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Culture - 40e anniversaire de la guerre libanaise

Danses sur un cratère de volcan en feu

Quand le fracas spumeux des armes se fait entendre, les corps plient, se recroquevillent, se lovent, se disloquent, se cassent, se cachent.

Nadia Gamal.

Mais la danse, expression de joie tout comme de deuil, de colère et de contentement, de sensualité et de plaisir, d'harmonie intérieure et d'éclatement de douleur, a toujours voix au chapitre. Quelque part...
Sur notre terre, voisine de celle où Salomé a exécuté son numéro des sept voiles et fait décapiter la tête d'un saint pour une bouche qui en a trop dit et qu'elle aurait peut-être voulu goulûment baiser, la danse a progressivement pointé le nez. Et mis le pied à l'étrier des événements sanglants et en cavalcade.

Il faut avouer que les préoccupations, depuis que le bus du 13 avril s'est mis en travers de nos existences, étaient bien plus importantes que la réussite d'une pirouette, d'un entrechat ou d'une glissade. Plus importantes que de restaurer les trémoussements des couleuses de nombril, même si Nadia Gamal (rien à envier au subtil art de Tahia Carioca et rien à voir avec la vulgarité d'une Fifi Abdo !) restait la reine des scènes de boîtes de nuit libanaises.
Pour le « baladi » métissé de quelques figures de courtisanes d'un harem voué à la concupiscence, Amani, avec élégance, a repris le flambeau. Et phénomène de société inattendu, dans ce chaos et cette fureur de vivre, ont émergé aussi des hommes qui secouent les épaules et jouent du bassin! Mosbah Baalbaki, avec des grâces et des attifements d'almée qu'aurait aimés Flaubert, a fait longtemps courir les noctambules beyrouthins férus d'innovation et d'insolite. Alexandre Paulikevitch, toutes voiles dehors, et ce n'est pas une figure de style, entre torsion du ventre et bras en reptation de crotale, s'exhibe sans complexe, en menant un vrai combat du genre.

Sur un autre plan et dans un sens moins spectacle intimiste, c'est vers 1978 que la lumière est venue des Tentes noires de Caracalla qui ne croulait pas encore sous les costumes somptueux, ni sous les dorures des décors. Magie d'une expression orientale, puissamment puisée au cœur de la vigueur et de la sensualité des pays du Levant. Une danse aux lignes épurées et claires. Que même Paris, ébloui, a applaudi à tout rompre. Avec Le Songe d'une nuit d'Orient, Caracalla récidive régulièrement un succès bien mérité qui se prolonge jusqu'à aujourd'hui.
De son danseur étoile Omar Rajeh, électron libre qui s'est scindé de la troupe, sont nés une école de danse « maqamat » et un festival (Bipod, qui fête aujourd'hui ses onze ans de présence) où la fine fleur internationale du monde des chorégraphes et des danseurs/danseuses se produisent à Beyrouth, avec panache, en toute liberté et audace.
Georgette Gebara, pilier depuis les années 1960 de la danse libanaise, qui a formé plus d'une génération, organisé des spectacles de fin d'année de qualité avec ses élèves et signé de nombreuses chorégraphies, a furtivement, en tout tact et toute délicatesse, fait virevolter sur scène les moines maronites du Charbel de Raymond Gebara. Dans son sillage d'esprit pédagogique, rigoureux et d'une grande modernité, on nomme parmi les anciennes mordues, Sonia Poladian et Alice Massabki, et parmi la nouvelle garde, Khouloud Yassine et Danya Hammoud. Mais aussi et surtout Nada Kano, dont le travail s'inscrit dans un registre de rigueur, d'endurance et de précision. Son atelier « Beirut Dance Project » est un vivier de talents qui articule en une discipline de fer l'art d'exposer et d'offrir le corps au regard.
Plus show et moments de détente d'amateurs dilettantes sont ces soirées tango, flamenco et salsa qui pullulent et où chacun rêve de danser avec les étoiles...

Loin de toute frivolité ou gratuité, venu des valeurs musulmanes les plus profondes, le jeune Ali Chahrour entre dans la ronde en bousculant le ronron du paysage culturel convenu. Dans la même optique, mais sur un plan différent, il y a aussi les moments forts et insoutenables de la danse, témoignage dense et corsé, même si dans le temps elle ne dure que neuf minutes. C'est le cas de Yalda Younès qui martèle le sol sur les éructations de la détonante bande-son de Non de Zad Moultaka pour le drame de vivre et la violence fratricide d'une guerre civile innommable. Une bande-son où les explosions des bombes et les rafales de mitraillettes orchestrent rythmes, cadences et contorsions. Opus, écrit pour Samir Kassir en hommage à la liberté d'être et de dire.

La danse est partout. Elle mène, insidieuse et curieuse, investigation sur tout et fait feu de tout bois. Les jeunes et les moins jeunes l'ont bien compris. Nulle activité n'exprime d'une façon plus immédiate ni plus palpable, même en termes fugitifs car écriture aussitôt tracée aussitôt effacée, la manière d'être d'une époque, d'un pays, d'une société, d'une communauté.
On peut bien extrapoler un adage célèbre et le formuler ainsi : « Dis-moi comment tu danses et je te dirais qui tu es ! » Après tout le corps, fin buvard de tout ce qui nous environne et auxiliaire essentiel de l'expression des mouvements et de la gestuelle, n'est que l'instrument premier de la vie. Et la vie, inestimable don de Dieu, nul ne la lâche facilement.

 

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Mais la danse, expression de joie tout comme de deuil, de colère et de contentement, de sensualité et de plaisir, d'harmonie intérieure et d'éclatement de douleur, a toujours voix au chapitre. Quelque part...Sur notre terre, voisine de celle où Salomé a exécuté son numéro des sept voiles et fait décapiter la tête d'un saint pour une bouche qui en a trop dit et qu'elle aurait peut-être...

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