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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine Nasri MESSARRA

La pédagogie du Grand Liban

Si le Grand Liban de 1920 est parfaitement intégré dans la réalité diplomatique et institutionnelle du Liban, grâce surtout à la petite dimension du pays, aux échanges et à la circulation entre toutes les régions, il ne l'est pas, et certainement pas assez, dans le subconscient collectif du Libanais moyen et de la psychologie historique.
Le problème, qui relève de la psychologie historique, est d'une importance prioritaire pour l'inculturation de l'identité, de l'appartenance, de la solidarité vraiment nationale et de la mémoire collective, partagée et solidaire pour la nouvelle génération. Il exige une action culturelle et pédagogique, et une thérapie. La preuve ou plutôt les preuves ?

1. Les 10 452 km2 : quand le président élu Bachir Gemayel lance l'évidence, après plusieurs années de guerres multinationale, du Liban des 10 452 km2, cette évidence historique et institutionnelle semble nouvelle, exaltante, et digne d'engagement et de réengagement. On ne se rappelle pas (heureusement) qu'avant que Bachir Gemayel ne proclame les 10 452 km2, un pamphlet de 26 p. avait été publié en 1975 : Le Grand Liban ou la tragédie d'un demi-siècle.
2. La perception isolée de l'espace : quand la situation sécuritaire était perturbée dans une région et que vous demandiez, en 1975-1990, à quelqu'un d'une autre région : « Comment ça va (dans le pays) ? » Il répond : « C'est tranquille » ! Notre perception a peut-être changé aujourd'hui, par expérience. La perception de l'espace est fragmentée. Des revendications régionales demeurent régionales, se règlent régionalement, sans perception nationale ni prise en compte de l'harmonie d'ensemble.
3. Les velléités territoriales : durant des périodes de crise, le plus souvent pour des raisons régionales arabes et internationales, surtout en 1975-1990, d'anciennes velléités fédérales territoriales et cantonales surgissent, même de la part d'intellectuels fort sérieux. Quand, dans l'accord d'entente nationale dit de Taëf, la décentralisation est considérée comme une exigence fondamentale de réforme, il s'avère toujours nécessaire, dans tout débat, de préciser qu'il s'agit de décentralisation et par d'autre « chose ». Cette « chose » est engouffrée dans un subconscient maladif et n'a pas été soumise à une thérapie nationale. On continue à ressasser dans des manuels scolaires, sans le situer dans le contexte de l'époque : « Heureux celui qui dispose d'un bercail de chèvre au Mont-Liban » !
4. L'idéologie Sykes-Picot de 1916 : une idéologie en vogue, arabisante, nationaliste, superficielle, mobilisatrice fait remonter toute la configuration géographique du monde arabe, y compris celle du Liban, comme la résultante des accords de Sykes-Picot. Or un mariage de raison ou arrangé peut devenir, après un siècle, un mariage d'amour ou du moins inévitable dans une « patrie définitive », suivant le nouveau préambule constitutionnel.
En 1926, les pères fondateurs de la Constitution libanaise, parfaitement conscients du problème, ont détaillé, avec une précision inégalée par rapport à d'autres Constitutions dans le monde, les frontières du Liban dans l'article premier (oui premier). Le député Saadi Mounla, lors du débat parlementaire du 8/11/1943 sur la Constitution, relève : « Est-ce une leçon de géographie ? » Oui, leçon de géographie, selon la réponse de Hamid Frangié.
Dans la Constitution amendée en 1990, en vertu de l'accord d'entente nationale, on a introduit explicitement dans le préambule, du fait que l'évidence des 10 452 km2 n'est pas profondément une évidence, la formule : « Le Liban patrie définitive pour tous ses fils. » Formule ? Oui, car il en est qui ont rétorqué que cela contredit le principe de l'autodétermination !
Des évidences ne sont donc pas si évidentes dans la psychologie historique du Libanais moyen. Certes, si le bey du Hermel et le cheikh du Akkar vivent ces évidences, grâce à une sagesse expérimentale, il n'en est pas de même pour des intellos en chambre et pour des Libanais ballottés par des politicards qui réveillent dans la mobilisation politique et la compétition interélite le refoulé maladif qui n'a été ni diagnostiqué ni soumis à une thérapie.

Que faire ?
Dans les nouveaux programmes d'histoire, dans le cadre du plan de rénovation pédagogique sous la direction du professeur Mounir Abou Asly dans les années 1996-2000 (j'étais moi-même membre de la première commission des Six), est expressément soulignée l'exigence d'enseigner, et c'est là une autre évidence, l'histoire de tout le Liban et non d'une partie du Mont-Liban.
Il est aussi souligné, en vue d'une perception globale de l'interaction et de la solidarité interrégionale, qu'il faut relater les événements importants dans leurs répercussions sur l'ensemble du territoire national. Les événements de 1860 dans la Montagne ne se limitent pas en effet, quand l'investigation scientifique est sérieuse, à la région de Deir el-Kamar !
Le problème est mondial pour toute historiographie. La Suisse était à l'origine constituée de trois cantons. Les États-Unis d'Amérique formaient au départ treize États... Va-t-on enseigner, aujourd'hui, l'histoire exclusive de trois cantons et l'histoire exclusive de treize États ? Toute historiographie nationale sérieuse part de la géographie actuelle et officielle du pays pour en écrire l'histoire aux générations d'aujourd'hui. Aucun historien libanais, à ma connaissance, ne l'a encore fait. Quel danger, quelle lacune, quelle vacuité dans la psychologie historique du Libanais, alors qu'on palabre toujours sur l'État, la citoyenneté, l'appartenance et la libanité !
N'accusons pas tellement le Libanais moyen de manquer d'allégeance, d'appartenance, de solidarité nationale, c'est-à-dire globale, des 10 452 km2. Nous n'avons pas, les générations d'après 1920-1943, pris au sérieux le Grand Liban de 1920, le Liban des 10 452 km2, ce qui explique le sursaut national de Bachir Gemayel après son expérience personnelle douloureuse de la fragmentation et de l'unité.
Depuis les années 1980, les histoires, souvent de haute qualité scientifique, des régions et des communautés ont proliféré afin de compenser les lacunes de la centralité de la prétendue histoire du Liban, qui n'est en fait que l'histoire d'une partie du Mont-Liban. Le grand historien Antoine Hokayem me dit : « Ce fut plutôt par réaction », sans donc rechercher les interactions, les échanges et les complémentarités dans une vision nationale intégrée.

***
Où est donc la culture, ou plutôt l'inculturation, du Grand Liban ? Pour répondre à cette lacune dans la psychologie historique, la culture vraiment nationale et la pédagogie de la mémoire, l'association Gladic (Groupement libanais d'amitié et de dialogue islamo-chrétien), en coopération avec la Chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue à l'Université Saint-Joseph et d'autres institutions, organise un séminaire, en avril 2015, suivi d'un concours interscolaire en 2015-2016 dans plusieurs écoles au Liban. Il s'agit de retrouver les pères fondateurs du Grand Liban et les valeurs républicaines du Liban des années 1920-1943 pour la mémoire collective et partagée de demain.

Antoine Nasri MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel
Professeur
Titulaire de la Chaire Unesco
d'étude comparée des religions
de la médiation et du dialogue
Université Saint-Joseph

Si le Grand Liban de 1920 est parfaitement intégré dans la réalité diplomatique et institutionnelle du Liban, grâce surtout à la petite dimension du pays, aux échanges et à la circulation entre toutes les régions, il ne l'est pas, et certainement pas assez, dans le subconscient collectif du Libanais moyen et de la psychologie historique.Le problème, qui relève de la psychologie...

commentaires (2)

LE PROBLÈME RÉSIDE EN : LES LIBANAIS ORTHODOXES CRITIQUENT LA RUSSIE ET LES OCCIDENTAUX... LES LIBANAIS MARONITES ET AUTRES CHRÉTIENS CRITIQUENT LA FRANCE ET LES OCCIDENTAUX... LES LIBANAIS SUNNITES SONT UNIQUEMENT SAOUDO-ARABESQUES... ET LES CHIITES SONT UNIQUEMENT PERSIQUES !!! CHERCHEZ L'ERREUR...

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 12, le 28 mars 2015

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Commentaires (2)

  • LE PROBLÈME RÉSIDE EN : LES LIBANAIS ORTHODOXES CRITIQUENT LA RUSSIE ET LES OCCIDENTAUX... LES LIBANAIS MARONITES ET AUTRES CHRÉTIENS CRITIQUENT LA FRANCE ET LES OCCIDENTAUX... LES LIBANAIS SUNNITES SONT UNIQUEMENT SAOUDO-ARABESQUES... ET LES CHIITES SONT UNIQUEMENT PERSIQUES !!! CHERCHEZ L'ERREUR...

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 12, le 28 mars 2015

  • En n’admettant pas qu'argent, puissance, domination, pouvoir étaient la même chose, le donneur de leçons énonce 1 tautologie ; jeu de mots qui vaut pour lui comme 1 acte héroïque qu'il revendique avec toute la conscience du voyant, à l'encontre de "Moyens" qui sont assez "non-voyants" pour ne pas s'arrêter à sa perception naïve. Comment, au lieu de la fixité ; son dogme ; les relations de ces pouvoirs s'établissent confusément, de tout cela il peut se convaincre ultra rapidement : il n'a qu'à voir comment ces Libanais ont acheté leur liberté, Beyrouth sa belle cité, comment ils ont écrasé les autocrates et fait se volatiliser en poussière leurs pouvoirs, aidé la Cédraie à vaincre ces zaïîms minés, et leur ont retiré leurs privilèges et exploité leurs crises d’avec le tyranneau d’à côté ; comment celui-ci devint dépendant de la Cédraie du fait de ses dettes morales envers ce pays ; comment, de celui-ci, il a fini par être enfin bouté. En fixant des incompatibilités entre argent et pouvoir comme des éternelles vérités, le présomptueux donneur de leçons se procure l'état rêvé pour déverser son indignation sur la "méchanceté" de ces "Moyens", ennemis de ses articles de foi. Jouissance qui dans l' expectoration, doit lui fournir la bouillie rhétorique où ne peut barboter que de piètres banalités. Il lui sera donné de voir que la puissance de l’argent aboutit, même ici sur le total de ces 10.452 km2, au mariage forcé avec le pouvoir politique de ses propres et "fondateurs pères" !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 10, le 28 mars 2015

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