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Liban - 40e anniversaire de la guerre libanaise

« Je me lavais avec tout ce qui me passait sous la main pour essayer d’enlever l’insupportable odeur de la mort »

Impliqué dans la guerre civile depuis ses 10 ans, Nasser Bakkar raconte pour « L'Orient-Le Jour » les années de plomb.

Au début il y avait cette photo, très célèbre parce que publiée dans plusieurs quotidiens libanais en 1991, prise par Aziz Taher, photographe de l'agence Reuters. Il s'agit d'un civil transportant une fille blessée lors d'une explosion dans la capitale, pouvait-on lire dans la légende.

Ce civil, qui vivait de l'autre coté des anciennes lignes de démarcation, dans ce qu'on appelait Beyrouth-Ouest, nous l'avons retrouvé. Son nom ? Nasser Rachad Bakkar, un homme au large sourire affable, originaire de Jdeidet Marjeyoun et dont la maman est beyrouthine. Ce regard plein de désarroi et de tristesse infinie qui était le sien dans la photo de1991 se devine encore, caché derrière son sourire de bienvenue. Il est vrai que Nasser Bakkar n'était qu'un civil comme beaucoup d'autres qui ont aidé les victimes de l'explosion de l'époque, mais ce que nous ne savions pas, c'est qu'il a été un agent actif sur le plan humanitaire et social depuis le début de la guerre libanaise. À peine âgé de dix ans, il avait organisé une quête auprès des voisins et des membres de sa famille afin de contribuer à sa manière à l'ouverture d'un dispensaire pour les plus démunis. Et quelques années plus tard, il s'est enrôlé dans les rangs des bénévoles de la Défense civile en tant que pompier et secouriste vu qu'il avait suivi plusieurs sessions médicales avec des médecins.

C'est le mois de septembre 1982 qu'il n'arrive pas à oublier, plus particulièrement la semaine qui a suivi le massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Le jeune bénévole s'est retrouvé avec beaucoup d'autres volontaires à évacuer durant une semaine des centaines et des centaines de cadavres que les journalistes et photographes devaient enjamber pour avancer. « Le sentiment d'horreur était unanime, décuplé par le fait que les victimes étaient pour la plupart des femmes, des enfants et des vieillards atrocement mutilés », explique-t-il. C'était son premier face-à-face avec la déshumanisation de l'homme, avec la mort à grande échelle et sa puanteur, avec la perversité des bourreaux, quels qu'ils soient. Les secouristes n'avaient aucun matériel, pas de chiens qui les aident à retrouver d'éventuels survivants ou, pire encore, d'éventuels fosses communes. « Beaucoup de personnes n'avaient pas retrouvé des membres de leurs familles pourtant présents à l'intérieur des camps avant le massacre », précise-t-il. Et au choc de la découverte, s'était ajoutée l'incompréhension de tous ces témoins face à la sauvagerie avec laquelle les bourreaux s'étaient acharnés sur leurs victimes : de nombreux corps étaient amputés et des bébés avaient été tués dans leur berceau. « Je me lavais avec tout ce qui me passait sous la main comme savon ou détergent avant de rentrer à la maison pour essayer d'enlever l'insupportable odeur de la mort qui me collait à la peau. La nuit, mon sommeil était perturbé par les images des atrocités », se souvient-il avec tristesse.

Nasser Bakkar, qui a en outre participé à plusieurs missions d'évacuation de blessés, notamment durant l'explosion de l'ambassade américaine, où les secouristes ont été bloqués par les marines plusieurs jours jusqu'à la fin des opérations de recherches, ne vit que pour voir un Liban meilleur. « Je suis drogué par l'amour de ma patrie », dit-il, mais aussi par « mon sens patriotique » transmis par l'éducation de ses parents et l'héritage politique et social de son grand-père. Ce grand-père qui, durant la révolte des druzes, a été un exemple de la coexistence libanaise en empêchant le massacre des chrétiens de son village.

Nasser Bakkar, qui a rejoint par la suite plusieurs ONG actives au Liban, dont Save The Children, Terre des Hommes et l'Unicef, est toujours actif au niveau social et regorge de projets qu'ils propose régulièrement aux hommes politiques. Il croit, comme beaucoup de jeunes de sa génération, dite celle de la guerre, en une résurrection de ce Liban raconté par ses parents, un Liban libre, indépendant et en paix avec son passé et son histoire, cette histoire plusieurs fois violée, jetée aux oubliettes, mais tellement vivante dans les mémoires.
Une chose enfin donne espoir et fait plaisir : le regard tellement désolé de Nasser Bakkar dans la photo de 1991 s'est transformé en un regard déterminé et acharné.

 

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