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À La Une - 40e anniversaire de la guerre libanaise

La guerre dans l’œil de six photographes libanais

Ils ont été aux premières loges de la guerre du Liban, en contact direct avec les événements. A l'occasion du 40e anniversaire du début de la guerre libanaise, nous avons demandé à six photographes libanais de tirer de leurs archives deux photos marquantes de cette période et de les commenter. Témoignages émouvants.

La rue de démarcation, entre Achrafieh et Hamra, à Beyrouth, en 1984. Photo Michel Sayegh.

Michel Sayegh, photographe

 

"Dans la guerre des grands, pourquoi implique-t-on les enfants?" Sur cette photo, prise en 1987 à Achrafieh, à Beyrouth, mon fils tient sa petite voiture détruite par une roquette qui s'était abattue sur ma propre voiture, à côté. Le regard triste de mon fils me hante jusqu'à ce jour."

 

 

"L'hôtel Holiday Inn, à Beyrouth, en 1989. En prenant cette photo, j'ai réalisé que voir l'énormité des dégâts de haut est une expérience unique qui touche droit au cœur. Un sentiment que je ne suis pas près d'oublier". 

 

 

Patrick Baz, directeur photo de l'AFP pour le Moyen-Orient

 


Centre-ville de Beyrouth, en 1990. "Cette photo du centre-ville de Beyrouth, je l'ai prise en 1990 à la fin de la guerre. Pour moi, elle représente la fin d'une ère, de deux plutôt, et le début d'une autre. Sur cette photo, il y a le centre-ville que j'ai connu, enfant, quand j'allais, avec ma mère, acheter les équipements de scoutisme chez Marcel Outin. Il y a aussi le centre-ville ravagé par la guerre. Et, quelque part, la perspective d'une reconstruction. Il y a trois images dans cette photo."

 

 

Attentat à la voiture piégée à Aïn el-Remmané, en 1985. "C'est en photographiant des attentats à la voiture piégée que j'ai commencé ma carrière de photojournaliste. J'ai fait cela pendant toute une année. Marcher dans les décombres, enjamber les cadavres... Avec une peur : que je sois amené, un jour, à photographier l'horreur dans mon quartier, sous ma maison. Les voitures piégées, les bombes, le fracas des armes ne m'ont jamais lâché pendant toute ma carrière au Moyen-Orient, de Bagdad à Tripoli, en passant par Le Caire ou Ramallah, et au delà, de Sarajevo à Kandahar. Cette violence aveugle, la mort ambulante... J'y pense toujours, jusqu'à aujourd'hui. Parfois des souvenirs refont surface. Des nuits plus blanches que d'autres."

 

 

Jamal Saidi, photographe

 

Sabra, à Beyrouth, en 1985. "Cette photo a été prise lors de la guerre entre les milices chrétiennes libanaises et les organisations palestiniennes, près du camp de Chatila, alors assiégé. Nous allions chaque jour prendre des photos dans cette région. Un jour, cette femme, profitant de l'accalmie, est sortie avec son fils pour acheter des provisions quand soudain elle a entendu des tirs intenses. Prise de panique, elle a pris son fils apeuré dans ses bras sans savoir où aller. Je me rappelle comment nous l'avions aidée à surmonter sa peur et à venir vers nous pour être en sécurité. Cette photo me touche beaucoup car elle représente le vrai visage de la guerre. A travers ce cliché, je voulais faire passer un message et attirer l'attention sur le lourd tribut payé par les mères et les enfants. J'espère ne plus jamais revoir une scène similaire..."

 

Dans une banlieue de Beyrouth, en 1981. "Sur une des lignes de démarcation, des combattants masqués arrêtaient les voitures qui passaient. Durant cette période, les enlèvements en fonction de l'identité de la personne et de sa confession étaient monnaie courante malheureusement. C'est la photo que je déteste le plus car elle montre l'humiliation que peut subir un être humain et le danger qu'il peut courir, uniquement parce qu'il est qui il est..."

 

Aline Manoukian, rédactrice photo indépendante basée à Paris

 

"Adèle avait deux ans lorsque je l'ai rencontrée, en 1989. Elle avait été amenée à l'hôpital Hôtel-Dieu après la chute d'un obus dans la salle à manger où sa famille dînait. La petite fille a perdu ses deux parents ainsi que sa grand-mère. Seuls Adèle et son grand-père ont survécu au carnage. Adèle a perdu la moitié de son pied droit, et son petit corps était couvert de blessures. J'ai dû approcher Adèle progressivement, elle avait peur des adultes, pensant qu'ils étaient tous médecins. Je lui ai rendu visite à plusieurs reprises afin qu'elle se sente en confiance. Ce n'est qu'au bout de plusieurs jours que j'ai pu la photographier. De ses petits yeux ronds et noirs, elle m'a lancée ce regard intense comme si elle disait : « Me voilà, et voilà ce que je suis devenue, vas-y, montre ma tragédie au monde entier ». Et le monde entier a vu et a réagi. Pour la première fois dans ma carrière de photojournaliste, une de mes photos a créé une réaction directe et immédiate. Des dizaines de lettres ont afflué des quatre coins de la planète. Des gens demandaient comment ils pouvaient aider Adèle et les autres orphelins au Liban. Adèle a été transportée à Paris pour y être traitée. Je lui ai rendu visite. Dès que je suis entrée dans le hall de l'hôpital où elle m'attendait, elle a couru vers moi, les bras grand ouverts pour un câlin, puis elle m'a fièrement montré sa prothèse.
Je n'ai jamais oublié cette fillette. L'an dernier, je l'ai retrouvée sur Facebook. Adèle était devenue une jeune femme, belle comme un cœur, elle avait l'air heureuse avec son fiancé. Nous sommes devenues amies sur Facebook, mais j'ai décidé de la laisser tranquille et de ne pas lui rappeler sa tragédie.
Récemment, j'ai vu des photos d'elle enceinte. Aura-t-elle une petite fille? Une version heureuse d'Adèle lorsqu'elle aura deux ans ? Vais-je oser demander à Adèle de me laisser la photographier ?"

 

 

"Presque chacun d'entre nous, au Liban, a perdu un proche, un ami, une connaissance pendant la guerre civile. Des milliers de personnes ont été tuées ou enlevées. Je n'ose même pas imaginer à quel point il est insoutenable pour une mère de perdre un enfant. Pire, de ne pas savoir ce qu'il est devenu.
Ce jour-là, en 1983, des proches de disparus avaient laissé exploser leur colère au passage du Musée. Ils voulaient des réponses, savoir ce qu'il était advenu de leurs proches. Dans la fumée et le chaos, cette femme vêtue de noir a brandi une photo de son fils disparu. J'ai pris la photo très rapidement, sans me rendre compte que son visage allait me hanter pendant des années. Je l'ai appelée "La Louve". Elle a cette férocité animale, elle serait capable de déchiqueter celui qui oserait faire du mal à son louveteau."

 

  

Saleh Rifai, photographe et professeur de photo à l'Université libanaise

 

 

Rue Bab Idriss, à Beyrouth, en 1976. "Cette région a été le théâtre des combats les plus violents. Lors de chaque round, les combattants étaient les mêmes. Ils se connaissaient si bien qu'ils sont devenus amis. Ainsi, sur cette photo, on voit des combattants du parti Kataëb et du Mouvement national (les partis de gauche libanais et leurs alliés palestiniens), ennemis sur le terrain, poser ensemble lors de "la guerre des deux ans" pour une photo souvenir. J'étais choqué de les voir discuter et plaisanter ensemble. Si cette photo raconte quelque chose, c'est que la guerre est d'un côté et le peuple d'un autre. Pourvu que nous apprenions..."

 

Un incendie à l'opéra de Beyrouth, devenu aujourd'hui le Virgin. "Cette photo a été prise durant les premiers jours de la guerre civile, en 1975. A l'origine, l'opéra de Beyrouth était un théâtre, puis il est devenu une salle de cinéma qui projetait des films sans interruption. Cette photo me tient à cœur car l'opéra est le seul bâtiment qui n'avait pas été détruit, un endroit qui avait toujours attiré les curieux de la culture et du savoir".    

 

Sami Ayad, photographe

 

A Kantari, à Beyrouth, en 1989. "Alors qu'un calme relatif régnait ce jour-là, les bombardements ont soudain repris. Pris de panique, cette mère de famille et ses deux enfants se sont mis à courir sans vraiment savoir vers où, juste pour échapper à la mort. Caché dans l'entrée d'un immeuble voisin, j'ai pris cette photo, saisi par l'insoutenable fragilité de la vie..."

 

 

Dans le quartier Zarif, à Beyrouth, en 1989, lors de "la guerre de libération". "Cette photo a été prise dans un parking où un grand nombre de voitures étaient garées et où les pompiers de la Défense civile s'activaient à éteindre un incendie. Lorsque le responsable de la Défense civile (au premier plan, au sol) m'a vu arriver, il m'a dit : "Tu es en retard, nous avons fini notre travail". A peine quelques secondes plus tard, une salve d'obus s'abattait sur le parking. Tous les membres de la Défense civile ont été tués. Ce jour-là, il y a eu 40 tués et 70 blessés. Cette photo me touche énormément. Son message est clair : la mort nous guette partout et peut survenir à tout moment. En quelques secondes, tout peut basculer."

 

Lire aussi
Fouad Elkoury, un certain juillet 1982

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Michel Sayegh, photographe
 

"Dans la guerre des grands, pourquoi implique-t-on les enfants?" Sur cette photo, prise en 1987 à Achrafieh, à Beyrouth, mon fils tient sa petite voiture détruite par une roquette qui s'était abattue sur ma propre voiture, à côté. Le regard triste de mon fils me hante jusqu'à ce jour."
 
 

"L'hôtel Holiday Inn, à Beyrouth, en 1989. En prenant...

commentaires (1)

En commentaire à la photo de la mère et de son enfant de Jamal Saidi, "Sabra, à Beyrouth, en 1985. "Cette photo a été prise lors de la guerre entre les milices chrétiennes libanaises et les organisations palestiniennes, près du camp de Chatila, alors assiégé."... A mon avis, c'est soit 1982 (???) soit remplacer les milices Chrétiennes par Chiites... Merci

Abdallah Shirine

15 h 19, le 16 avril 2015

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Commentaires (1)

  • En commentaire à la photo de la mère et de son enfant de Jamal Saidi, "Sabra, à Beyrouth, en 1985. "Cette photo a été prise lors de la guerre entre les milices chrétiennes libanaises et les organisations palestiniennes, près du camp de Chatila, alors assiégé."... A mon avis, c'est soit 1982 (???) soit remplacer les milices Chrétiennes par Chiites... Merci

    Abdallah Shirine

    15 h 19, le 16 avril 2015

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