À l'heure où l'on parle de la proclamation prochaine d'une déclaration d'intention entre le CPL et les Forces libanaises, le dialogue entamé entre ces deux formations soulève de plus en plus de questions. Cette proclamation est-elle un constat d'échec ou au contraire l'indice d'une volonté sérieuse chez les deux parties d'aboutir à une vision commune du rôle des chrétiens dans la région, en prélude à un accord sur le dossier présidentiel ? Les supputations vont bon train, d'autant que les deux parties restent très réservées sur le sujet, en principe pour ne pas ouvrir la voie aux possibilités de sabotage.
Selon une personnalité chrétienne qui suit de près ce dossier, tout a commencé par une initiative du chef des Forces libanaises Samir Geagea en direction du général Michel Aoun. De retour d'un voyage en Arabie saoudite, Geagea avait affirmé qu'il est prêt à se rendre à Rabieh pour parler de la présidence et Aoun avait aussitôt riposté en disant que la route de Rabieh est ouverte à tous ceux qui souhaitent parler de la République. Ces déclarations positives étaient intervenues au moment où le Hezbollah et le courant du Futur entamaient eux aussi un dialogue et il était normal que les deux plus importantes formations chrétiennes songent à se retrouver, alors que le Hezbollah et le courant du Futur étaient prêts à le faire. D'autant qu'en principe, le fossé entre ces deux partis est bien plus profond que celui qui oppose les Forces libanaises et le CPL. Mis au pied du mur, Aoun et Geagea ne pouvaient donc que tenter d'ouvrir un dialogue entre eux et ce sont le député et chef de la commission parlementaire des Finances Ibrahim Kanaan et le conseiller de Geagea Melhem Riachi qui ont été chargés de paver la voie à une rencontre entre les deux pôles.
La personnalité chrétienne qui suit ce dossier estime qu'au départ, le dialogue par Kanaan et Riachi interposés a commencé dans une atmosphère assez pessimiste, avec pour unique objectif la présidence. Geagea pensait qu'il n'avait rien à perdre et tout à gagner en essayant de convaincre Aoun de renoncer à sa candidature pour s'entendre sur un autre candidat accepté par eux deux. S'il parvient à le faire, il aura le crédit d'avoir réussi à débloquer le dossier présidentiel, et s'il échoue, il pourra clairement faire porter à Aoun la responsabilité du blocage. Il voulait aussi une rencontre rapide et médiatisée avec Michel Aoun pour bien montrer qu'il a vraiment accompli tous les efforts. De son côté, Michel Aoun en avait assez d'être accusé d'entraver l'élection présidentielle et il était convaincu que dans cette situation critique dans l'ensemble de la région, il est temps d'ouvrir en grand le dossier de la présence chrétienne au Liban et dans les institutions publiques, dont la présidence est un élément, mais pas le seul. C'est donc sciemment qu'il a répondu qu'il est prêt à tout dialogue avec Geagea sur « la République », autrement dit, sur le principe et l'application du partenariat entre les différentes composantes de la société libanaise. C'est d'ailleurs aussi dans ce sens qu'il avait demandé au président de la Chambre une séance plénière pour discuter de l'interprétation du principe du partage égal (parité) des postes au sein de l'État libanais entre les chrétiens et les musulmans.
Le dialogue a donc été entamé sur cette base et au lieu de parler du dossier présidentiel, les deux protagonistes ont décidé de le laisser de côté au début, pour s'entendre sur les grandes lignes du renforcement de la présence chrétienne au Liban, notamment au sein des institutions de l'État. L'idée était donc de rechercher les points communs et de les développer et de mettre de côté les sujets conflictuels, comme la présidence. Un peu comme c'est le cas dans le dialogue entre le courant du Futur et le Hezbollah. Dès le départ, il est en effet apparu à Kanaan et Riachi, qui se réunissent d'ailleurs régulièrement et mènent des discussions en profondeur, que le CPL et les Forces libanaises n'ont pas la même approche des développements régionaux, notamment en Syrie. Les deux formations ne sont pas non plus d'accord sur le rôle du Hezbollah et sur ses armes, mais toutes deux sont convaincues que la présence chrétienne dans la région est affaiblie et pour stopper le processus, il est indispensable de renforcer la présence chrétienne au sein des institutions libanaises. À partir de là, il devient plus facile de s'entendre sur des déclarations générales d'intention, accompagnées de mesures concrètes sur le terrain qui sont de nature à apaiser la rue et à réduire les tensions.
Les déclarations d'intention annoncées, il sera peut-être plus facile d'aborder le dossier présidentiel, notamment sous l'angle de l'importance d'élire un président qui redonne confiance aux chrétiens et qui symbolise un nouveau partenariat avec les autres composantes du pays. À ce sujet, une idée circule en coulisses, qui se résumerait ainsi : les parcours de Michel Aoun et de Samir Geagea ont montré que quelque part, les destins de ces deux hommes seraient liés. En d'autres termes, sans vouloir réduire la popularité et les qualités du chef FL, une partie de l'appui international, régional et local dont bénéficie Geagea est due au fait que sa présence est nécessaire pour faire contrepoids à l'influence de Aoun sur la rue chrétienne. Si l'on suit cette logique, on en arrive à dire que plus le rôle de Aoun est grand et plus Geagea devient indispensable pour établir un équilibre au sein de la communauté chrétienne. Quelque part, donc, il serait peut-être dans l'intérêt de Geagea que Aoun devienne président, car son rôle n'en serait que plus important, selon le principe des vases communicants. L'idée peut paraître saugrenue, mais certaines personnalités chrétiennes pensent qu'elle peut faire son chemin. D'autant qu'il n'y a pour l'instant rien à attendre des développements régionaux sur le plan de la présidence libanaise...
Liban - Décryptage
Aoun, Geagea et le principe des vases communicants
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 09 février 2015 à 00h00
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Le Liban a besoin d'un Fouad Chéhab ou d'un Michel Sleiman. Le Président Sleiman était le vrai visage d'un Liban apaisé, libre et souverain dans les épreuves que traverse notre patrie depuis la révolution en Syrie. Il prônait la distanciation dans tous les azimuts. Selon lui, le Liban ne doit faire partie ni de l'orient ni de l'occident, le Liban fait partie des nations civilisées et humaines.
Un Libanais
16 h 16, le 09 février 2015