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Culture - Exposition

Lamia Joreige à la conquête de la Grande Pomme

Première aventure solo de l'artiste à New York, avec « Records for Uncertain Times »*. Après la Biennale de Sharjah, le Centre Pompidou et Beyrouth, cette exposition s'installe à la Taymour Grahne Gallery de Chelsea jusqu'au 9 avril.

Lamia Joreige, une artiste « obsédée » par la guerre, ses images et ses « ruines ». © 2015 Scott Rudd

Documents d'archives, images vidéo, installations, photographies et éléments de fiction : à travers tout cela, l'artiste visuelle et réalisatrice libanaise Lamia Joreige invite à une profonde réflexion sur l'histoire, sur la relation entre les histoires individuelles et la mémoire collective de la guerre du Liban et ses conséquences. On l'aura compris, la ville de Beyrouth demeure le pivot central de son inspiration. Records for Uncertain Times est le récit de plusieurs histoires entrelacées : Under-Writing Beirut-Mathaf, 180 Degree Garden View, Object of War, One Night of Sleep, Under-Writing Beirut-Nahr : l'histoire ne s'arrête pas là.

Reformulation poétique
Rencontrée à New York, à la Galerie Taymour Grahne où elle expose, Lamia Joreige précise qu'Under-Writing Beirut-Mathaf est une installation en plusieurs éditions, autour du Musée national de Beyrouth. Elle est composée de plusieurs éléments, dont le principal est une sculpture en béton intitulée Object of War, visualisation imaginée d'un trou réalisé par un franc-tireur dans la mosaïque dite du Bon Pasteur, « l'une des rares œuvres auxquelles j'ai pu avoir accès le 15 décembre 2012, lors de mes recherches au Musée national de Beyrouth », affirme-t-elle. La sculpture est accompagnée d'une photographie de la mosaïque prise durant la guerre. « J'ai reconstitué, non pas une réplique du négatif, mais une reformulation poétique de ses dimensions », ajoute-t-elle.
« L'œuvre est une référence directe à la guerre, puisque le musée, symbole national, se trouve sur l'ancienne ligne de démarcation Mathaf-Barbir, sur le barrage le plus emblématique de la ville », note-t-elle. « Pour la vidéo, intitulée 180 Degree Garden View, qui reconstitue la ligne de mire du franc-tireur, j'ai installé la caméra à la place du trou. Les prises de vue ont été faites de ma fenêtre (NDLR : Lamia Joreige habite le secteur Mathaf) avec une vue sur le Musée national », ajoute-t-elle. « Ce sont des sténopés ou pinhole camera, images uniques faites à l'aide d'une boîte noire sans réglage au zoom ou lentille. J'ai eu recours à cette technique ancienne, simple et ludique, parce qu'elle donne un négatif du paysage filmé », souligne-t-elle.

« Peut-être pas... »
Poursuivant sa visite guidée, Lamia Joreige s'attarde devant une « image-texte d'archives » du quotidien an-Nahar représentant la place du Musée « mélangée et fusionnée » avec une photographie prise par l'artiste, pour une superposition du passé et du présent. N'ayant pu avoir accès aux réserves de l'édifice, l'image-texte lui permet de « représenter le Musée national, sa politique et son identité ». À côté, un présentoir en plexi abrite un livre intitulé Objects Missing From the National Museum. En cuir scellé, il « souligne le secret qui entoure leur disparition et l'inaccessibilité à toute information pertinente. Il met en évidence le potentiel d'imagination autour de leur histoires dites et manquantes, et culmine dans une archive qui a peut-être existé, ou peut-être pas, sous une autre forme, et qui pourrait ou pourrait ne pas exister dans le futur ».

« Une nuit de sommeil »
Dans la pièce centrale de la galerie, Lamia Joreige juxtapose sept des quatorze photogrammes qui font partie d'une série intitulée One Night of Sleep (2013). Trois avaient été exposées, il y une dizaine de jours, à l'Armory Art Show de New York. « Le processus suivi est intéressant parce qu'il ressemble aux sténopés. Les images portent la trace de mon corps en train de dormir, » explique l'artiste. Dans cette série, « j'ai dormi deux fois par semaine sur ce papier photosensible de taille humaine, avec une lampe programmée au-dessus du lit pour s'allumer toutes les heures. Ces images abstraites montrent l'empreinte directe du corps et de la tête sur le papier, durant le temps de sommeil. Ces exemplaires sont uniques », souligne-t-elle.

Rouge « cicatrices »
L'étage inférieur de la galerie abrite l'installation vidéo intitulée Under-Writing Beirut-Nahr. « C'est un projet de série de recherches autour de différents lieux de Beyrouth, explique Joreige. Le premier, Mathaf, est le quartier où j'habite. Le deuxième, Nahr, est un quartier industriel qui a subi de grands changements avec l'arrivée de jeunes architectes et l'édification de nouvelles tours. » C'est dans ce même secteur, à Jisr el-Wati, que Lamia Joreige a cofondé, avec Sandra Dagher, en 2009, le Beirut Art Center. Under-Writing Beirut-Nahr s'accompagne de nombreux dessins pastel, à la cire fondue ou aux crayons, rappelant les cartes géographiques du fleuve qui s'acheminent vers une représentation plus abstraite du « paysage géographique à la fois réel et imaginaire. Le rouge fait référence aux cicatrices ». L'installation vidéo de quatre minutes, accompagnée d'un texte poétique, a été conçue et réalisée par l'artiste en 2013.
On l'aura compris, l'œuvre artistique de Lamia Joreige est profondément imprégnée de réminiscences de guerre. « Je suis née en 1972, donc trois ans avant la guerre. Je n'ai jamais connu Beyrouth avant la guerre. Même si j'ai vécu une enfance très heureuse au Liban, il me semble difficile de parler d'autre chose. Car la guerre reste en moi », dit-elle. De même que le rapport à l'image, la relation entre l'image fixe et l'image ambulante et la manière de décrire le paysage. « Le projet du fleuve parle surtout de la notion de paysage urbain désolé. C'est un peu la réalité dans laquelle nous vivons. On n'est finalement pas sorti de la guerre », conclut Lamia Joreige.
* L'exposition s'accompagne d'un magnifique catalogue de 72 pages avec des textes en anglais de Rabih Mroué et Chad Elias ainsi que d'une retranscription d'une conversation entre Lamia Joreige et Etel Adnan.

Portée internationale

Artiste appréciée du public international et américain, Lamia Joreige a participé à de nombreuses expositions collectives dont notamment Here and Elsewhere, au New Museum à New York, et à SF Moma lors de l'exposition Six Lines of Lights, tenue à San Francisco en 2012. Ses œuvres et installations vidéo figurent aussi dans deux grandes collections internationales, la Sharjah Art Foundation et la collection permanente du Centre Pompidou, ainsi qu'à The Tate Modern à Londres, au Mori Museum of Contemporary Art à Tokyo, à la Biennale de Venise, au Danemark, à Berlin, en France, à Beyrouth et en Égypte.

Documents d'archives, images vidéo, installations, photographies et éléments de fiction : à travers tout cela, l'artiste visuelle et réalisatrice libanaise Lamia Joreige invite à une profonde réflexion sur l'histoire, sur la relation entre les histoires individuelles et la mémoire collective de la guerre du Liban et ses conséquences. On l'aura compris, la ville de Beyrouth demeure le...

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