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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les attentats de Sanaa sont « la réaction des radicaux sunnites face à l’avancée des houthis »

Quel est le message qu'a voulu faire passer l'EI à travers l'attaque violente contre les mosquées ? Quelles peuvent-être les conséquences ? Y-a-t-il un risque de guerre civile ? Le spécialiste du Yémen et de l'islamisme, François Burgat, a répondu à « L'Orient-Le Jour ».

Des hommes armés inspectent les dégâts après l’explosion d’une bombe dans la mosquée Badr à Sanaa, hier. Mohammad Huwais/AFP

Le Yémen semblait, ces derniers jours, avoir atteint un apogée dans l'escalade de la violence entre les divers affrontements et les pérégrinations forcées du président Abd Rabbo Mansour Hadi à travers le pays. En proie à de nombreux échanges violents avec Aqpa (la branche yéménite d'el-Qaëda) ces dernières semaines, ces forces rebelles venues du nord-ouest du pays ont reçu un coup violent avec la démonstration de force de l'État islamique (EI) survenue hier, à Sanaa. L'EI a en effet revendiqué le triple attentat-suicide contre des mosquées fréquentées par des chiites, dont les miliciens houthis, qui a fait au moins 142 morts. Il s'agit là de la première attaque de l'organisation jihadiste sur le sol yéménite et celle-ci a d'ores et déjà annoncé, dans un communiqué revendiquant les attentats, que d'autres suivront, contre les miliciens chiites.

Selon le spécialiste du Yémen et de l'islamisme, François Burgat, également directeur de recherche à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam) à Aix-en-Provence, « jusqu'à présent, c'était el-Qaëda qui représentait les sunnites au Yémen, donc la nouveauté de ces attentats serait l'affirmation de la montée en puissance de l'EI par rapport à el-Qaëda (...) Le message paraît clair. Ces attentats montrent une accélération et une exacerbation de la confessionnalisation de la guerre civile sur laquelle a débouché la prise de pouvoir contre-révolutionnaire, le 20 janvier dernier, des houthis, alliés à l'ancien président Ali Abdallah Saleh ». La prise de pouvoir des houthis des mains du parti el-Islah, proche des Frères musulmans, donc des sunnites, a, pour le politologue, « donné une nouvelle dimension dans la lutte contre el-Qaëda, qui était auparavant une affaire entre sunnites. Désormais, il y a un aspect sectaire à la lutte contre cette organisation, comparable à ce qu'était la lutte contre el-Qaëda en Irak. La bonne nouvelle du point de vue des Occidentaux, c'est qu'on ne pourra pas accuser le gouvernement yéménite de tiédeur dans sa lutte contre el-Qaëda, sachant que, dorénavant, il va y avoir une dimension sectaire ». Ces attentats violents ne sont autres que « la réaction des radicaux sunnites face à l'avancée des miliciens houthis », explique-t-il.

 

(Lire aussi : « La rivalité régionale Riyad-Téhéran complique et amplifie le conflit au Yémen »)


Sur le plan diplomatique, Washington a fermement condamné les attentats de Sanaa et le porte-parole du président américain Barack Obama a précisé qu'il ne pouvait confirmer à ce stade « la véracité des affirmations de ces extrémistes selon lesquelles ils sont affiliés à l'EI ». Mais selon François Burgat, « l'État islamique ne s'amuserait pas à faire de fausses revendications ». Selon l'AFP, Aqpa, qui a par le passé appelé à soutenir l'EI face aux frappes de la coalition internationale en Syrie et en Irak, a assuré ne pas être impliqué dans l'attaque des mosquées de Sanaa, soulignant dans un communiqué sur Twitter qu'el-Qaëda se refuse à « prendre pour cible des mosquées ». La question se porte alors sur l'éventualité que ces kamikazes puissent être d'anciens membres d'Aqpa, qui se seraient désolidarisés du mouvement afin de rejoindre l'État islamique, qui ne s'oppose pas au fait de perpétrer des attentats dans des mosquées. Pour le politologue français, « ça ne serait pas incohérent. Il y a eu un peu partout dans la région des flux d'el-Qaëda vers l'EI, car c'est l'histoire même de Daech (acronyme arabe de l'État islamique). D'autre part, il me semble avoir vu qu'ils ont employé des moyens particulièrement sophistiqués, des explosifs dans le plâtre d'un jeune homme qui était supposé avoir la jambe cassée, ce n'est pas du travail d'amateur. Cela ressemble tout à fait à ce que peut faire une organisation sophistiquée ».

« Sunnistan libre »
L'attentat de Sanaa s'inscrit-il dans la continuité de celui de Tunis, quelques jours plus tôt, également revendiqué par l'État islamique ?
« Le lien entre les attentats dans ces deux pays est évident. L'attaque de Tunis a été souvent dépeinte comme une tentative contre la jeune démocratie tunisienne, mais je pense que c'est une mauvaise interprétation », affirme M. Burgat. « Ce n'est pas le musée du Bardo comme symbole de la culture tunisienne qui a été visé, mais ce sont des cibles précises, des Occidentaux venus des pays en guerre contre l'EI, il faut prendre le temps de le dire, "Nous somme en guerre contre Daech", "nous en sommes à 6 000 ou 7 000 bombes que nous déversons très sélectivement sur l'un des acteurs de la crise syrienne", donc il y a derrière une matrice politique et militaire qu'on ne peut nier. De même, le Yémen est le théâtre d'une guerre, par les États-Unis contre el-Qaëda, qui a fait 820 morts a peu près par drones depuis 2002. »

« Mais ce qui relie les deux attentats c'est la reconfiguration des alliances au Proche-Orient qui fait que ceux que j'appelle "les héritiers de Khomeyni" devenir, dans leur combat contre "les héritiers de Ben Laden" les alliés objectifs des États-Unis. Il y a bien ainsi une cohérence dans cette double confrontation de l'EI avec les chiites aussi bien qu'avec Washington. Tous deux sont, dans la vision des jihadistes de l'EI, unis contre leur volonté de créer ce que j'appelle leur "Sunnistan libre", c'est à dire, dans leur esprit, un Sunnistan "libéré des ingérences des Occidentaux, d'une part, et des chiites, d'autre part » explique le chercheur.

Alors, doit-on craindre une guerre interreligieuse au Yémen comme suite logique à cet événement tragique ? Selon M. Burgat, il y aurait déjà eu des représailles des houthis quelques heures après l'annonce des attentats contre les mosquées chiites. Toujours selon lui, « les houthis auraient déjà fait sauter la maison du leader du tout dernier parti salafiste al-Rachad, parti salafiste qui venait de se créer. Donc la confessionnalisation de la guerre civile yéménite n'est pas très loin... »

 

Rq : cet article a été corrigé le 22 mars

 

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commentaires (5)

Il ne faut jamais justifier le terrorisme, ni ne le comprendre, comme pour l'affaire de Charlie hebdo... quoi-que-l'on-pense!

Ali Farhat

20 h 10, le 21 mars 2015

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Commentaires (5)

  • Il ne faut jamais justifier le terrorisme, ni ne le comprendre, comme pour l'affaire de Charlie hebdo... quoi-que-l'on-pense!

    Ali Farhat

    20 h 10, le 21 mars 2015

  • Sunnites et chiites ne se rendent pas compte que leur guerre date du 7e siècle de l'ère chrétienne ! Depuis quatorze siècles ! Un fanatisme sectaire unique dans l'histoire de l'humanité. Absolument incroyable !

    Halim Abou Chacra

    11 h 06, le 21 mars 2015

  • Des methodes similaires a celle des usurpateurs d'israrecel quand celles ci ne parvenaient pas avoir le dessus sur le hezb resistant de 82 a 2000. On connait la suite !

    FRIK-A-FRAK

    11 h 04, le 21 mars 2015

  • Eh oui ! Réactions tout à fait normales et classiques....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 03, le 21 mars 2015

  • PARTOUT... ACTIONS ET RÉACTIONS ! ET LA GUERRE RELIGIEUSE... DANS LA REGION... VA CRESCENDO !

    LA LIBRE EXPRESSION

    05 h 58, le 21 mars 2015

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