L'ancien chef des services de renseignements syriens au Liban, le général Rustom Ghazalé, fait, une fois de plus, la une. Mais en tant que « victime » cette fois-ci, et non en tant que « dictateur sanguinaire », comme le qualifie Jean Philippe Lebel sur son blog Mediapart, qui tient à souligner le rôle joué par l'officier lorsqu'il régnait en chef sécuritaire absolu au Liban, du temps de l'occupation syrienne. En juillet 2012, Ghazalé avait été nommé par Bachar el-Assad à la tête de la sécurité politique en Syrie, un an après le début de la révolution syrienne.
Depuis près de deux semaines, les rumeurs circulant sur un éventuel limogeage de l'officier par l'équipe de Bachar el-Assad se sont amplifiées, les dernières en date faisant état de son transfert dans un hôpital, dans un « état critique ». Deux mois plus tôt, YouTube diffusait dans une vidéo des images montrant la villa de Rustom Ghazalé dans son village proche de Deraa, détruite par des charges explosives lors de la bataille opposant des éléments du Front al-Nosra au Hezbollah et aux gardiens de la révolution iranienne.
Quelques semaines plus tard, un autre enregistrement montrait Rustom Ghazalé justifiant l'autosabotage de sa résidence de luxe devant des militaires du régime par un acte de « patriotisme », pour prouver à ceux qui défendent son village que les possessions matérielles n'ont aucune importance à ses yeux face aux sacrifices consentis par ces soldats pour protéger les lieux. Une version véhiculée par les médias devait cependant faire valoir le fait que M. Ghazalé avait tenu des propos considérés comme insultants par Bachar el-Assad, qui aurait été irrité au plus haut point le jour où le responsable des renseignements avait dit que la mission de protection de Deraa était prioritaire par rapport à celle de Qardaha, le village dont est originaire le président syrien. Une version qui, même si elle devait être vérifiée, ne saurait expliquer un retournement de situation aussi spectaculaire, suivi d'une dégradation notoire des relations entre les deux hommes, jadis proches alliés au sein du régime.
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Selon Mediapart, depuis deux mois et suite à l'ingérence iranienne « inacceptable » pour certains en Syrie, des divergences seraient apparues entre, d'une part, le clan Ghazalé, un sunnite baassiste nationaliste partisan de l'unité de la Syrie et contre la mainmise de l'Iran et du Hezbollah sur le pays, et de l'autre, celui de Bachar el-Assad, dont la survie du pouvoir repose désormais sur le soutien militaire que lui fournit l'axe chiite. Le média, qui cite des sources de services de renseignements syriens, affirme que « Khaled Shehadé, chef des renseignements militaires syriens, avait invité Rustom Ghazalé à une réunion sécuritaire. À son arrivée, ses gardes du corps ont été désarmés, et lui ligoté, torturé et laissé entre la vie et la mort devant l'hôpital al-Shami de Damas ».
Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Dépêchée auprès de l'officier syrien, une équipe de médecins spécialisés libanais s'est ensuite rendue à son chevet. Quatre de ces médecins – un neurologue, un pneumologue, un cardiologue et un urgentiste – travaillent à l'Hôtel-Dieu, et trois autres –, un psychiatre, un neurologue et un autre cardiologue – qui les auraient rejoints par la suite, seraient affectés à d'autres hôpitaux. Le blog précise en outre que trois des médecins de l'Hôtel-Dieu seraient « proches du chef du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun ». Ce serait d'ailleurs Rustom Ghazalé lui-même qui aurait demandé l'aide d'un psychiatre pour prendre en charge « les graves séquelles traumatiques subies », note Mediapart.
Or les médias libanais, qui avaient recueilli l'information à ses débuts, ont lié l'affaire au seul nom de l'Hôtel-Dieu, créant ainsi un embarras certain au sein de l'équipe médicale de l'hôpital.
Selon un haut responsable de l'institution, « c'est d'autant plus inadmissible que c'est l'image de marque de l'hôpital qui est en jeu. Notre devoir est de garder une distanciation certaine par rapport à cette crise dans toutes ses ramifications », s'indigne le médecin, qui rappelle à qui veut l'entendre que les quatre médecins ont fait le voyage à titre personnel, et non en tant que représentants de l'institution.
Tout en reconnaissant que le devoir humanitaire de chaque médecin est de venir en aide et de soigner « la victime comme le bourreau », il affirme qu'il n'est toutefois pas admissible, éthiquement parlant, d'aller au chevet d'une figure aussi controversée. « Nous aurions pu facilement l'accueillir au Liban pour lui prodiguer les soins nécessaires », ajoute-t-il. Selon une source informée, l'officier syrien n'était toutefois pas en état d'effectuer le voyage.
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Interrogé par L'Orient-Le Jour, l'un des sept médecins qui se sont rendus en Syrie se contente de répondre par ces termes : « L'obligation de soins est indispensable, quel que soit le patient en question. Il n'y a qu'à demander à l'ordre des médecins son avis. »
Prié de commenter le fait qu'une partie des médecins seraient, comme l'affirme Jean Philippe Lebel sur son blog, proches du chef du CPL et que c'est à ce titre qu'ils se seraient rendus auprès de Rustom Ghazalé, le médecin dément, soutenant que « ce n'est pas parce que la presse a avancé cette information qu'elle doit nécessairement être vraie ». Il ajoute, non sans un brin d'ironie : « Il faudra également savoir si la délégation de médecins qui s'est rendue auprès de l'officier a emporté avec elle une montagne de cadeaux, comme le faisaient certains hommes politiques libanais il n'y a pas si longtemps, lorsqu'ils allaient lui rendre visite à Anjar. »
Un autre médecin de l'Hôtel-Dieu soutient cet avis, en rappelant le devoir déontologique de chaque médecin de prodiguer les soins nécessaires. « Même si l'on me demandait d'aller soigner Ben Laden, je le ferais, car c'est mon devoir qui me le dicte », assure-t-il. Il tient toutefois à nuancer sa position, en insistant sur le fait que la mission du médecin « devrait être politiquement désengagée et dépourvue de tout autre intérêt que celui de soigner et de sauver une vie ».
Galvaudée aux quatre coins du pays, l'affaire a fini par susciter, notamment au sein du staff de l'hôpital, des craintes sérieuses sur d'éventuelles ripostes que pourraient être tentés de faire des groupes extrémistes contre l'établissement en signe de représailles. Une appréhension que devrait en principe tenter de dissiper le recteur, Sélim Daccache, qui doit faire paraître un communiqué sur ce sujet dans les prochains jours.
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commentaires (13)
Jadis dictateur sanguinaire.......Aujourdhui victime
Geha bel Day3a
17 h 15, le 24 avril 2015