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Nos Lecteurs ont la Parole - Georges TYAN

Des bourgeois aux ploucs

Je discutais l'autre matin de la situation avec une personne qui enrichit mes idées, je mets souvent à profit les petits mots qu'elle me glisse, pour élaborer mes textes, surtout quand je tombe en panne pour accorder mes idées aux transitions, donner corps aux quelques lignes que de temps à autre j'écris pour mon plaisir et celui, j'ose le croire, de quelques lecteurs.
Nous évoquions le délabrement du personnel politique qui, pour notre malheur, préside aux destinées de notre pays. Il est notoire, et là je ne risque pas de me tromper, que les esprits brillants ont déserté notre panorama politique, que nous nous retrouvons à être gouvernés, non par des ploucs, mais c'est tout comme, par des gens qui n'ont aucune vision d'avenir.
Au cours de cette discussion donc, cet ami – figurez-vous que j'en ai quelques-uns encore –,
qui pour moi est une encyclopédie ambulante, tant son savoir est vaste acquis à force de lectures et de recherches, féru de musique classique, enrichi par ses innombrables voyages pour assister à des concerts philharmoniques ou contempler les œuvres d'art, me dit :
« Du temps des mandats, que ce soit Turcs puis Français, le Liban était gouverné par l'aristocratie, qui faisait semblant des fois de ne pas s'aimer, mais souvent, faisant fi des rivalités et des querelles de clocher, nombreuses à cette époque, œuvrait pour atteindre une forme de souveraineté et d'indépendance vis-à-vis de la puissance mandataire.
« Une fois l'indépendance obtenue, ce fut au tour des bourgeois de diriger le pays, consolidant l'esprit de liberté, encourageant le commerce, le développement, la construction, le règne de la justice, l'application des lois, l'ouverture du Liban sur l'étranger, l'essor économique, l'ambition d'en faire la plaque tournante du Moyen-Orient, havre de culture, de paix, de liberté, refuge des opprimés.
Ce fut l'âge d'or du Liban, quelque peu terni par les coups d'État à répétition qui avaient lieu dans la région plus la montée du panarabisme chez quelques personnages cherchant à se donner une stature nationale. Ce n'était pas bien méchant alors, les hommes de religion de tout genre restaient contenus à l'intérieur des lieux de leur culte, le Libanais était Libanais avant d'être autre chose.
« Les GI ont quand même fait un petit tour sur nos plages et leurs patrons avaient une idée plus précise des sévices qu'ils allaient nous infliger quelques années plus tard. Le ver était dans le fruit.
Déjà la méfiance maladive de quelques gros pontes à l'égard de l'armée nationale s'ancrait dans leur tête, partant du principe que la force du Liban réside dans sa faiblesse, croyant fermement qu'à chaque fois qu'ils crieraient au loup, l'oncle Sam, toutes affaires cessantes, se porterait à leur secours.
« Le Libanais est comme ça, il se prend pour le nombril du monde, gesticule, palabre, chicane, crie, menace, fait le paon, toise de haut les gens, les apostrophe "tu ne sais pas à qui tu t'adresses !" puis, comme un ballon, il se dégonfle, se fait spolier, n'a même plus de ressort pour continuer. Il se retrouve seul, orphelin des promesses qu'on lui a faites, prisonnier des châteaux en Espagne qu'il s'est bâtis.
« C'est ainsi qu'il n'a pas vu arriver la catastrophe. La bourgeoisie, la tête ailleurs, n'a pas remarqué le vase déjà fêlé par le trop-plein de rancœur à son égard, qui d'un coup s'est brisé, libérant, comme de la boîte de Pandore, tous les démons tapis dans ses recoins.
« Et ce fut l'avènement de la paysannerie dans le sens brutal du terme, mes concitoyens ont vécu des moments atroces, leur souvenir est toujours vivace, certaines blessures ont trop de mal à se cicatriser pour ne pas s'étendre là-dessus. Ce n'est pas l'argent seul qui a changé de mains, c'est tout un esprit de convivialité, d'amour, d'entraide, de sensibilité, de respect, d'ouverture, qui n'est plus. »
Très content de moi, je développais cette théorie dans un salon où l'on causait, quand un monsieur m'interpelle à brûle-pourpoint : « Je suis d'accord avec vous sur l'aristocratie et le déclin de la bourgeoisie, mais pas trop en ce qui concerne la paysannerie, ces gens sont connus pour leur attachement viscéral à leur terre, ne faisant qu'un avec elle, la cultivant, vivant de leurs semailles, en tirant profit et souvent fierté. Il ne viendrait jamais à l'idée d'un paysan de transformer son terrain en champ de bataille, d'en faire un passage pour son ennemi, et partant le vôtre, vous son compatriote. Il vous défendra bec et ongles, prendra votre parti quoi qu'il en coûte, ne vous trahira ni ne s'alliera à vos ennemis, n'acceptera pas de subsides vous portant préjudice, gardera à tout moment haut son front. »
Et de continuer sur sa lancée : « Que nous sommes loin à l'heure actuelle des paysans et de leurs paysanneries, c'est leur nature de tirer un petit profit au passage, de tenter de gruger l'étranger à leurs régions avec le sourire, c'est leur péché mignon. Ce qui a lieu dépasse tout entendement, observez autour de vous, vous saisirez le sens de mes paroles ; l'ère des paysans est révolue, nous sommes en plein dans celle des ploucs. »
En effet !

Georges TYAN

Je discutais l'autre matin de la situation avec une personne qui enrichit mes idées, je mets souvent à profit les petits mots qu'elle me glisse, pour élaborer mes textes, surtout quand je tombe en panne pour accorder mes idées aux transitions, donner corps aux quelques lignes que de temps à autre j'écris pour mon plaisir et celui, j'ose le croire, de quelques lecteurs.Nous évoquions le...

commentaires (2)

PRÉCISION ! MERCI : ".... qui permet au pâmé de reconnaître dans la réaction la source jaillissante de cette (société) arriération, au lieu de voir dans cette arriération ....

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 20, le 31 mars 2015

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Commentaires (2)

  • PRÉCISION ! MERCI : ".... qui permet au pâmé de reconnaître dans la réaction la source jaillissante de cette (société) arriération, au lieu de voir dans cette arriération ....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 20, le 31 mars 2015

  • L’arriération fait son apparition dans les périodes de transition, où les vieux systèmes déclinent et où le new système des villes tourne au modernisme, sans qu'1 des parties ait encore pu de l’autre à bout venir. Les éléments sur lesquels s'édifie l’archaïsme ne sont point son produit, ils en sont la prémisse. Qu'en ce pays, l’archaïsme dure depuis, cela s'explique par le fait que le modernisme s'est rabougri ici. L'énigme, on en trouve la clef dans l'anéantissement de tous les soulèvements anti-conServatisme, la défaite paysanne dont est issue la souveraineté du système de la nette réaction, la ruine d’1 économie institutionnellement archaïque, au moment où le marché mondial s'ouvre et où la mondialisation prend son essor ; l'état barbare laissé par le bääSSyrien néo-Ottoman ; le caractère des articles d'exportation qui appartenaient le + à l'agriculture et ne font qu'accroître les ressources des beys campagnards et partant leur puissance face à la ville ; celle-ci se trouvant ainsi dépendante sûr d'eux…. : toutes ces conditions, qui ont produit la forme de cette société et l'organisation politique correspondante, se changent pour le niais en some sentencieuses vérités, dont le fond se réduit à ceci : le conservatisme réactionnaire a fait et refait always la société. Il est donc facile d'expliquer l'illusion qui permet au pâmé de reconnaître dans la réaction la source jaillissante de la société, au lieu de voir dans cette arriération la source jaillissante de la réaction.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 04, le 31 mars 2015

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