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Liban - La saga du haschisch – épisode 2, le reportage

Planter le haschisch pour ne pas vivre dans l’humiliation

Privés de développement, oubliés de l'État, les paysans de la Békaa, de Baalbeck et du Hermel sont fin prêts. Depuis la fin mars, ils plantent le cannabis.

Dans la Békaa, à proximité de Baalbeck, une grande partie des champs marron seront plantés de haschisch. Photos Anne-Marie EL-HAGE

Dans un village de Baalbeck, non loin de la route principale, les agriculteurs s'activent. En ce début de printemps, ils préparent leurs terres. Certains labourent, à l'aide de tracteurs. D'autres plantent déjà des pommes de terre. Les terres fertiles s'étendent à perte de vue, vertes ou marron, dans cette partie riche en eau de la Békaa, qui donne sur les cimes encore enneigées du Mont Liban. Çà et là, quelques vignobles se dressent fièrement, protégés par des clôtures. Un paysage de carte postale, où se détachent, dans toute leur blancheur, des champs d'amandiers en fleurs, parsemés d'arbustes sauvages aux fleurs roses.
Nous tairons le nom de cette localité chiite qui, comme dans tant d'autres villages des cazas de Baalbeck ou du Hermel, plante le cannabis chaque année depuis des décennies. Il s'agit d'une tradition ancestrale, qui remonte à plusieurs générations et s'apprend de père en fils. Ici, on considère le haschich comme une plante naturelle. Pas question d'en faire un interdit religieux, contrairement à la vigne à vin. Et pourtant personne n'en fume.
La fin mars est la période propice, pour une récolte en juillet. Elle donnera un produit de première qualité. Nombre de terrains sont fin prêts pour le haschisch. D'autres seront plantés de pommes de terre, de blé, d'orge. Certains agriculteurs ne planteront le cannabis qu'après la pomme de terre, vers le mois de juillet, pour le récolter en septembre. Soucieux de faire fructifier leurs terres dans le respect du principe de la rotation des sols, ils plantent deux fois la terre au cours d'une saison : la première, à sec, fin mars, et la seconde, irriguée, dès la mi-juillet.

 

(Lire l'épisode 1, l'interview : Joumblatt à « L'OLJ » : Qu'attendent donc les parlementaires pour légaliser le cannabis ?)

 

« Sans la moindre manipulation génétique »
Assaad, petit agriculteur de la région dont nous avons changé le prénom, est intarissable sur la culture de cannabis. Dans sa petite maison modeste, au milieu de son champ, il égrène les difficultés des paysans libanais, l'absence de stratégie officielle de développement agricole, le manque de calendrier agricole, le coût élevé de la main-d'œuvre, la concurrence déloyale de la production des pays voisins, en tête desquels la Syrie et l'Égypte, le désintérêt des autorités à l'égard des agriculteurs et les pertes accumulées au fil des années qui forcent ces derniers à vendre leurs terrains à des usuriers sans foi ni loi. Car les banques ne leur prêtent pas, ni même l'État. Autant de raisons parmi tant d'autres qui poussent les paysans à braver l'interdiction et à planter le cannabis.
« Le haschich pousse tout seul, raconte-t-il. Il n'a pas besoin d'investissement, ni d'insecticides. Il ne développe pas de maladies, car il est très résistant. Quant au bénéfice, il est assuré et confortable », la résine étant revendue par tonnes aux gros trafiquants, selon les prix du marché, par l'intermédiaire d'un agriculteur qui centralise la production. Le père de famille ne manque pas de vanter la qualité du haschisch libanais, « planté à l'état nature, sans la moindre manipulation génétique », « qui était exporté par avion par des notables de la région, avant la guerre civile ». En revanche, « la pomme de terre, le blé et la plupart des légumes que nous plantons nous font perdre beaucoup d'argent lorsque les prix sont à la baisse, déplore-t-il. Nous n'arrivons pas à écouler notre production, en l'absence d'usines de conserves. »

 

(Lire aussi : Que dit la loi ?)

 

« Tous instruits, même les filles »
Le paysan dénonce aussi le règne du clientélisme qui privilégie les agriculteurs soutenus par des personnalités, des partis politiques ou des chefs de milice. « Dans cette région privée de développement, les personnes protégées bénéficient de tout, de l'éducation, des soins médicaux, des emplois, contrairement aux autres », révèle-t-il. Et d'accuser l'État de fonctionner « comme une mafia ». « Il refuse d'embaucher nos enfants dans la fonction publique et en fait des voyous », affirme-t-il, soulignant que les agriculteurs sont « forcés de planter le haschich. Ne pas planter le cannabis nous condamnerait à une vie d'humiliation, nous n'aspirons pourtant qu'à vivre dignement », dit-il encore.
Sur son histoire personnelle, Assaad est peu disert. Il se contente de dire qu'il ne plante plus, mais sous-traite l'exploitation des quelques terres qu'il lui reste. Elles seront plantées de cannabis et aussi de pommes de terre, d'oignons, de blé, d'orge, de concombres... Ce père de 5 enfants, « tous instruits, même les filles », a payé cher son attachement à la culture de cannabis. Un de ses proches raconte qu'il a été contraint de vendre une grande partie de ses terres, après avoir passé plusieurs années en prison. « Je ne suis pas dans la misère, mais je survis aujourd'hui avec le minimum, de la sous-traitance de mes terres, affirme-t-il. Je compte aussi sur mes fils pour notre couverture médicale, à mon épouse et moi, car, en tant qu'agriculteur, je ne bénéficie pas de la CNSS. Je refuse surtout d'être tributaire des chefs communautaires et seigneurs de la guerre. » Résigné, il montre du doigt une serre, détruite par la dernière tempête. « Quel État va m'indemniser, ou plutôt quelle mafia ? »

 

(Lire aussi : Les superficies plantées : 3 500 à 10 000 hectares)

 

Villas cossues
Comme Assaad, son voisin et ami, que nous appellerons Abou Hussein, a accusé d'importantes pertes au fil des années, en plantant des patates et des oignons. Grand propriétaire terrien, portant le keffieh des paysans, il a vendu une partie de ses terres pour payer la dette qu'il devait aux usuriers. « Lorsque les autorités interdisent et détruisent les plantations de cannabis, tous les agriculteurs se tournent vers la pomme de terre et les prix baissent, vu la surproduction », explique ce dernier, qui dénonce aussi l'absence d'une politique agricole de l'État. « Une légalisation de la culture de haschisch maintiendrait les prix et permettrait aux paysans d'écouler leurs productions de légumes et fruits sans accuser de pertes. »
Le vieil homme a longtemps planté le cannabis. Il a même fait partie de ces intermédiaires entre les paysans et les trafiquants. Sous-traitant à présent l'exploitation de ses terrains, il explique combien il est « difficile pour un paysan qui a cultivé le cannabis de s'habituer à un train de vie modeste ». Mais les agriculteurs prennent peur désormais et se tournent petit à petit vers la pomme de terre, ou même la vigne, découragés par « les représailles à leur encontre, et par le chantage qu'exercent certains, au sein de la brigade des stupéfiants ». « Les grands barons de la drogue, trafiquants et usuriers, eux, ne sont pas inquiétés », fait-il remarquer. Preuve en est, les villas cossues qu'ils construisent dans le village, non loin des modestes maisons des agriculteurs composées de deux ou trois pièces, elles.
La visite guidée prend fin. En guise d'au revoir, Assaad récite un poème, avec un parfait français. À ses heures perdues, l'agriculteur de Baalbeck, ex-planteur de cannabis, est amateur de psychologie et de poésie.

(À suivre, épisode 3, le débat)

Dans un village de Baalbeck, non loin de la route principale, les agriculteurs s'activent. En ce début de printemps, ils préparent leurs terres. Certains labourent, à l'aide de tracteurs. D'autres plantent déjà des pommes de terre. Les terres fertiles s'étendent à perte de vue, vertes ou marron, dans cette partie riche en eau de la Békaa, qui donne sur les cimes encore enneigées du Mont...

commentaires (1)

VOILÀ UN TITRE CAMÉLÉONISTIQUEMENT BIEN ÉTRANGE !!!

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 21, le 16 avril 2015

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Commentaires (1)

  • VOILÀ UN TITRE CAMÉLÉONISTIQUEMENT BIEN ÉTRANGE !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 21, le 16 avril 2015

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