on rester journaliste lorsqu'on a revêtu l'habit vert des académiciens ? « Disons que je procède plutôt par addition que par soustraction. En fait je suis surtout schizophrène. C'est-à-dire que je suis marabouté par plusieurs traditions françaises. Je suis magistrat (membre du Conseil d'État), romancier et, par ailleurs, j'ai grand plaisir à être chroniqueur littéraire au Point et chroniqueur de l'air du temps à Madame Figaro. »

« Préposé aux belles femmes »

« À l'époque où j'ai commencé à écrire à Madame Figaro, ce journal était dirigé par Marie-Claire Pauwels, sa fondatrice, qui s'amusait à mettre le jeune homme que j'étais alors en présence des plus belles femmes au monde, des plus célèbres actrices. J'étais donc "préposé aux belles femmes" dans le sens où lorsqu'il fallait interviewer Claudia Cardinale, Jacqueline Bisset, Carole Bouquet, Isabella Rossini, Isabelle Huppert, Sophie Marceau ou encore Nicole Kidman, c'était moi qui faisait l'entretien. Ces rencontres ont évidement souvent nourri mon imaginaire, mon écriture romanesque... » Mon livre Étrangers dans la nuit, par exemple, qui est inspiré de la Rome des années 60 et de sa Cinecittà, est imprégné des entretiens que j'avais eus avec Claudia Cardinale sur le cinéma, Visconti, etc. « Aujourd'hui, je préfère interviewer des actrices plus âgées qui ont des choses à raconter plutôt que de rencontrer les nouvelles stars qui se bornent à être les égéries d'une crème... »

Sa passion pour le rock

Habit vert ou pas, Marc Lambron reste un inconditionnel du rock'n'roll. Il lui a même consacré un roman hommage d'inspiration autobiographique : Une Saison sur la Terre (Grasset). « J'étais adolescent dans les sixties. C'était extrêmement difficile de rester sourd à la musique qui était en train de se faire alors, et qui était intense, juvénile, excitante », explique-t-il. « Le rock est la musique de mon temps. Celle des Rolling Stones en particulier. Et je l'écoute volontiers en écrivant (...) Comme presque tous mes livres sont situés dans l'histoire contemporaine du XXe siècle, je sonorise mes écritures avec des climats inspirés de morceaux qui renvoient à un lieu, à une période donnée. Quand je parle dans mon livre du New York des années 70, par exemple, je mets James Brown, les Doors... »

Message aux Libanais

« Je pense qu'il est temps que je sois naturalisé libanais. Je demande aux autorités de me donner un statut spécial. C'est une demande d'adoption. Le vieux bébé que je suis demande à être adopté par le pays du Cèdre », lance, mi figue, mi raisin, en conclusion Marc Lambron. Qui, dans son tout dernier ouvrage, un livre d'art cette fois, intitulé Trésors du Quai d'Orsay et paru à l'automne dernier chez Flammarion, a d'ailleurs intégré des images du Liban prises par des diplomates français du XIXe siècle.

Au Collège N-D de Jamhour


Invité d'honneur du dîner annuel organisé par le Comité des parents du Collège Notre-Dame de Jamhour, l'académicien français y a tenu un petit discours de circonstance. Il avait auparavant rencontré dans la journée des élèves des classes secondaires avec qui il a échangé sur les thèmes de la langue, la lecture et la littérature.


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commentaires (5)

Pauvre "lambic", il ne sait pas encore ce qui l'attend !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

15 h 55, le 05 mai 2015

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Commentaires (5)

  • Pauvre "lambic", il ne sait pas encore ce qui l'attend !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    15 h 55, le 05 mai 2015

  • Un libanophile de plus, c'est bon pour le moral !

    Un Libanais

    21 h 00, le 04 mai 2015

  • DANS LES ANNÉES 50 ET 60 ON S'ENORGUEILLISSAIT SI ON POSSÉDAIT LA NATIONALITÉ LIBANAISE... AUJOURD'HUI ON LA CACHE ET ON SE TAIT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 12, le 04 mai 2015

  • Courageux quand on voit les libanais se précipiter pour s'octroyer une nationalité étrangère .

    FRIK-A-FRAK

    15 h 13, le 04 mai 2015

  • TRÈS AGRÉABLE...MERCI

    Gebran Eid

    11 h 46, le 04 mai 2015

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