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Moyen Orient et Monde - Génocide

Les stigmates de la tragédie de 1915 façonnent l’identité nationale arménienne

De génération en génération, les histoires de famille sont transmises pour « ne pas oublier », pour « perpétuer la mémoire » d'un drame ancré dans la conscience sociale.

Mnatskan (84 ans), fils de Martiros Mouradian (un survivant du génocide), posant au milieu de certains de ses proches. « Je m’assure que mes enfants sachent ce que mon père m’a raconté (...). C’est notre devoir, le devoir de chaque Arménien : celui de savoir, celui de se rappeler », dit-il.

Des tapis tissés à la main et des cuillères en bois : pour les descendants de Martiros Mouradian, ces objets sont presque des reliques, celles d'un homme qui a dû fuir il y a un siècle son pays, l'Arménie, afin de sauver sa vie. Les couleurs des tapis s'estompent, les cuillères en bois s'effritent, mais pas la mémoire des descendants de ce survivant, qui a réussi à transmettre, de génération en génération, les stigmates d'une tragédie n'ayant jamais quitté l'esprit du peuple arménien.
« Je connais chaque détail de l'histoire des terribles massacres, raconte Rouzanna, l'arrière-petite-fille de Martiros âgée de 17 ans. Et je connais aussi ceux concernant la marche inhumaine le long de la "route de la mort" et la façon dont mon grand-père et ses amis ont tenu tête aux Turcs pour que douze familles réussissent à s'échapper. » « Je me souviens de soirées pendant lesquelles tous les enfants du coin se réunissaient devant chez nous et écoutaient, avec la bouche grande ouverte, mon grand-père raconter comment les Turcs ont tué les Arméniens, se souvient Hovhannes, le petit-fils de Martiros. Il n'en avait jamais assez de nous raconter ça et nous n'en avions jamais assez de l'écouter. »

Devoir de mémoire
Alors que la grande majorité de ceux qui ont survécu aux massacres sont aujourd'hui décédés, ce sont désormais leurs enfants et petits-enfants qui prennent la relève de la transmission de mémoire. « Je m'assure que mes enfants sachent ce que mon père m'a raconté et mes enfants font de même », explique Mnatskan (84 ans), fils de Martiros et grand-père de Rouzanna. « C'est notre devoir, le devoir de chaque Arménien : celui de savoir, celui de se rappeler », martèle-t-il.
En Arménie, le génocide est bien sûr inclus dans le programme scolaire, mais aussi très présent dans la vie quotidienne. Des villages ont pris le nom de communautés qui existaient avant la tragédie en « Arménie de l'Ouest », une région appartenant désormais à la Turquie mais qui reste désignée par son ancien nom par les Arméniens.
« Le souvenir du génocide est aussi vif aujourd'hui qu'il y a un siècle, résume Khatchatour Gasparian, un psychologue arménien réputé. Il est transmis de génération en génération grâce à des leçons d'histoire à l'école, grâce à la littérature et aux films, mais surtout grâce à la mémoire transmise par la famille. Le souvenir du génocide façonne l'identité nationale arménienne. » Il façonne également le paysage de certaines grandes villes, comme celui de Erevan, où une haute flèche grise surplombe la capitale. Elle rappelle à chacun le chemin pour se rendre au mémorial, où chaque année des centaines de milliers de pèlerins viennent commémorer l'anniversaire de la tragédie. « Les Arméniens, peu importe leur âge, leur genre ou leurs convictions politiques, se sont succédé à ce mémorial pour honorer les victimes chaque 24 avril : c'est la preuve que cela fait maintenant partie de notre conscience sociale, que c'est déjà un souvenir génétique », remarque M. Gasparian.

Le mont Ararat
Par la fenêtre de sa maison, la famille de Martiros Mouradian a une belle vue sur le mont Ararat et ses neiges éternelles. Et sur le lieu de la tragédie, car c'est sur les flancs de la montagne que se trouvait le village de Martiros. Il l'a fui en 1915 pour échapper aux Turcs et s'est réfugié en Irak avant de s'installer là où vivent désormais ses descendants. Aujourd'hui, le mont Ararat est turc, et pour les Arméniens, la montagne biblique, où l'arche de Noé est supposée s'être échouée, est le douloureux rappel des pertes humaines et territoriales qu'a subies leur nation.
« Jusqu'à ses derniers jours, mon père regardait l'Ararat avec nostalgie et n'a jamais cessé d'espérer qu'un jour béni, il reverrait sa maison », raconte son fils. Cet été, cent ans après que Martiros eut quitté sa maison avec quelques tapis et cuillères, sa famille a prévu d'aller en Turquie visiter le village de son enfance. Ils espèrent pouvoir ramener quelques poignées de sa terre natale pour les déposer sur sa tombe en Arménie. « Il a toujours rêvé d'y revenir », sourit son arrière-petite-fille Rouzanna.


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La Turquie « partage les souffrances » des Arméniens

La Turquie « partage les souffrances des enfants et des petits-enfants » des Arméniens, a indiqué hier le bureau du Premier ministre Ahmet Davutoglu, dans un communiqué. Présentant des « condoléances » aux descendants des victimes du génocide (qu'Ankara nie et refuse d'appeler par ce terme) survenu entre 1915 et 1917, le bureau de M. Davutoglu a estimé que la Turquie et l'Arménie voisine doivent « panser les blessures de ce siècle et rétablir leurs rapports humains ». Le communiqué invite par ailleurs la communauté internationale à « rechercher les causes et les responsables » de ces événements survenus pendant la Première Guerre mondiale, l'exhortant à renoncer à une « rhétorique de la haine » vis-à-vis du peuple turc.

 

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