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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Pour vivre heureux, vivons cachés ?

À l'échelle de chaque ville, village ou quartier, l'intrusion dans la vie d'autrui est notre sport national. Il ne reste plus que la nuit comme seul refuge : les rares moments de tranquillité sont nocturnes et la lumière devient angoissante. Quelques lieux de la capitale qu'on visite en catimini, dans l'obscurité, seul ou surtout à deux, à l'abri des regards indiscrets.

Photo Gilles Khoury

Elle a 21 ans. L'éducation judéo-chrétienne jusqu'au bout de ses doigts qu'elle promène sur un piano tous les vendredis après-midi. Ses parents voudraient la «caser» avec un avocat parti décrocher un diplôme à Harvard, le fils d'un couple d'amis de bonne famille. Lui, il en a 47. Mariage arrangé avec une cousine de son village de Nabatiyé. Trois enfants et le quatrième en chemin. Ils se sont rencontrés l'été dernier, lorsque sa fac l'avait placée pour un stage à l'hôpital dont il est propriétaire, pas loin de chez lui à Hamra. Depuis, leurs journées ne sont plus qu'une attente de la nuit, lorsqu'ils se donnent rendez-vous, secrètement. Et leurs nuits prennent des airs d'histoire d'amour policière, l'histoire d'un couple de gangsters déterminés à être ensemble.

Il est 23 heures passées et, alors que ses parents ronflent paisiblement avec la voix soporifique de Mona Abou Hamzeh en fond sonore, elle enfile sa petite robe sous une doudoune en polyester et fonce vers le coin du boulevard Charles Malek où elle grimpe à bord d'un service. «El-Raouché men fadlak.» De son côté, l'air troublé, il prétexte à sa femme une urgence à l'hôpital, une de plus, et se met en route dans sa 4x4 aux vitres fumées. Quand ils se retrouvent, près de la grande roue de Manara, elle lui offre une poignée de jasmins ramassés sur sa véranda et une tranche de forêt noire roulée dans un papier alu. Simplement, ils s'attablent dans l'un des restaurants de la Corniche. Souvent, ils prennent place sans crainte dans l'un de ces établissements car le maître d'hôtel qui le connaît depuis son enfance couvre ses amourettes et escapades nocturnes. Quelquefois, en basse saison, l'automne ou l'hiver, ils se posent sur la table du fond au Rawda Café, à La Paillotte ou Chez le Pêcheur, des adresses où il ne reste plus – à cette heure – que deux ou trois serveurs somnambules pour leur proposer quelques mezzés.

Et quand ils ont envie d'un semblant de dépaysement, quand ils ont envie d'une pseudo-normalité, ressembler à un couple qui sort pour célébrer ses quatre mois par exemple, il l'emmène vers l'un des restaurants qu'il connaît, sur la côte de Maameltein ou à Tabarja. Dans ces décors kitsch arrachés des limbes d'une époque d'avant-guerre, ils côtoient des hommes bedonnés aux cheveux teints d'un blanc-bleu douteux, affublés de leurs cigares, et de jeunes blondes sculpturales juchées sur des talons aux plateformes golgothiennes. Ça les fait sourire, ça les rassure, cette zone de confort, ces lieux où des noctambules, presque complices, viennent partager leur secret avec d'autres fugitifs nocturnes.

Sur le trajet du retour, ils partagent un cocktail che'af de chez SeaSweet, noyé dans un nuage d'achta et de miel. Faute de temps, faute de pouvoir passer la nuit ensemble ou de s'enlacer dans des draps soyeux, il dépose sa Range Rover sur un terrain vague. Il lui arrive aussi de la parquer sur le rebord d'une autoroute mal (ou pas) éclairée, dans un parking sans gardien de nuit, ou sur l'une des artères de la marina de Dbayeh qu'on devrait d'ailleurs rebaptiser la marina des amants. Sur la banquette arrière, camouflés par les vitres teintées, ils explorent ensemble les plus belles villes du monde, Londres, Milan, Venise, les plus beaux lits d'hôtel. Rien ne les retient.

Parfois, leur insouciance les entraîne dans des hôtels dont les bars et les salons tout en velours dérobent les amours interdites d'une fin de nuit. Après avoir séparément traversé le hall d'entrée de ces beaux lieux, dans l'ascenseur, ils grimpent au septième ciel. Ils inspectent le lieu, avec un mélange de frayeur et d'adrénaline, avant de s'installer, toujours à l'écart, toujours dans le coin, ou dans le fond, à l'abri des regards envahissants et pourtant sous les yeux ronds d'un maître d'hôtel presque complice qui doit en connaître des histoires. Puis ils se lovent et ils s'oublient, seuls au monde, sur l'un des sofas confortables qu'ils investissent comme un lit king size. Avant que les premiers rayons de soleil ne viennent, trop rapidement, les titiller et leur rappeler qu'il est temps de s'éclipser.
Parce que seule la nuit les protège.

 

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VIVONS SANS TAMBOUR ET TROMPETTE !

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 16, le 28 mars 2015

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Commentaires (2)

  • VIVONS SANS TAMBOUR ET TROMPETTE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 16, le 28 mars 2015

  • Pour vivre heureux vivons séparé...?!

    M.V.

    13 h 30, le 28 mars 2015

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