Une délégation parlementaire française hier, l'ancien ministre américain de la Justice Ramsay Clark aujourd'hui, des ministres indien et pakistanais il y a quelques jours, quelque chose bouge en Syrie, sur le plan diplomatique. Certes, le gouvernement français s'est empressé de dire que la délégation parlementaire n'a pas effectué ce voyage en Syrie à sa demande, mais il n'en reste pas moins qu'elle regroupait des députés de la droite et de la gauche et que c'est le premier contact à ce niveau, même non officiel, entre la France et le régime syrien.
Les visiteurs de Damas précisent que ce n'est pas encore le début d'une nouvelle page entre le président syrien et les pays occidentaux, mais ils ajoutent percevoir un changement dans l'atmosphère générale de la capitale syrienne. Il y a un an, un responsable des renseignements français s'était rendu à Damas et avait rencontré le général Ali Mamelouk dans une volonté de relancer la coopération sécuritaire entre les deux pays, mais la réponse syrienne avait été claire : pas de coopération « sous la table », la Syrie veut le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. La tentative française en était donc restée là... jusqu'à la visite de la délégation parlementaire française. Celle-ci n'est pas encore une reprise des relations diplomatiques, mais elle pourrait en être le début. « Un retour sur la pointe des pieds » comme le déclarent des sources diplomatiques libanaises.
En tout cas, elle est plus qu'une visite sécuritaire. Preuve en est la rencontre des parlementaires français avec le président syrien Bachar el-Assad qui a profité de l'occasion pour faire un exposé de la situation générale et pour préciser que tous les pays doivent coopérer dans la lutte contre le terrorisme takfiriste. C'est sur la base d'une communauté d'intérêts dans la lutte contre cette menace que, selon les visiteurs de Damas, le régime est assez confiant dans une volte-face occidentale à son égard, sachant que le danger takfiriste, contre lequel il a, depuis deux ans au moins, tiré la sonnette d'alarme, est en train de devenir une menace précise pour les sociétés occidentales et en particulier européennes. Des études européennes montrent ainsi que les thèses takfiristes attirent de plus en plus de jeunes en Europe. Le plus grand pourcentage est en France, mais il y en a aussi beaucoup en Grande-Bretagne et en Allemagne. Au point qu'en France, la question du contenu des prêches dans les mosquées fait désormais partie des questions sécuritaires. Les autorités enquêtent aussi sur le financement des mosquées, notamment celles où les prêches ne stigmatisent pas l'organisation de l'État islamique et ses partisans.
Même les médias français sont moins féroces contre le régime syrien, face aux atrocités commises par Daech et sciemment médiatisées. Même ceux qui pensaient pouvoir utiliser ce groupe et ses semblables, pour combattre le régime syrien et affaiblir l'Iran sont en train de revoir leur stratégie, tant cet islam takfiriste commence à représenter une menace pour tous les musulmans dans toutes les sociétés. Au point qu'al-Azhar en Égypte a exigé la révision des institutions religieuses en vue de les moderniser, alors que le mufti d'Arabie saoudite, Abdel Aziz al-Cheikh, connu pour son intransigeance et sa rigidité religieuses, a ouvertement critiqué Daech récemment, à la demande expresse du nouveau roi Selmane et de l'émir Mohammad ben Nayef. Même le roi Abdallah II de Jordanie, qui adoptait une position relativement vague, se voulant au cœur de la lutte contre Daech mais encourageant en même temps ce mouvement à partir de sa frontière avec la Syrie et lui laissant une grande liberté de circulation, aurait commencé à changer d'avis. Il aurait dit à un responsable libanais qui a récemment visité Amman qu'il songeait à une possibilité d'établir une coordination avec l'armée syrienne pour la lutte contre les terroristes.
Le principe de la lutte contre les takfiristes de Daech est donc désormais une chose acquise. Mais pour le régime syrien, ce n'est pas suffisant. Il souhaiterait maintenant convaincre ceux qui se rallient à la lutte contre le terrorisme que Daech n'est pas le seul mouvement qui mérite cette étiquette. Selon les visiteurs de Damas, les responsables syriens rappellent ainsi régulièrement que l'homme qui a extirpé le cœur d'un soldat syrien pour le dévorer était un combattant de l'Armée libre de Syrie. Un autre exemple brandi par les responsables syriens est celui des combattants de l'opposition syrienne dite modérée qui ont été formés et entraînés en Jordanie sous la supervision du frère de l'émir Bandar, Mohammad ben Sultan et qui une fois en Syrie se sont fondus au sein des groupes takfiristes. Le régime syrien, qui pense que le temps joue en sa faveur, puisqu'au fil des jours, les masques des groupes de l'opposition sont en train de tomber l'un après l'autre, craint en réalité que la lutte contre les groupes takfiristes se limite à Daech et que le Front al-Nosra par exemple ou d'autres groupes qui se battent en Syrie en soient exclus. À ses yeux, ils appartiennent tous à la même mouvance et relèvent des mêmes sources de financement. C'est donc par là qu'une véritable lutte contre la menace takfiriste devrait commencer. Mais la réticence des gouvernements occidentaux à reconnaître le rôle de l'armée syrienne dans cette lutte montre, pour le régime, que le scénario de l'utilisation des groupes extrémistes pour affaiblir « l'axe de la résistance » n'est pas encore terminé et au final, c'est la situation sur le terrain qui déterminera le vainqueur et le vaincu.
commentaires (9)
N'immmporte quoi !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
05 h 36, le 27 février 2015