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À La Une - Événement

S’émerveiller, avait dit Gibran...

On n'a parlé que de Salma Hayek ces quatre derniers jours, notamment dans « L'Orient-Le Jour ». Certes, la star mexicano-US d'origine libanaise s'est carrément fondue dans le pays de ses ancêtres, mais l'on attendait surtout le film. « The Prophet », mise en animation du livre-Everest de Gibran Khalil Gibran. Ça y est : il sort aujourd'hui en salles. D'aucuns, naturellement, trouvent déjà l'œuvre de Roger Allers très « bof », mais « L'Orient-Le Jour » a craqué, pour tous ces dessins du monde réunis en huit chapitres. Vivre, c'est s'émerveiller, avait dit Gibran. Dont acte.

Tous les dessins du monde

 

par Colette KHALAF

 

The Prophet, de Roger Allers, avec les voix de Liam Neeson, Salma Hayek, John Krasinski et Quvenzhané Wallis.
Sur l'île imaginaire d'Orphalèse (un Liban utopique et fantasmé ?), Moustapha, tenu en résidence forcée, attend le bateau pour l'emmener loin de l'île. Al-Mitra, la petite fille de la femme de ménage, va se lier d'amitié avec cet homme à la sagesse inégalée. Elle a perdu sa voix depuis la disparition de son père et tout le village la déteste.


Difficile de traduire philosophie et poésie en film, de surcroît animé. Un défi que Roger Allers, le réalisateur de The Lion King, a su relever avec l'aide de huit cinéastes talentueux. Il a fallu créer un narratif plus accessible aux enfants, puisque la sage al-Mitra du livre a, dans le film, le profil d'une petite fille. Magie de l'animation, puisque la sagesse appartient là au monde imaginaire des enfants. Le cinéaste a su créer un travelling dans l'espace filmique pour évoquer non seulement le voyage de Moustapha, l'élu, mais aussi son passage parmi les villageois, alors qu'il leur parle des grandes lignes de la vie.
Un voyage également au niveau de la forme puisque huit tableaux traversent le narratif. Aux commandes de ces tableaux, rien que des animateurs oscarisés qui ont su sortir des sentiers battus et offrir du « non-déjà-vu » : Michael Socha (La liberté) ; Nina Paley (Les enfants) ; Joann Sfar (Le mariage) ; Joan Gratz (Le travail) ; Bill Plympton (La nourriture) ; Tomm Moore (L'amour) ; Mohammad Harib (Le bien et le mal), et Paul et Gaetan Brizzi (La mort).


Le film allie harmonieusement toutes les écoles de dessin (peinture à gros traits, dessins d'enfant ou arabesques), mais aussi toutes les disciplines artistiques. Car mis à part le dessin, la musique de Gabriel Yared, la virtuoisté de YoYoMa, ainsi que les chansons de Damien Rice et de Glen Hansard achèvent de donner un écrin plein de chaleur, mais sans une identité spécifique à l'œuvre. Film du monde, à l'instar de la philosophie de Gibran.
Les chapitres sont ainsi de vrais tableaux picturaux puisqu'on croirait voir à travers L'amour de Tomm Moore Le baiser de Klimt, et à travers Le travail de Joan Gratz, Les moissonneurs de Van Gogh. Folon traverse également le chapitre Voyage... Différentes techniques sont donc employées en toute harmonie et dans le respect de l'animation traditionnelle. Simple, mais portant un message très fort, cette animation fait honneur au livre de Gibran, sans fioritures et en allant droit à l'essentiel.
Il n'y a rien d'aussi beau que les dessins à la main qui s'animent. C'est ce qu'a compris le réalisateur Roger Allers.

 

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D'un Roi (Lion) au Prophète...

par Colette KHALAF

Roger Allers, réalisateur de « The Prophet », raconte la genèse du film d'animation présenté lundi en première mondiale à Beyrouth.

 

 

Roger Allers, réalisateur de « The Prophet »

 

Les premiers pas ...
Je n'ai pas été contacté par quelqu'un de cette production, mais par Bonnie Arnold, productrice de Dreamworks (How to Train Your Dragon ). Je la connaissais de Disney. On lui avait demandé qui serait le plus apte pour cette tâche et elle a présenté mon nom. Le concept était né bien avant que je n'intervienne parce qu'on pensait à une formule de film de fiction. Puis les autres producteurs comme Clark Petersen ont avancé l'idée de film d'animation. Mais c'est Salma Hayek qui a proposé, au lieu de faire des poèmes animés, de réaliser un film animé avec un narratif. Parce que, dit-elle, cela aiderait l'audience à voyager à travers les poèmes.

 

« The Prophet » en film d'animation, quelle idée bizarre...
J'avais lu le livre depuis très longtemps, j'étais à l'école. Quand Salma Hayek m'a soumis l'idée, ça m'avait choqué, car cela me paraissait très étrange de faire un livre philosophique dans ce format. Mais j'avais envie de plonger dans ce projet, je ne savais pas comment, mais je devais le faire. J'ai alors choisi quelques réalisateurs. La subtilité résidait dans le passage d'un poème à l'autre avec grâce et finesse.

 

Pourquoi 2 D et pas 3D ?
J'ai grandi avec l'animation traditionnelle. Alors, quand on m'a demandé comment j'allais le faire, j'ai tout de suite répondu que je voulais ce mode-là. À vous dire franchement, j'ai commencé par l'animation sur papier, mais j'ai dû faire intervenir l'ordinateur en cours de route puis retoucher à nouveau avec un graphique plat. C'était pour garder le lien entre tous les tableaux. Une chose risquée, mais il fallait prendre ce risque.

 

Êtiez-vous le « roi » sur le tournage ?
(Le réalisateur à la crinière rousse comme son personnage fétiche, le roi de la forêt, est pris alors d'un fou rire). Il y avait une entière liberté sur ce film. Certes, j'avais un droit de regard, mais je voulais que chacun ait son indépendance et son identité particulière.

 

Le film achevé, étiez-vous convaincu du format ?
Plus qu'heureux. J'ai réalisé que l'animation était un bon média pour la poésie parce que ce n'est pas littéraire. Ce format est accessible aux enfants et aux adultes.

Que représente le monde animé pour vous ?
Durant quatre ans, j'étais chez Disney puis j'ai été chez Sony Pictures, croyant que mes projets seraient mieux compris. Je réalise aujourd'hui que c'est un monde difficile. Il ne faut jamais se laisser décourager. Pour moi, The Prophet est un cadeau de l'univers.

 

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« An-Nabi » expliqué à ma fille

par Maya GHANDOU HERT

Chère Touti,
Aujourd'hui, The Prophet sort en salle. Férue de cinéma, tu voudras sûrement faire une movie night et traîner tes ami(e)s dans une des salles obscures de Beyrouth pour, entre deux poignées de popcorn sucré-salé, visionner ce film aux fausses allures de Disney. Mais voilà, mon ange, bien que présenté sous format dessin animé, The Prophet n'est pas The Minions, encore moins Toy Story. À l'aube de tes onze ans, il est bien temps que l'on t'explique, noir sur blanc, l'essence du livre dont s'inspire cette œuvre cinématographique.
The Prophet est, à l'origine, une œuvre géniale de Gibran Khalil Gibran. Oui, c'est bien le même auteur dont vous parle la maîtresse d'arabe, avec beaucoup de passion, me disais-tu. Né à Bécharré, dans le nord du Liban, il y a 132 ans, il est mort à New York en 1931. Outre ses livres et ses poèmes, écrits tout d'abord en arabe puis directement en anglais, il a été un peintre réputé aux États-Unis, sa patrie d'exil, et un éditorialiste reconnu de la presse arabe au Moyen-Orient. Il faut que tu saches que Gibran a construit un pont entre l'Orient et l'Occident, un pont dont notre région a aujourd'hui le plus grand besoin, en ces temps de conflits et fanatisme tous azimuts. Et justement, en parlant de religion, toi à qui on enseigne, en cours de religions, toutes les croyances monothéistes, tu devrais savoir que ce prophète-là diffuse une belle, une très belle conception de la religion, qui est en réalité une conception de la vie. Ce n'est pas pour rien que cet ouvrage, publié en 1923 et composé de 26 textes poétiques, serait le livre le plus lu après la Bible. Il aurait également été imprimé à plus de 100 millions de copies et traduit dans plus de 90 langues.
En une centaine de pages, que ce soit dans ses chapitres sur la liberté, les enfants, le mariage, le travail, la boisson et la nourriture, l'amour, le bien et le mal ou la mort, Gibran Khalil Gibran condense le christianisme, l'islam, le soufisme (le concept d'union avec Dieu et l'unicité de l'existence), les grandes religions de l'Inde et la théosophie... C'est justement pour le rendre accessible à la jeunesse que Salma Hayek (la belle brune dont les photos ont inondé ton journal préféré) a choisi de le produire sous format de film d'animation. Ma Touti, on ira voir The Prophet et tu comprendras alors ce que l'homme a de plus divin en lui : l'émerveillement qu'il a face à la vie. Ce même émerveillement qui caractérise l'enfance, que tu es sur le point de quitter et que je te supplie de garder en toi, dans tes grands yeux fureteurs, en posant ton regard sur l'Autre. Écoute bien Moustapha, comme al-Mitra dans le film, et que cet élu soit ton guide sur le chemin de la vie.
An-Nabi, prophète de tous les temps. Et de tous les âges ?

 

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