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Nos Lecteurs ont la Parole - Liban

Une semaine, un thème : #1 Les droits des femmes

Désormais, une fois par semaine, outre le courrier quotidien, la page Opinion de L'Orient-Le Jour, c'est-à-dire votre page, chers lecteurs, s'articulera autour d'un thème défini. Pour sa première édition, comment ne pas mettre en exergue la Journée internationale de la femme, célébrée dans le monde chaque 8 mars. Depuis des décennies, L'Orient-Le Jour a fait sienne cette bataille cruciale et originelle : la parité, l'égalité entre les femmes et les hommes. Vos petites phrases, vos remarques, vos commentaires et vos mots ont été collectés par mail et sur Facebook : chaque semaine, nous vous solliciterons pour un thème d'importance, et si vous le souhaitez, vous nous communiquerez vos opinions. Chaque semaine aussi, deux ou trois personnalités connues partageront avec vous leurs visions et leurs façons d'appréhender tel ou tel autre sujet. Ce sont Nayla Moawad, ancienne ministre, ancienne députée, véritable passionaria au Parlement dans la défense des droits de la femme, et une des figures-clés du paysage politique libanais , et Hala Fadel, entrepreneure à grand succès, qui ouvrent le bal. Bonne lecture...
P.S. : le deuxième thème s'articulera autour de l'anniversaire du 14 mars 2005. À vos mails...

 

De l'urgence de l'entraide

 



« Nous nous accoutumons à l'idée que nous allons perdre notre siège au Parlement », m'ont annoncé sur un ton lugubre des responsables de la campagne pour les élections de 1992 sur base d'une circonscription qui incluait tout le Nord, du caza de Batroun au Akkar inclus. « Vous ne serez pas admise par l'islam ainsi que par une partie de l'électorat chrétien. Après tout, vous êtes une femme ! »
Résultat : j'ai été celle qui a obtenu le plus grand nombre de votes parmi tous les candidats ! Mieux, et contrairement à des idées fortement ancrées, les femmes s'étaient complètement mobilisées en ma faveur, et beaucoup de jeunes avaient trouvé en la femme candidate un facteur de changement !
On m'a ressassé tant de fois : « Si vous n'étiez pas l'épouse du président René Moawad, vous n'auriez jamais pu accéder au Parlement ! » Cela est parfaitement évident. Mais, pour moi, le challenge n'était pas d'être membre du Parlement. Je me serais parfaitement passée des circonstances qui m'y ont amenée. Mon défi consistait à être à la hauteur des valeurs pour lesquelles René Moawad s'était battu tout au long de sa carrière et, surtout, de travailler pour un Liban libre, souverain, indépendant, pluraliste et démocratique pour lequel il a donné sa vie.
Il me fallait également prouver qu'une femme pouvait s'imposer au Parlement et se faire respecter par ses collègues.
Depuis lors, les choses ont drastiquement changé !
Sur le plan international et depuis la dernière décennie du siècle passé, de nombreuses activités mettent en exergue l'importance du rôle de la femme. Un nombre incalculable de forums, d'ateliers de travail et de rencontres ont été organisés à travers le monde, réunissant femmes et hommes unis par une même cause : l'évolution du rôle de la femme.
Je me souviens : en 1992, au cours du premier Sommet de la Terre où je représentais le Parlement à Rio de Janeiro, une journée entière avait été consacrée à expliquer dans le détail combien la participation de la femme dans la préservation de l'environnement était indispensable. J'avais pu annoncer fièrement que mon pays était à l'origine de la Renaissance arabe à la fin du XIXe sièclde et que, déjà à l'époque, un de nos grands penseurs, Boutros Boustany, avait déclaré haut et fort qu'un pays où la femme ne participe pas à la vie publique est comme un homme qui veut faire le tour de la Terre sur une seule jambe...
Quant au Sommet de Pékin en 1995, il était entièrement consacré à la femme. Il a marqué un tournant universel.
Au Liban, par contre, les progrès n'ont pas été aussi rapides et la situation laisse encore largement à désirer. S'il est vrai aujourd'hui que quinze femmes sont directrices dans l'administration publique et cinq dans les établissements publics, notre talon d'Achille demeure la quasi-absence des femmes en politique, ou plutôt dans la chose publique, la politique n'étant pas uniquement l'accession à un poste parlementaire.
Commençons par la modernisation des lois sans lesquelles il n'y a ni droits ni amélioration du statut de la femme.
Où sont les lois concernant le statut personnel ? Il est choquant que chaque communauté au sein d'une même confession religieuse appartenant à une seule nation régisse à sa manière les détails de ce statut personnel. Il est encore plus choquant qu'un mariage civil contracté en dehors du Liban soit reconnu par l'État alors que l'initiative courageuse de quelques couples que des magistrats non moins courageux ont accepté d'unir au Liban n'y sont toujours pas légalisés.
Où en sont les lois qui protègent la femme contre les violences conjugales, domestiques ou même sur les lieux de travail quelle qu'en soit la nature? Remercions ici les médias qui nous attirent régulièrement l'attention sur le vécu de nombreuses femmes au Liban. Qu'en avons-nous fait ?
Où en est le droit à l'enseignement primaire obligatoire (j'en ai fait voter la loi au Parlement en 1998) ? Une femme inculte prive la société de tout rendement réel tant sur le plan de sa propre famille que sur celui de la vie économique.
Où en est le droit à l'octroi par la femme de la nationalité à ses enfants ?
Il faut faire voter la loi, mais, personnellement, j'attendrai de vivre dans un État de droit pour en réclamer la mise en application. Sinon, nous courons le risque d'une grande perversion de ce droit pour arriver à des fins que nous ne maîtrisons pas. N'oublions pas que le fameux décret de naturalisations de 1993 avait permis l'octroi de la nationalité à des gens qui étaient en geôle... sans parler des dizaines de milliers de familles syriennes devenues libanaises alors qu'elles ne connaissent le Liban qu'au moment des élections législatives.
La liste des injustices contre la femme est trop longue pour être exhaustive. Mais je ne peux m'empêcher de dire que fort malheureusement, les organisations et diverses ONG féminines ne sont pas vraiment parvenues à travailler ensemble, établir les priorités, constituer un groupe de pression que les décideurs, députés ou ministres, doivent prendre en considération au risque d'y laisser des plumes. Par exemple, leur inertie et leur manque de réaction lorsque le Parlement libanais a été fermé à double tour pendant vingt-deux mois est parfaitement incompréhensible.
Terminons notre réflexion par une note d'optimisme : les premières années de notre siècle sont marquées par des personnalités féminines de premier plan. Nul besoin de rappeler que la personnalité politique la plus puissante d'Europe aujourd'hui est Angela Merkel. À la tête du FMI, Christine Lagarde s'impose à travers le monde sans aucune difficulté et avec beaucoup de savoir. Sa réussite a probablement encouragé l'administration américaine à nommer Janet Yellen à la tête de la Réserve fédérale. Deux femmes, Dilma Rousseff et Cristina Kirchner, ont été reconduites à leur poste de présidentes, la première au Brésil et la seconde en Argentine. Quant à Hélène Carrère d'Encausse, elle est la première femme dans l'histoire de l'Académie française et des autres académies à avoir été nommée secrétaire perpétuelle en octobre 1999.
La lutte est encore longue, mais les résultats se dessinent de manière encourageante. Il nous faut du souffle, du travail, de la ténacité et, surtout, il nous faut nous entraider.

Nayla MOAWAD
Ancienne ministre, ancienne députée

 

 

Liban 2.0

 



On pense souvent que les femmes libanaises ont plus de liberté que dans d'autres pays. Pour cela on nous brandit la photo d'une femme en maillot de bain sur la plage. Cette relative liberté vestimentaire – sur laquelle on pourrait écrire tout un article, tellement elle est d'un côté abusive et de l'autre menacée – brouille le regard. Le maillot de bain n'est qu'une liberté apparente, un subterfuge qui cache une réalité lamentable: le Liban est classé 123e sur 136 pour les disparités homme-femme par le rapport 2015 du World Economic Forum.
Au point où nous en sommes, il vaut mieux parler de gouffre que de disparités. Pourquoi ce résultat choquant? Une différence colossale homme-femme sur des sujets comme le droit de la mère à donner la nationalité aux enfants, le droit de garde, l'héritage, le fait que la mère ne soit pas le tuteur légal de ses enfants (aux côtés du père), et jusqu'à récemment, la violence contre les femmes. Un énorme pas a été franchi l'an dernier grâce à la pénalisation de la violence conjugale, même si le pas aurait pu être plus grand et que beaucoup reste à faire. Au Liban, la polygamie est autorisée ainsi que le mariage des mineures. Pour ceux (celles) qui croient que certaines religions protègent mieux les droits des femmes, il suffit d'interroger une femme divorcée pour réaliser que la situation est presque aussi catastrophique de part et d'autre. Autre chiffre choquant : la faible participation des femmes à la vie économique. Ce sujet me tient particulièrement à cœur : 77 % des femmes en âge de travailler restent à la maison. La plupart des femmes actives ont entre 22 et 29 ans, et arrêtent de travailler dès le premier enfant (source: BIT). Les mentalités restent conservatrices : qui d'entre nous, homme ou femme, n'a-t-il pas culpabilisé une femme qui travaille ? En ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique, nous sommes quasiment le dernier pays avec seulement 3 % de participation des femmes dans la vie publique, ne laissant que l'Arabie saoudite derrière nous! Il paraît que l'excuse pour ne pas ouvrir au Parlement le dossier du droit de la femme, c'est parce qu'il faudrait alors parler du dossier épineux du statut personnel. Ca tombe bien: parlons-en ! Parce que le gros tabou dont personne ne parle, c'est que les femmes (et nous tous libanais !) sommes soumis à des régimes de droit différents selon notre confession. Il faut calmement et très fermement mettre toute considération religieuse de côté. Que faut-il donc faire ? Premièrement, adoptons une loi sur l'unification du statut personnel (qui inclut les femmes), pour qu'une fois pour toutes nous soyons tous égaux entre citoyens libanais. Faisons au moins l'effort de déterminer un dénominateur commun sur lequel toutes les communautés se retrouvent comme cela a été fait pour la loi sur la violence conjugale et réduisons l'étendue du statut personnel fixé par les communautés.
Deuxièmement, pour une participation accrue de la femme dans la vie politique. La Tunisie a adopté une loi électorale avec quotas et alternance des noms pour une vraie représentativité, pourquoi pas nous ?
Troisièmement, activons un nouveau moteur de croissance économique, celui du travail des femmes et de la contribution de 50 % de la population à notre PNB, en créant le cadre nécessaire pour faciliter leur emploi (flexibilité des horaires) et leur réintégration professionnelle après la maternité (congés adaptés). L'avancement des libertés passe parfois par des mesures très pragmatiques. Souvenons-nous aussi que l'indépendance financière est un atout de taille. Enfin, changeons nos comportements et nos mentalités. Messieurs : soyez fiers de soutenir vos femmes, filles, mères, amies, vous n'en serez que plus forts et plus aimés. À ceux qui le font déjà : merci ! Mesdames : jouons la carte de la solidarité, dépassons la sphère individuelle ; nous n'irons mieux que lorsque notre voisine ira mieux. Encourageons celles qui réussissent, défendons celles qui ont besoin de nous sans jeter la pierre, sans juger. Et si le changement positif de ce pays vers la sécularisation et le respect de tous passait par nous ? Au-delà de la femme, élevons le débat au Liban et saisissons l'occasion de passer à un nouveau Liban, au Liban 2.0, un Liban qui considère ses citoyens et ses habitants égaux en droit, quel que soit le résultat de la loterie de leur naissance : pauvres ou riches, chrétiens ou musulmans, hommes ou femmes. Nous valons tous la même chose. Pas plus et certainement pas moins.


Hala FADEL
Entrepreneure et mère de famille

 

 

Voir aussi notre vidéo
Journée de la femme 2015 : l'avis des étudiants libanais

 

 

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De l'urgence de l'entraide
 

« Nous nous accoutumons à l'idée que nous allons perdre notre siège au Parlement », m'ont annoncé sur un ton lugubre des responsables de la campagne pour les élections de 1992 sur base d'une circonscription qui incluait tout le Nord, du caza de Batroun au Akkar inclus. « Vous ne serez pas admise par l'islam ainsi que par une partie de l'électorat...

commentaires (2)

les droits de la femme devraient être reconnu de partout dans les institutions d'état et dans le privé ... ! histoire.... d'être tranquille a la maison le soir ....!

M.V.

14 h 27, le 09 mars 2015

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Commentaires (2)

  • les droits de la femme devraient être reconnu de partout dans les institutions d'état et dans le privé ... ! histoire.... d'être tranquille a la maison le soir ....!

    M.V.

    14 h 27, le 09 mars 2015

  • TOU(TES)... ET TOUT CE QUE DIEU A CRÉÉ DANS CE MONDE... IL LES A CRÉÉ(E)S ÉGAUX(LES)... L'ÉBÉTUDE SEULE VOIT DE LA DIFFÉRENCE !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 18, le 09 mars 2015

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