La prestation de Fouad Siniora à la barre du Tribunal spécial pour le Liban, ces jours derniers, avait déjà eu pour effet de braquer les projecteurs une nouvelle fois sur les divisions persistantes au sein de la classe politique et de la société libanaises. Les développements majeurs survenus hier au Yémen ont achevé de ressortir au grand jour l'ampleur intacte de ces dissensions.
Du tableau brossé par le chef du bloc du Futur en quatre jours de témoignage devant le TSL sur les rapports de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri avec le régime syrien, l'ex-président Émile Lahoud, les services de sécurité libanais et le Hezbollah, on retiendra essentiellement que tout ce monde-là était étroitement associé dans une parfaite hostilité à l'égard de Hariri et que c'est dans un tel contexte que son assassinat a eu lieu. De là à suggérer que cette « coalition » serait effectivement coupable de son meurtre, il y a un pas que M. Siniora s'est naturellement abstenu de franchir lui-même de manière explicite, tout en fournissant à l'accusation les clés lui permettant, elle, de le franchir un jour.
La teneur des révélations faites par le député de Saïda, notamment au sujet de nombreuses tentatives d'assassinat qu'aurait entrepris le Hezbollah contre Rafic Hariri, suffisait donc à ramener au-devant de la scène le contentieux entre le courant du Futur et le parti de Dieu, et entre l'alliance du 14 Mars et le camp du 8 Mars. Il se trouve cependant que la prestation de M. Siniora à La Haye avait été précédée, en lever de rideau, par une campagne en règle menée contre lui par le 8 Mars et les médias qui lui sont proches. En gros, on a cherché à suggérer que le chef du bloc du Futur ferait désormais partie du club des « faucons » de cette formation, s'efforçant de saper les fondements du dialogue en cours avec le Hezb. À ce titre, il serait en train de régler des comptes avec le leader du Futur, Saad Hariri, ce dernier étant supposé être devenu, quant à lui, un « modéré ».
Des différences d'approche existeraient-elles au sein du courant haririen ou bien se trouverait-on devant un classique partage des rôles ? Aussi pertinente qu'elle soit, cette question a été reléguée au troisième plan par les développements survenus au cours des dernières trente-six heures au Yémen, après le coup de théâtre de l'intervention saoudienne contre la milice chiite des houthis et la rapide mise en place d'une vaste coalition arabe ou arabo-internationale en soutien à l'offensive de Riyad.
Le grave revers ainsi essuyé par le camp iranien, à l'heure même où d'aucuns en son sein commençaient déjà – assez prématurément, semble-t-il – à crier victoire, aura sans nul doute des retombées politiques et parfois militaires dans l'ensemble de la région, y compris naturellement au Liban. Déjà, les prises de position de part et d'autre de l'échiquier politique libanais au sujet de ce rebondissement majeur montrent clairement que le fossé continue de s'élargir.
Entre, d'un côté, les réactions de Saad Hariri, Walid Joumblatt et Marwan Hamadé, toutes élogieuses à l'égard de Riyad, et de l'autre celle du Hezbollah, qui s'est littéralement déchaîné contre le royaume saoudien, on voit mal ce qui, un jour, pourrait servir de dénominateur commun. La prestation embarrassée du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, au Conseil de la Ligue arabe, hier à Charm el-Cheikh, illustrait la quadrature du cercle. Il est clair qu'avec cet épisode yéménite, l'avenir du Liban dépend plus que jamais de la victoire de l'un ou de l'autre des axes en présence dans la région.
Toujours est-il que pour le moment, de nombreux observateurs restent convaincus qu'en dépit des événements, le dialogue engagé entre le courant du Futur et du Hezbollah est appelé à survivre. C'est parce qu'il s'agit précisément d'un dialogue a minima que sa pérennité est plus ou moins assurée, estime-t-on. On ne sait pas encore de quoi parleront les protagonistes quand ils se rencontreront à nouveau, le 2 avril prochain, mais ils semblent toujours convenir de la nécessité de dissocier les éléments liés à la stabilité première du Liban, notamment sur le plan sécuritaire, des désaccords profonds qui les séparent.
Quant à l'autre dialogue, interchrétien, il paraît prendre une tournure plus capricieuse, ses contours se calquant sur les courbes des ego. Mais là aussi, les protagonistes assurent que les choses vont de l'avant. Une source politique informée des négociations en cours va même jusqu'à croire possible une rencontre au « sommet » Michel Aoun-Samir Geagea entre les « deux » Pâques, c'est-à-dire entre le 5 et le 12 avril.
Verra-t-on pour autant un déblocage de la présidentielle? Dix mois après le début de la vacance à la présidence, il n'y a toujours pas de réponse à cette question.
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commentaires (6)
C'EST QUE LES LIBANAIS LE SENTENT DÉJÀ DANS LEUR PEAU...
LA LIBRE EXPRESSION
00 h 02, le 28 mars 2015