Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Jana AOUAD

Trente nuances de gris

«Quel âge as-tu?» Une question qui, depuis notre plus tendre enfance, s'avère innocente et, avec le temps, devient pertinente et finit par être...
déprimante.
En entamant le quatrième volet de ma vie, les choses évidemment semblent différentes. Avant, les chiffres n'ont jamais été significatifs pour moi : un bonbon, deux bonbons, dix bonbons... L'important était d'avoir beaucoup de bonbons. «Vous êtes combien en classe?» «Euh, je ne sais pas... Mais nous sommes plus nombreux que la 10e B. »
Je veux ça, je veux ceci. « C'est cher papa ? J'en ai beaucoup ? Mais tous mes camarades l'amènent à l'école, même le dernier de la classe. Et moi, j'ai eu un 14/20 en maths!» Les chiffres commencent à apparaître, en omettant bien sûr ceux qui nous nuisent.
«Quel est ton nom de famille?» On le disait tous fiers parce que papa nous l'a appris, sans savoir que la famille de maman nous apprend, en catimini, à prononcer le leur pour le taquiner. «D'où es-tu?» Mais pourquoi on me pose tellement de questions?
À trente ans, comme dit la légende, les chiffres et les lieux se concrétisent. Aujourd'hui, je sais que les questions ne sont pas toujours gratuites, je sais pourquoi certains restaient en classe pendant la catéchèse parce que, avant, je ne connaissais pas de musulmans, de chrétiens ou de druzes. Avant, j'avais des amis, je connaissais leurs noms, la couleur de leurs cartables et des stickers sur leurs classeurs. Avant, il n'y avait pas d'hypocrisie ni de jugement. On me disait que le temps me servira comme filtre, que le nombre d'amis ne sera qu'un souvenir pour, après, en garder ceux de vraie valeur. Nous connaissons tous cette personne qui, auparavant, était rebelle et s'est transformée en un être saint qui nous juge, ou cette personne qui a dit qu'elle ne nous laissera jamais tomber et qui était la première à nous donner le coup le plus dur, ou même cette personne qui a toujours défendu l'ouverture et qui a arrêté de vous parler après parce que vous ne partagez pas les mêmes principes.
Avant, on ne disait jamais de «nous » et « vous », jamais de «oh tu es de cette religion? Tu n'as pas l'air!» Les «je t'aime » étaient gribouillés sur des petits papiers sur nos pupitres, chuchotés au téléphone quand papa et maman dormaient, ou élaborés dans de longues lettres qui ne finissaient jamais. Pourquoi la gentillesse et la transparence sont devenues des perles rares?
Avoir trente ans, oui, c'est la maturité, c'est renaître de nouveau. C'est savoir que papa et maman n'étaient jamais les ennemis, que frérot et sœurette ne partagent pas seulement nos objets, mais sont aussi les seuls peut-être à éprouver nos joies et nos douleurs. C'est découvrir que ce monde est gris, un mélange d'obscure clarté. Avoir trente ans, c'est pouvoir mieux comprendre et séparer le bon grain de l'ivraie, c'est un chiffre qui existe dans un autre chiffre plus large: 10452 kilomètres carrés qui comptent sur nos volets futurs pour une rédemption aussi.

Jana AOUAD

«Quel âge as-tu?» Une question qui, depuis notre plus tendre enfance, s'avère innocente et, avec le temps, devient pertinente et finit par être...déprimante.En entamant le quatrième volet de ma vie, les choses évidemment semblent différentes. Avant, les chiffres n'ont jamais été significatifs pour moi : un bonbon, deux bonbons, dix bonbons... L'important était d'avoir beaucoup de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut