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Culture - Performance

Moi, Raeda, fille de martyr

Une femme, une seule, peut parfois en valoir des milliers. Une phrase, une seule, peut souvent résumer toute une vie, tout un destin. Raeda Taha lance ici un tonitruant « Comment trouver quelqu'un comme toi, Ali?»* à son fedayine/martyr de père.

Une véritable performance où Raeda Taha déconstruit l’image du martyr. Photo Sami Ayad

Raeda Taha est un personnage. Belle femme, figure altière, quarantaine bien assumée. Robe bleue, visage sans maquillage, chevelure mi-longue, raie au milieu. Assise sur un canapé, droite comme un i. Sur la table basse attenante, à portée de main, un verre d'eau. Qu'elle porte à ses lèvres pour s'humecter les cordes vocales. Lesquelles sont mises à bonne épreuve tout au long de son récit. Ce dernier dure une heure trente. En parlant de performance, c'en est réellement une. Quatre-vingt-dix minutes passent sans un millième de seconde de temps mort. Accroché à la moindre parole, au moindre cillement de paupières, le public se trouve comme en suspens, en admiration béate devant cette femme qui se raconte. Se met à nu. Se dévoile. Puise dans le sac de ses mémoires et lance ses souvenirs en vrac, avec un bagout naturel, un sens de l'interprétation, de l'imitation, de l'autodérision magistral.

Elle commence avec un épisode pour le moins douloureux. Très intime, aussi. Celui d'une tentative de viol dont elle a été victime. Oui « a été » victime et pas « failli être » car si la blessure physique n'est pas réelle, la blessure morale, elle, est bien là. Et Raeda, elle, avoue que c'est à ce moment-là, 17 ans après la mort de son père, qu'elle a réalisé qu'elle était orpheline. Ouf. Premier serrement de gorge.
La jeune femme enchaîne. Sur l'épisode où, petite fille de sept ans, elle se réveille au son des hurlements de sa mère. Puis débarquent les femmes en noir venues tenir les mains de la veuve et, surtout, en effacer les traces du vernis rouge, en signe de deuil. Et les quatre filles du martyr sont expédiées à l'école puis chez les voisins. Défile alors toute une multitude de personnages tous interprétés avec brio par l'actrice/auteure de la pièce. De Yasser Arafat à Henry Kissinger, toute une période déboule devant nous, avec signes et mimiques à l'appui.
Gardons les détails pour sauvegarder le plaisir du spectacle mais signalons, en passant, que Ali Taha était un fedayine. Le mot ayant presque disparu du lexique du XXIe siècle, soulignons à tous ceux qui sont nés après les années 90 que le mot désignait les combattants palestiniens qui mènent des actions de guérilla.
Il a accédé au statut de martyr en 1972, tué par un commando israélien. Il avait détourné un avion de la Sabena, vol 571...

Raeda en arabe signifie pionnière. Et elle l'est vraiment en effectuant ce défrichement, cette déconstruction du mythe du martyr qui prend aujourd'hui une autre dimension, une autre signification.
Ce spectacle a nécessité deux ans de préparation. Le metteur en scène, Lina Abyad, a joué également ici à la biographe, interviewant Raeda Taha, la poussant à retrouver des détails enfouis au fin fond de ses cellules mnémoniques. On a envie de dire thérapie.
Collective, à ce stade-là.

* « Comment trouver quelqu'un comme toi, Ali ? » au théâtre Babel, Centre Marignan, Hamra. Jusqu'au 7 mars 2015, à 20h30. Les jeudis, vendredis et samedis. Tél. : 01/744033.

Raeda Taha est un personnage. Belle femme, figure altière, quarantaine bien assumée. Robe bleue, visage sans maquillage, chevelure mi-longue, raie au milieu. Assise sur un canapé, droite comme un i. Sur la table basse attenante, à portée de main, un verre d'eau. Qu'elle porte à ses lèvres pour s'humecter les cordes vocales. Lesquelles sont mises à bonne épreuve tout au long de son...

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