Dimanche 19 avril, quelque part entre chien et loup. On parque la voiture dans un terrain vague surplombant le Sundowner, un pseudocomplexe balnéaire de Maameltein. L'hôtel et son enfilade de piscines vides, au bleu délavé, sont troublants, à leur façon. Une photo dans le lobby atteste que pendant la guerre civile il a connu son heure de gloire. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un vague lieu de passage, où des couples furtifs se fondent dans la nuit. Et pour cause: nul n'ignore ici que ceux qui viennent se perdre un moment dans ses draps concluent un marché négocié quelques heures plus tôt dans l'un des night-clubs avoisinants, où des centaines de filles bossent comme artistes, un euphémisme pour « prostituée ». Mais attention aux confusions : venues des pays de l'Est, elles ne sont ni sur les trottoirs ni dans un sous-bois, ou encore moins planquées dans une ruelle glauque. Divas souvent capricieuses, téléguidées par un maquereau homme d'affaires redoutable, elles sont les stars du quartier, désormais baptisé Maameltein la russe.
Rendez-vous avec l'une de ces Belles de nuit, à l'entrée de son hôtel. Elle vient d'émerger de sa sieste, jeune femme au teint de walkyrie, crinière domptée à la gélatine et attachée en queue, couleur feu, brut. Le décolleté, lui, est follet. Vous vous appelez ? « Viviana ». Un nom qui la suit et qu'elle a soigneusement choisi, en référence au personnage de Julia Roberts dans le film Pretty Woman, « parce que tous mes clients tombent pour moi ! ». Audacieuse, limite râleuse, elle poursuit : « C'est le moment d'aller dîner, j'ai une heure avant de commencer. J'ai faim. J'ai envie de crevettes et d'un milkshake ! » On obtempère.
Maameltein est une ville qui vit surtout de nuit. Il y a des restaurants populaires qui s'arrachent les trottoirs, avec les affiches d'un « moutrib » au look assez inquiétant. Mais Viviana, la maline, repère le légendaire Chez Sami dont le parking est une « Porscherie », littéralement. On s'y installe. Alors que la belle Russe décortique ses crevettes frétillantes avec des ongles colorés de french manucure comme une autoroute fraîchement repeinte, on aborde la question de la prostitution, avec un air de circonstance. Et pourtant tout semble rose bonbon quand Viviana parle si joliment. « J'aime le sexe et je ne m'en cache pas. Et puis, je ne fais de mal à personne, bien au contraire ! » Pour elle, il n'a jamais été question de vendre son corps. Elle le prête pour une heure, au même titre qu'un employé utilise sa tête bien faite. Au fil de la conversation, elle nous apprend pas mal de choses, comme le fait que, oui, le sexe payé, c'est « plus agréable » que le métier de comptable, que cette belle aurait aussi un temps exercé. Et puis, lassitude ou impatience, elle se frotte les mains avec un peu d'arak, se fait briller les lèvres, se relève et lance : « Rendez-vous au Beyrouth, dans une heure ! Ah, et merci pour le dîner ! »
Entrée des artistes
Minuit, le Beyrouth dont elle nous avait parlé. Le nom du lieu se devine, de justesse, grâce à quelques zébrures de lumière formant un corps de danseuse de cabaret. Il y a un pullman garé devant la porte. Et puis soudain, un aréopage de filles sexy qui en sortent. Des petits hauts vichy rose, léopard ou latex blanc. Des shorts en cuir, des minijupes en pétales gondolées qui libèrent de très longues jambes laiteuses montées sur des échasses. L'entrée des « artistes ». Quelques minutes plus tard, le Beyrouth ouvre ses portes. À l'intérieur, l'odeur de naphtaline se mêle aux relents des fonds de bouteilles de la veille. Des LED's aux couleurs étourdissantes, histoire de créer une pseudoambiance psychédélique. Sur la piste, une fille se déhanche sur une version disco de Mourir sur scène. Des hommes costumés, sans âge, ont les yeux levés sur elle. Ils suivent jusqu'au vertige les mouvements d'Erika, accrochée à la barre. Elle a 23 ans. Grande, brune, portant frange, vêtue d'un collant panthère et d'un top échancré, elle est là pour arrondir ses fins de mois. Le club, toutes les cinq minutes, reprend la même danse infinie.
On s'installe à une table sur laquelle traînent des bols en acier inoxydable avec des cacahuètes périmées. L'un des hommes, le gérant de cet établissement, nous avait pourtant confié, accoudé sur son bide, tout en nous offrant du feu avec un briquet « Mont Blanche » : « C'est un endroit classe, ici. » Effectivement, ailleurs c'est sûrement pire. Il pointe ensuite le doigt vers la flopée de filles installées, en sardines, sur la banquette d'en face. Il les classe par nationalité, par ordre d'âge, de tarifs, selon leur arrivage ou leurs « services ». Les demoiselles, elles, attendent que leur tour arrive (ou pas) en meublant ce temps avec tout ce qui leur passe sous la main : une blonde à la Amanda Lear qui roule un sandwiche de jambon, une brune sortie de Pulp Fiction qui se lime les ongles et une troisième qui se fait un café dans son thermostat. Et, dans l'obscurité d'un coin, Viviana, qu'on avait laissée une heure plus tôt, accompagnée d'un client à qui elle fait dépenser une, puis deux bouteilles.
Soudain, elle s'approche et nous murmure à l'oreille : « Je vous l'avais dit, ils craquent tous pour moi ! À quand votre tour ? »
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commentaires (6)
Article bien sympa mais qui oublie le principal ! bien sur la prostitution a existé, existe et excitera mais surtout ce n'est pas un choix volontaire de la part des filles et ces "russes" qui sont pour la plus part Ukrainienne n'étaient pas volontaires mais une fois de plus grugées par leurs conditions de vie dans leur pays, des "maquereaux" profite de la situation pour leur proposer des emplois qui ne corresponds pas a leur activité pour leur faire un travail local bien loin de leur espérance et comme disait dans sa chanson de Serge Régiani "Sarah" "ne crachez pas de juron ni d'ordure sur au visage fardé de cette pauvre impure"
yves kerlidou
20 h 23, le 25 avril 2015