C'était le 22 avril 1975. Quarante ans comme hier. Deux événements avaient provoqué en Amérique une prise de conscience de la fragilité de la terre : un livre de Rachel Carson, Silent Spring, paru en 1962, qui parlait de l'extermination des oiseaux par l'abus de pesticides, et une première marée noire, en 1969, au large de Santa Barbara, en Californie. Le jour de la terre, à l'époque une initiative purement américaine, a ainsi été célébré pour la première fois sur l'idée d'un sénateur et d'un étudiant en droit. Par la suite, chaque année à la même date, il y eut des manifestations, des campagnes de nettoyage, des actions de diverses envergures. Dans la foulée de ce mouvement fut créé en 1992 le sommet de la terre, à Rio, avec les résultats décevants que l'on sait. La terre a beau faire, l'humanité l'épuise et les perspectives les plus optimistes ne donnent pas cher de l'avenir que nous préparons à nos enfants. À chaque génération qui arrive, on soupire que « c'était plus simple avant ».
Avant, on cultivait, on attendait la moisson, on semait à nouveau et on faisait des provisions jusqu'à la moisson suivante. Aujourd'hui, ce sont les entreprises de biotechnologie agricole qui cultivent pour tout le monde. Comme Monsanto, à Crève-Cœur – ça ne s'invente pas – dans le Missouri. Monsanto laboure la terre et la bourre, et nous consommons. Laboure en masse, et nous consommons plus que de raison. D'où vient que nous soyons devenus si insatiables ? Sans doute du fait que nous ne sommes pas satisfaits. Il y eut un temps où chacun connaissait la poule qu'il avait égorgée, la vache qu'il avait traite, le poisson qu'il avait pêché, l'arbre qui lui avait donné le fruit. On mangeait, on remerciait, c'était assez d'une vie, d'un organisme, d'un seul don de la nature pour combler une faim ou célébrer une fête. La banalisation de la nourriture nous déshumanise. Il nous semble que sans gratitude, nous mangeons sans plaisir.
La terre s'épuise et tous les jours de la terre et tous les sommets de Rio n'y peuvent rien. Nous sommes de plus en plus nombreux à paître sur sa croûte, avec de scandaleuses inégalités entre ceux qui en ont trop et qui jettent, et ceux qui n'ont rien, et même pas accès aux reliefs des premiers. Le vrai problème, c'est qu'entre la terre et l'homme, le lien charnel est rompu. Pour sauver ce qui peut l'être, on pourrait tenter, comme pour les amants qui ont perdu le secret de leur amour, de retrouver un à un les gestes des débuts. Alors, les paroles d'Isaïe « On ne nommera plus ta terre Désolation, mais on t'appellera Mon-plaisir-en-elle et ta terre l'Épousée » prendront tout leur sens.
Fifi ABOU DIB
Elle s’appelle Désolation
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 23 avril 2015 à 00h00
commentaires (6)
La banalisation de la nourriture nous déshumanise, une belle perle de phrase qui résume cette triste désolation.
Sabbagha Antoine
21 h 46, le 23 avril 2015