Depuis le fond des temps, l'humanité sent le besoin de rendre hommage à la main qui change les saisons, dessèche les arbres et emporte leurs feuilles pour mieux les ramener dans une splendeur de bourgeons et de fleurs, selon un ordre impérieux et quasi infaillible dont elle seule a le secret. En Égypte, on fêtera Shamm el-Nessim. On prendra des felouques. On ira respirer l'air chargé de parfums nouveaux. On cassera des œufs durs, symboles immémoriaux de naissance et de résurrection. De l'Iran à l'Afghanistan, on célébrera le Nowruz, « le nouveau jour », avec des fleurs à profusion. C'est aussi la saison où les chrétiens célèbrent Pâques, la fête du passage de l'obscurité à la lumière, de la mort à la vie, en commémorant le dernier repas de Jésus avec ses disciples, son message d'amour et de partage, sa terrifiante agonie, sa mort et sa glorieuse résurrection « le troisième jour ». Pâques revient le premier dimanche qui suit la pleine lune de l'équinoxe de printemps. Le printemps n'est pas une saison, c'est un événement.
Déjà le dégel ouvre les passages enneigés, la houle retombe, les fleuves se gonflent. Dans cette période de mouvements et de mutations qui nous pousse hors du calfeutrage rassurant de l'hiver, tout appelle à se dépouiller du vieil homme, chercher, découvrir, redécouvrir ce pourquoi nous sommes vivants. De tout près, de Syrie, d'Irak, du Yémen, nous parviennent les grondements angoissants de tant de guerres qui perdurent. Comment ne pas évoquer Chateaubriand, en route vers Gand, se souvenant des rumeurs de Waterloo : « Cette grande bataille, encore sans nom, dont j'écoutais les échos au pied d'un peuplier et dont une horloge de village venait de sonner les funérailles inconnues. » À quelques encablures de nos frontières, des familles, des enfants vivent dans une terreur que nous connaissons trop bien. Et sans doute meurent-ils sans funérailles, numéraires engloutis dans le sinistre décompte des cadavres quotidiens.
Un certain jour d'avril, au Liban, nous a appris que le plus terrible, dans une guerre, est la mort gratuite et anonyme dont celle-ci se repaît. Nous avons tant voulu croire à un au-delà qui compense et restaure le bonheur perdu. Avec le sentiment, pourtant, que cette seconde chance n'est pas forcément offerte dans un « après » improbable. Pâques, ses œufs, ses cloches, ses lapins, ses chocolats, ses rituels naïfs et ses grandes cérémonies, pathétiques puis radieuses, nous rappelle que la résurrection est au cœur même de la vie. Pourvu que nous y soyons attentifs.
Fifi ABOU DIB
Premier dimanche après la lune
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 02 avril 2015 à 02h17
commentaires (3)
Pâques, ses œufs, ses cloches, ses lapins, ses chocolats, ses rituels naïfs et ses grandes cérémonies,un nouvel espoir pour se retrouver dans un Liban ou les chrétiens existent toujours .
Sabbagha Antoine
16 h 32, le 02 avril 2015