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Turbulences

Quels temps d'apocalypse sommes-nous en train de vivre ? C'est la question que suscite la tragique équipée de l'Airbus de Germanwings, engagé, corps et biens, dans un mortel plongeon par un copilote dépressif barricadé dans son inviolable cockpit.

Ce n'est pas la première fois que survient un aussi improbable événement impliquant un de ces hommes volants qui tiennent entre leurs mains, en même temps que leurs commandes, les vies de dizaines, parfois de centaines d'innocents voyageurs. Ce qui frappe et épouvante pourtant, dans ce cas précis, c'est l'enchaînement des faits qui a permis à un copilote notoirement soumis à un traitement psychiatrique (et même consigné au sol le jour même du vol fatal) de passer à travers tous les filtres et barrages, tant administratifs que sécuritaires, pour accomplir son terrible projet : lequel n'était pas tant un spectaculaire suicide qu'un meurtre de masse. Avant chaque embarquement faudra-t-il désormais dévisager avec méfiance pilote et copilote, à la recherche de quelque signe apparent de déséquilibre ?

Ce qui donne également froid dans le dos, c'est la propagation de l'insécurité dans les divers domaines de la vie moderne, qu'elle provienne de désaxés, tels ces snipers tirant sur une foule, ou du terrorisme caractérisé, devenu un phénomène planétaire ; c'est la course au progrès et à l'innovation que se livrent d'une part terroristes ou détraqués, et d'autre part ceux qui ont pour tâche de leur faire échec, un peu comme c'est le cas des cambrioleurs et des fabricants de coffres-forts. Il aura fallu ainsi des dizaines de détournements d'avion pour que l'on s'avise de bloquer l'accès des pirates au cockpit. Et il aura fallu le 11-Septembre pour que l'aviation civile américaine rende obligatoire la présence constante, à l'intérieur de celui-ci, de deux membres d'équipage, dont au moins un pilote qualifié : mesure que s'empressent maintenant d'adopter, mais à retardement comme toujours, les compagnies aériennes du monde entier.

Pour tenter d'expliquer les motivations de son acte désespéré, une armée de spécialistes s'emploie en ce moment à fouiller les tortueux méandres du cerveau malade (et aujourd'hui réduit à néant) d'Andreas Lubitz. Mais au fond, n'est-ce pas notre monde actuel – et plus particulièrement notre petit monde proche et moyen-oriental – qui est en train de sombrer dans une sanguinaire folie ? Inimaginable folie, en effet, que ces hordes d'égorgeurs implantées en Syrie et en Irak, deux pays en flammes où l'on ne sait plus trop qui se bat contre qui : Arabes contre Perses ? Arabes contre Arabes, musulmans contre musulmans, parti de Dieu contre califat divin : pour tout dire sunnites contre chiites, comme achève de l'illustrer l'opération Tempête de la fermeté lancée au Yémen à l'initiative de l'Arabie saoudite et à laquelle participent une dizaine de pays ?

Et nous, dans toute cette sanglante mêlée ? Il y a quelques années, les Libanais étaient en désaccord seulement sur la prétention qu'avait – qu'a toujours – l'unique milice locale à décider de la paix ou de la guerre avec Israël. C'est la guerre de Syrie qui a alimenté par la suite nos échanges de vociférations. Voilà venir maintenant l'expédition panarabe du Yémen, applaudie par les uns et dénoncée par les autres, et qui offre à la diplomatie libanaise une occasion en or de dire, au prix de mille contorsions, la chose et son contraire. À quand donc une nouvelle empoignade autour, cette fois, de quelque rébellion en Azerbaïdjan ou en Mongolie ?

Pour toutes ces raisons – et vous le mettrez sans doute sur le compte de la déformation professionnelle –, l'angoissante image de cet infortuné Airbus perdant inexorablement de l'altitude fait irrésistiblement penser à ce brinquebalant machin volant qu'est l'État libanais. Pas de commandant de bord dans le cockpit, la république se trouvant sans président depuis dix mois. En revanche, il y a là foule d'apprentis navigateurs, chacun des trente ministres tirant de son côté sur le manche, le Hezbollah s'obstinant même à foncer dans le décor. Nous volons bien bas, il est grand temps de remettre les gaz, de relever le nez. Et par la même occasion, de retrouver toute sa tête...

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Quels temps d'apocalypse sommes-nous en train de vivre ? C'est la question que suscite la tragique équipée de l'Airbus de Germanwings, engagé, corps et biens, dans un mortel plongeon par un copilote dépressif barricadé dans son inviolable cockpit.
Ce n'est pas la première fois que survient un aussi improbable événement impliquant un de ces hommes volants qui tiennent entre leurs mains,...