Les autorités ne savent pas grand-chose sur le dossier des mariages précoces au Liban, un sujet « caché » et « tabou », sans chiffres, sans statistiques, et sans la moindre stratégie interventionnelle. C'est ce qui ressort de la rencontre consultative qui s'est déroulée hier avec la presse à l'hôtel Cosmopolitan, Sin el-Fil, à l'invitation du Conseil supérieur pour l'enfance relevant du ministère des Affaires sociales.
Alors, pour aborder le sujet, les 15 lois communautaires en vigueur sur le statut personnel sont ressassées, pour la énième fois. Des lois qui refusent officiellement le mariage des mineurs et des mineures, avant l'âge de 18 ans, mais qui autorisent les exceptions. Et les exceptions sont nombreuses, elles sont même la règle. « Selon le droit musulman, le juge peut donner des autorisations à partir de 12 ans pour les garçons et de 9 ans pour la fille », souligne à ce propos l'avocate Iqbal Doughan, présidente du Comité de la femme au sein de l'ordre des avocats. Les communautés chrétiennes sont également permissives, concernant les mariages de mineures. Les Églises catholiques autorisent le mariage, à partir de 16 ans pour l'homme et de 14 ans pour la femme. Quant aux Églises orthodoxes, elles permettent le mariage des filles à partir de 15 ans. La communauté druze sort du lot et n'accepte pas le mariage des jeunes filles avant l'âge de 17 ans.
Proposition de loi qui ne fait pas l'unanimité
Le mariage des mineures est donc légitime, reconnu par la loi, ou plutôt par les différentes lois communautaires qui régissent le statut personnel. Dans ce cadre, et en l'absence d'une loi civile qui interdise le mariage avant l'âge de 18 ans, « une proposition de loi étudiée par la Commission nationale pour la femme libanaise a été présentée par le député Ghassan Moukheiber, interdisant le mariage des mineures, sauf en cas d'autorisation spéciale du juge des enfants », affirme le juge Fawzi Khamiss, procureur général près la Cour des comptes et ancien juge pour mineurs. La proposition est rejetée par les associations féminines, qui insistent pour faire appliquer la Convention internationale des droits de l'enfant et pour interdire formellement le mariage des mineures, avant l'âge de 18 ans, comme l'indique Mme Doughan. « Telle est la situation au Liban. Peu d'hommes politiques sont prêts à faire face aux hommes de religion », constate le juge, ajoutant par ailleurs que l'article 483 du code pénal sanctionne sévèrement les responsables religieux qui marient des mineurs sans l'accord de leurs tuteurs.
C'est aussi dans cet état des lieux que les forces de l'ordre tentent de faire leur travail. « Le mariage de mineurs n'étant pas interdit par la loi et n'étant pas considéré comme un crime, les forces de l'ordre ne peuvent intervenir que dans le cas où ces mariages seraient utilisés à des fins criminelles, autrement dit dans le cadre de la lutte contre la violence familiale, le trafic ou l'esclavage de mineurs, la prostitution », souligne le capitaine Carlos Hamati, responsable de la gendarmerie de Jbeil. « Nous intervenons donc uniquement en cas d'abus et si nous sommes alertés », note-t-il, car il s'agit d'une « réalité cachée ».
Pas question donc pour les autorités de s'attaquer au sacro-saint mariage précoce. Car nul n'est vraiment déterminé à s'opposer aux lois communautaires ou aux dignitaires religieux. Force est de constater à ce propos que « les quatre propositions de loi sur le mariage civil présentées au fil des ans (fixant l'âge légal du mariage à 18 ans et accordant l'égalité des droits aux deux conjoints) ont toutes été reléguées aux oubliettes, depuis la proposition de Laure Moghaizel jusqu'à la dernière présentée par Ogarit Younan et Walid Slaiby, en passant par les propositions du président Élias Hraoui et du PSNS », regrette le juge Khamiss.
Face à cette réalité libanaise où sont violés au quotidien les droits des fillettes dans la plus pure légalité, le ministère des Affaires sociales semble n'avoir aucune stratégie à proposer. Pas la moindre campagne de sensibilisation à travers le pays ni même dans les villages sensibles où la majorité des filles sont mariées dès l'adolescence. Pas même la moindre coopération avec les municipalités ou les établissements scolaires pour informer, dénoncer, condamner. N'est-il pas grand temps de cesser les palabres inutiles et de se mettre au travail ?
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Sournois "pédophiles"....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 17, le 25 février 2015