Le chaos yéménite menace la région... et ébranle le dialogue interne

Depuis la formation du gouvernement de Tammam Salam il y a près de 14 mois, le fossé n'a jamais été aussi profond entre les partenaires au sein de la même équipe, le 14 et le 8 Mars, et plus particulièrement le courant du Futur et le Hezbollah. Si les deux parties avaient plus ou moins réussi à gérer leurs divergences au sujet de la guerre en Syrie, le conflit au Yémen ouvre de nouveau la plaie qui n'avait été que superficiellement fermée. La violence verbale vient d'ailleurs de franchir un nouveau palier avec d'abord le discours incendiaire du ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk, mardi soir, puis celui du secrétaire général du Hezbollah, vendredi, auquel a immédiatement répondu le chef du courant du Futur Saad Hariri. Ce qui n'a pas empêché le gouvernement de resserrer les rangs autour du ministre de l'Intérieur au cours de la mutinerie à Roumieh, sous prétexte que la sécurité et la stabilité restent prioritaires, mais il n'en reste pas moins que le fossé se creuse de plus en plus. Il est clair que ce qui se passe au Yémen est d'une grande gravité au point que les deux puissances régionales impliquées dans ce conflit n'acceptent plus de leurs alliés des positions nuancées. Ce serait la raison pour laquelle le ministre de l'Intérieur, considéré comme la personnalité la plus ouverte en direction du Hezbollah au sein du courant du Futur, a dû prononcer un discours aussi virulent à l'encontre de « l'empire des illusions » comme il a qualifié l'Iran, face à « Tempête de la fermeté », devenue dans la bouche du secrétaire général du Hezbollah « la tempête illusoire »...
La situation est donc particulièrement critique et ceux qui croient que la guerre au Yémen doit rester limitée à ce pays découvrent avec effroi que toute la région risque désormais d'être entraînée dans ce conflit à cause notamment de l'implication directe du royaume saoudien. Les sources proches du Hezbollah précisent à cet égard que si le royaume wahhabite n'était pas coincé par cette tempête qu'il a déclenchée, il n'exigerait pas si fermement l'appui de ses alliés. Selon ces mêmes sources, l'Arabie pensait pouvoir rapidement régler la question du Yémen et, à partir de là, poursuivre l'offensive en direction de la Syrie, car elle n'a pas encore digéré le refus, à la dernière minute, du président américain Barack Obama de bombarder les forces du régime syrien en septembre 2013. Mais la réalité a été différente. À la quatrième semaine de bombardements aériens intensifs, la coalition arabe menée par l'Arabie n'a enregistré aucune percée sur le terrain. Au contraire, si elle a causé d'immenses destructions au niveau de l'infrastructure yéménite, déjà bien limitée, et si elle a fait de nombreuses victimes parmi les civils, elle n'a réussi à obtenir l'allégeance d'aucun groupe, parti, ou même figure de l'armée. Si la coalition voulait provoquer une guerre civile au Yémen, en poussant l'armée à combattre Ansarullah et à isoler ces derniers en augmentant les divisions confessionnelles, elle a jusqu'à présent échoué, puisque dans sa grande majorité, le peuple yéménite s'est soudé autour de l'armée qui combat aux côtés d'Ansarullah. Seule une petite partie de la troupe continue de se battre pour le compte du président démissionnaire Abed Rabbo Mansour Hadi, aidée par les combattants d'el-Qaëda très influents dans la province de Hadramout. Toujours selon les sources proches du Hezbollah, la coalition n'a donc pas trouvé au Yémen un groupe crédible sur lequel s'appuyer et c'est pourquoi l'Arabie s'est vu contrainte de s'impliquer de plus en plus directement dans ce conflit, tout en aidant directement ou non les combattants d'el-Qaëda qui sont pratiquement les seuls à se battre sur le terrain contre l'armée yéménite et Ansarullah. Cette alliance objective pourrait d'ailleurs un jour ou l'autre se retourner contre le royaume wahhabite qui navigue dans des eaux particulièrement dangereuses et découvre, à son corps défendant, que dans les moments difficiles, les alliés qu'il prenait pour acquis se font tirer l'oreille, notamment l'Égypte et le Pakistan. C'est qu'en fin de compte, les bombardements aériens ne peuvent pas se poursuivre éternellement et si aucune solution politique n'est trouvée dans un proche avenir, il faudra bien se résoudre à lancer une offensive terrestre. Ce qui devrait être un enlisement de plus pour le royaume wahhabite et bien sûr pour le Yémen. C'est donc sur cette réalité et sur les dangers qu'elle comporte que le secrétaire général du Hezbollah a voulu mettre l'accent dans son dernier discours prononcé dans un rassemblement de solidarité avec le Yémen. Au-delà des attaques plus ou moins personnelles contre la famille royale saoudienne et contre l'Arabie en tant que berceau de la pensée takfiriste, le secrétaire général du Hezbollah a voulu rappeler que les trois premières semaines de conflit au Yémen devraient être concluantes et pousser les Saoudiens à rechercher une solution politique au lieu de s'enfoncer encore plus dans ce bourbier meurtrier, qui peut d'ailleurs avoir des conséquences désastreuses pour toute la région. Le chaos yéménite semble encore plus grave et contagieux, notamment pour les pays du Golfe, que celui qui règne en Libye et même en Syrie.